Israël utilise l’archéologie pour effacer l’histoire non juive

Par Talya Ezrahi et Yonathan Mizrachi – 29 mai 2019

A chaque Journée de Jérusalem, des milliers de personnes se rendent à Jérusalem, agitant des drapeaux en défilant à travers la Vieille Ville, dans ce que l’on connaît sous le nom de « parade des drapeaux », pour célébrer la victoire de la guerre des Six Jours à Jérusalem. Alors qu’elle danse dans les rues du Quartier musulman, on entend souvent la foule, constituée en grande partie d’étudiants des Yeshivas, lancer des slogans racistes tout en se dirigeant vers le Mur Occidental. Cet étalage brutal de muscle nationaliste est un rappel annuel pour les résidents musulmans et chrétiens de qui est le patron.

Aussi critiquable soit-elle, la parade des drapeaux dure une journée. En supposant que la journée se passe sans allumer de conflit incontrôlable, le lendemain, la ville redevient elle-même et le Quartier musulman retrouve son identité arabe.

Mais quelque chose de plus structurel et de plus durable est en train de transformer le caractère cité historique de Jérusalem en un lieu où un seul récit a droit de cité. Cette transformation prend place dans et autour des sites anciens de la ville qui, au cours des 20 dernières années, se sont vu accorder un rôle central pour déterminer qui a des droits exclusifs sur la ville.

C’est vrai pour les deux côtés du conflit. Pour la droite israélienne, les antiquités de Jérusalem, selon les termes de la ministre de la Culture Miri Regev, « donnent vie à la Bible et soutiennent le meilleur ‘Kushan’ » – titre de propriété – « que nous ayons ». Son gouvernement a lancé des fouilles ambitieuses et un programme de développement du tourisme.

Et de leur côté, on entend souvent les Palestiniens nier l’existence même du Temple. Un projet de construction conduit par le Waqf islamique sur l’Esplanade des mosquées à la fin des années 1990 a provoqué d’énormes destructions d’antiquités.

Le fait que les deux côtés s’engagent dans une guerre archéologique ne signifie pas que le terrain de jeu soit à égalité. Israël contrôle le bassin historique et la quantité de sites sous ses auspices lui donne la capacité de configurer la cité historique.

Par ailleurs, en Israël, l’archéologie a toujours été liée au projet de construction de la nation. L’historien Amos Elon a un jour expliqué que les archéologues israéliens ne font pas des fouilles uniquement pour découvrir et connaître, mais pour réassurer leurs racines.

Mais à Jérusalem, la preuve de ses racines pour une personne devient la preuve du statut d’un autre en tant que transgresseur illégitime.

A Jérusalem, l’exploitation de l’archéologie a été conduite par la Fondation Elad, association de colons convertis en entrepreneurs de l’archéologie qui utilisent les sites anciens pour s’approprier la terre et configurer le récit historique. Elad, qui a émergé il y a 30 ans avec pour mission d’installer les Juifs dans les maisons des Palestiniens du quartier de Silwan, dirige le populaire parc archéologique, la Cité de David.

Les visiteurs du site s’offrent un récit fortement biblique où les découvertes qui trouvent un écho dans l’histoire du Roi David ou le Royaume de Judée sont mises en avant. Le fait que les archéologues  contestent l’évidence d’un royaume au 10ème siècle avant notre ère est souvent non mentionné.

En plus, sur le demi million de personnes qui visitent annuellement le parc, peu ont connaissance de la vie des Palestiniens dans ce quartier depuis qu’Elad est entré en scène. Ils n’entendront probablement jamais parler de la façon dont Elad s’est emparé de 75 maisons du quartier, ou a quasiment fermé les espaces publics utilisés par les résidents et les a annexés au parc archéologique.

Avec un budget annuel d’environ 100 millions de shekels, la Fondation Elad dirige maintenant plusieurs projets de fouilles dans la Cité de David, y compris des tunnels le long de l’ancienne voie romaine, qu’elle vend comme la route vers le Temple des pèlerins de l’époque de Second Temple. Elle s’est récemment réorientée pour installer de nouveaux projets à l’intérieur de la Vieille Ville et dans d’autres zones du Bassin Historique.

Mais Elad n’aurait pas pu le faire toute seule. Si elle a tout d’abord été regardée avec méfiance par les autorités dans les années 1990, elle a désormais ses entrées dans de nombreuses agences gouvernementales et ministères. Depuis la Direction des Antiquités israéliennes, qui a en charge la plupart des fouilles de la Cité de David, et la Direction de la Nature et des Parcs, qui a sous-traité Elad pour diriger le site, jusqu’au ministre du Tourisme, qui installe agressivement un téléphérique pour joindre Jérusalem Ouest et la Cité de David, au maire de Jérusalem, le gouvernement et tous les services compétents sont engagés dans le projet de conception d’une vaste zone touristique dédiée aux périodes de Premier et du Second Temple.

Dans les tunnels du Mur Occidental, la Fondation du Patrimoine du Mur Occidental, organisme gouvernemental qui gère le site, utilise une approche similaire. Ici aussi, les visiteurs sont canalisés dans une zone archéologique homogène où les restes des époques non associées au passé juif ne sont presque pas mentionnées.

Prenez par exemple Khan Daraj al-’Eyn, hammam mamelouk du 14ème siècle. Aujourd’hui, il héberge une exposition sur les ancêtres juifs et une salle des fêtes. Aucune pancarte ne fait savoir au visiteur qu’il s’agit d’une structure mamelouk, ou qu’elle a été construite par le gouverneur de Damas, Sayf al-Din Tankaz, qui a été responsable de quelques-uns des bâtiments les plus impressionnants de l’époque.

L’Histoire de Jérusalem est aussi diverse qu’elle est longue. Alors que la présence d’une richesse en découvertes pour stimuler le sentiment de la continuité juive ne fait aucun doute, il existe beaucoup de couches dans cette ville qui séduisent diverses communautés culturelles et religieuses. Prétendre à une propriété exclusive fondée sur des découvertes archéologiques n’est pas le reflet de découvertes archéologiques, mais le récit d’histoires où de larges pans de l’histoire sont supprimés.

Cette vision sélective du passé de la ville permet à des milliers d’agitateurs de drapeaux nationaux-religieux de danser dans tout le Quartier musulman en s’imaginant que les Musulmans et les Chrétiens sont une perturbation passagère dans une histoire dominée par l’appartenance juive. C’est aussi ce qui rendra plus difficile d’imaginer partager la souveraineté sur la ville.

Préserver l’héritage multiculturel de Jérusalem et sauvegarder son avenir pour tous ses résidents n’est pas qu’une préoccupation pour libéraux. Dans le cas de Jérusalem, il s’agit de sauver la ville telle que nous la connaissons.

Talya Ezrahi et Yonathan Mizrachi travaillent pour Emek Shaveh, ONG israélienne qui travaille à protéger les sites anciens en tant que sites d’un héritage partagé et de provoquer ceux qui se servent des antiquités pour déposséder d’autres de leur terre et de leur histoire.

Les vues et opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Forward.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Forward

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