Les démolitions dans Wadi al-Humos : l’excuse : la sécurité ; la stratégie : une majorité démographique juive

B’Tselem – 22 juillet 2019 – Jérusalem-Est

Photo: Btselem

Ce matin du lundi 22 juillet 2019, les autorités israéliennes ont commencé à démolir des immeubles dans le quartier de Wadi al-Humos, l’extension orientale de Zur Baher à Jérusalem-Est. La décision a été prise après que la Cour suprême israélienne eut rejeté le recours des habitants et décidé qu’il n’y avait aucun obstacle juridique aux démolitions. Israël a l’intention de démolir au total 13 immeubles, dont au moins 14 appartements, dont la grande majorité sont encore à des stades différents de leur construction. Jusqu’à ce matin, les immeubles étaient h habités par deux familles représentant 17 personnes, dont 11 mineurs. Certains de ces immeubles ont été construits en Zone A, avec des permis de construire délivrés par l’Autorité palestinienne, laquelle a la compétence en matière d’urbanisme dans ces zones. Wadi al-Humos se trouve en dehors de la limite municipale de Jérusalem et constitue la principale réserve foncière pour le développement de Zur Baher. Le comité de Zur Baher estime que 6000 personnes vivent actuellement dans ce quartier – le quart de la population totale de Zur Baher.

En 2003, le comité de Zur Baher a saisi la Cour suprême pour contester le tracé de la clôture de séparation, tracé qui avait été fixé de façon unilatérale par Israël afin de servir ses intérêts. Le tracé était prévu pour passer à proximité de la limite municipale de Jérusalem et couper ainsi toutes les maisons du quartier Wadi al-Humos de Zur Baher. Suite au recours juridique, l’État a accepté de déplacer la clôture de quelques centaines de mètres vers l’est dans le territoire de la Cisjordanie. En 2004 et 2005, une version « allégée » de la clôture de séparation a été érigée : au lieu d’un mur en béton, comme c’est le cas pour le tracé de la clôture dans Jérusalem-Est, Israël a construit une route à deux voies pour ses patrouilles, avec de larges accotements, et une autre clôture. La clôture entoure le quartier de Wadi al-Humos, qui n’a peut-être pas été coupé de Zur Baher, mais qui l’est du reste de la Cisjordanie par la clôture, même si le terrain sur lequel il a été construit n’a jamais été annexé au territoire municipal de Jérusalem.

Le quartier de Wadi al-Humos n’est pas considéré comme faisant partie de Jérusalem, et par conséquent, la municipalité de Jérusalem n’apporte au quartier aucun service, à l’exception de la collecte des ordures. Quant à l’Autorité palestinienne, elle n’a aucun accès au quartier et de ce fait, elle ne peut lui fournir aucun service, à l’exception de l’urbanisme et de la délivrance des permis de construire. Les habitants du quartier en ont construit les infrastructures eux-mêmes, notamment les rues et les conduites pour l’eau venant de Zur Baher et Beit Sahur. Aux limites sud-est de l’enclave, qui ont été définies par les Accords d’Oslo comme Zone A et Zone B, l’Autorité palestinienne détient la compétence en matière d’urbanisme et de construction. Mais la plus grande partie est définie comme Zone A, où l’Administration civile est responsable de l’urbanisme, et où, comme dans le reste de la Cisjordanie, elle évite d’élaborer des schémas directeurs qui permettraient aux habitants de construire légalement. Cette politique israélienne, qui limite la construction palestinienne à Jérusalem-Est, entraîne une pénurie grave de logements pour les habitants palestiniens de la ville, qui se retrouvent contraints de construire sans le permis.

En décembre 2011, environ six ans après l’érection de la clôture de séparation dans la zone, l’armée israélienne a publié une ordonnance interdisant toute construction dans une bande de 100 à 300 mètres de chaque côté de la clôture. L’armée a prétendu qu’une telle ordonnance était nécessaire afin de créer une « zone barrière ouverte » dont elle avait besoin pour ses opérations car la zone de Wadi al-Humos constitue un « point faible de l’entrée illégale » dans Jérusalem depuis la Cisjordanie. Selon les chiffres de l’armée, à l’époque où l’ordonnance a été publiée, 134 immeubles se trouvaient déjà sur le terrain désigné comme zone non constructible. Depuis lors, des dizaines d’autres immeubles ont été construits, et à mi-2019, il y avait déjà 231 immeubles dans la zone, dont de hautes tours construites à seulement quelques dizaines de mètres de la clôture, répartis entre les zones dites A, B et C.

En novembre 2015, l’armée a annoncé son intention de démolir 15 immeubles à Wadi al-Humos. Environ une année plus tard, en décembre 2016, l’armée a démoli trois autres immeubles dans le quartier. En 2017, les propriétaires et locataires de 15 immeubles menacés de démolition ont saisi la Cour suprême par l’intermédiaire de la Société St Yves – Centre catholique pour les droits de l’homme. Ce recours soutenait, entre autres, que la plupart des immeubles avaient été construits après réception du permis de construire de l’Autorité palestinienne, et que les propriétaires et locataires n’étaient même pas au courant de l’ordonnance interdisant la construction.

Au cours des audiences pour ce recours, l’armée a accepté d’annuler les ordonnances de démolition pour deux des immeubles. Quant aux 13 autres, l’armée a annoncé que pour quatre d’entre eux, la démolition serait partielle. Le 11 juin 2019, la Cour suprême admettait la position de l’État et jugeait qu’il n’y avait aucun obstacle juridique à la démolition des immeubles.

La décision de la Cour suprême, rédigée par le juge Meni Mazuz, a pleinement accepté le cadrage de la question par l’État comme étant d’ordre purement sécuritaire. Elle a ainsi complètement ignoré la politique israélienne qui vise à limiter la construction par les Palestiniens à Jérusalem-Est, et le chaos de l’urbanisme dans l’enclave de Wadi al-Humos qui a permis la construction massive dans la zone – dont les autorités israéliennes étaient pleinement conscientes. Comme dans de nombreux cas, les juges n’ont pas abordé dans leur décision la question de la politique israélienne, qui empêche quasiment complètement toute construction palestinienne à Jérusalem-Est, avec l’objectif d’imposer une majorité démographique juive dans la ville –, une politique qui oblige les habitants à construire sans le permis. La grave pénurie de construction dans Jérusalem-Est, donc à Zur Baher, était à l’origine de la demande du village de déplacer la clôture de séparation vers l’est. Mais les juges ont décidé que les démolitions des maisons étaient nécessaires pour des raisons de sécurité, parce que une construction près de la clôture « pouvait permettre de cacher des terroristes ou des étrangers illégaux » et favorisait « la contrebande d’armes ».

Le jugement précise aussi dans quelle mesure le « transfert de compétences » vers l’Autorité palestinienne dans les Zones A et B, dans le cadre des accords provisoires, n’avait aucune signification pratique – sauf pour la nécessité de promouvoir la propagande israélienne. Quand cela répond à ses propres besoins, Israël s’appuie sur ce « transfert de compétences » pour cultiver l’illusion que la plupart des habitants de la Cisjordanie ne vivent pas vraiment sous occupation, et qu’en réalité, l’occupation est presque terminée. Tandis que lorsque cela ne convient pas à Israël, comme dans le cas présent, il élimine l’apparence de « gouvernement autonome », soulève des « arguments de sécurité », et réalise qu’il contrôle totalement l’ensemble du territoire et de ses habitants.

Les juges ont rejeté, presque avec désinvolture, l’argument des demandeurs selon lequel ils n’étaient pas au courant de l’existence de l’ordonnance qui leur interdisait de construire et qu’ils avaient construit en s’appuyant sur les permis qu’ils avaient reçus de l’Autorité palestinienne, et les juges ont décidé que les habitants « se faisaient justice eux-mêmes ». Selon le tribunal, les habitants auraient dû être au courant de l’ordonnance. Les juges se sont appuyés à cet égard sur les dispositions de l’ordonnance qui exigent que son contenu soit porté « autant que possible » à la connaissance des habitants, notamment en l’accrochant, avec des cartes à faible résolution difficiles à comprendre, dans le bureau de Coordination du district, et de même sur les arguments des représentants de l’État présents devant eux. Ce faisant, les juges ont totalement ignoré les faits pertinents : que l’armée n’avait rien fait pour porter l’ordonnance à la connaissance des habitants avant novembre 2015, que l’ordonnance avait été publiée des années après la construction de la clôture et celle des immeubles, que même alors rien n’avait été fait pendant les premières années pour la faire appliquer, et qu’aucun effort réel n’avait été tenté pour s’assurer que les habitants étaient bien informés de l’existence de l’ordonnance – pas même une action aussi évidente et simple que d’afficher cette ordonnance sur les murs des habitants.

Cette décision de la Cour suprême peut avoir des implications considérables. En divers endroits de Jérusalem-Est (comme Dahiat al-Barid, Kafr Aqab et le camp de réfugiés de Shuafat) et en d’autres parties de la Cisjordanie (comme a-Ram, Qalqiliyah, Tulkarm et Qalandia al-Balad), de nombreux logements résidentiels ont été construits à proximité de la clôture de séparation. En outre, du fait de la politique d’urbanisme israélienne qui empêche les Palestiniens d’obtenir des permis de construire, de nombreux autres immeubles ont été construits sans permis, à défaut d’un autre choix. Cette dernière décision de justice accorde à Israël l’autorisation juridique de démolir toutes ces maisons, se cachant derrière « des arguments de sécurité », afin de mettre à exécution sa politique illégale.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Btselem.org

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