Israël détient une étudiante américaine depuis une semaine. Mais ça n’intéresse personne, elle n’est pas juive.

Peter Beinart – 9 Octobre 2018

Quand j’ai été arrêté à l’aéroport Ben Gourion en Août, Benjamin Netanyahu s’est excusé. Alors pourquoi ne s’excuse-t-il pas auprès de Lara Alqasem? Après tout, je n’ai été détenu qu’une heure alors que cela fait une semaine qu’elle est en détention. J’ai eu le droit d’entrer sur le territoire, elle risque la déportation.

Une réponse possible à cette question est que lorsqu’elle était à l’Université de Floride, Lara Alqasem, 22 ans, faisait partie d’une association qui soutient le boycott d’Israël. Ce qui va à l’encontre d’une loi qu’Israël a voté l’année dernière, permettant aux autorités d’empêcher d’entrer sur le territoire les personnes actives dans des organisations pro-boycott.

Mais cette même loi permet également à Israël d’empêcher d’entrer les personnes qui appellent publiquement à boycotter les colonies israéliennes en Cisjordanie, ce que j’ai fait.

Je suis aussi coupable qu’elle. Peut-être même plus car Lara Alqasem nie maintenant totalement qu’elle soutient le boycott d’Israël alors que je continue fièrement de scruter les étiquettes chez mon caviste pour être sûr que je n’achète pas de vin de Cisjordanie.

La réponse la plus honnête est que Lara est palestino-américaine alors que je suis juif américain. Et le gouvernement israélien présuppose que, lorsqu’il s’agit d’Américains aux origines palestiniennes, arabes ou musulmanes, ce qu’il leur fait ne va pas vraiment attirer l’attention de la presse américaine ni l’indignation du gouvernement américain. Il peut faire à peu près ce qu’il veut.

Malheureusement il présuppose bien.

A cause de son caractère unique, les juifs américains n’étant généralement pas embêtés à Ben Gourion, ma détention a provoqué un article dans le The New York Times.

L’histoire de Lara Alqasem est jugée moins intéressante parce qu’elle est plus banale. L’Arab American Institute rapporte des centaines de cas d’Américains arabes se rendant en Israël “étant détenus pendant des heures pour être interrogés ; se voyant refuser l’entrée sur le territoire et forcés d’acheter un billet retour ; étant obligés de remettre leur passeport américain et de faire, contre leur volonté, un document d’identité palestinienne ; se voyant refuser la permission de sortir ; étant fouillés au corps ; ou se faisant voler ou délibérément détruire leurs biens par les agents israéliens de l’aéroport.”

A l’heure actuelle, le gouvernement des États-Unis dit aux Américains palestiniens et arabes de s’attendre à avoir des ennuis à leur entrée en Israël. En 2008, le Département d’État déclarait que “les citoyens américains que les autorités israéliennes jugent avoir des origines palestiniennes ont de fortes chances de subir des interrogatoires supplémentaires et souvent longs de la part des autorités de l’immigration et des frontières.” En 2015, il déclarait que “le gouvernement US demeure inquiet quant au traitement inégal que les Américains palestiniens et les autres Américains arabes reçoivent aux frontières et points de contrôle.”

Mais cette inquiétude ne se traduit pas en pression significative. James Zogby, de l’Arab American Institute, a fournit aux élus américains des “preuves écrites” au sujet des mauvais traitements reçus par les Américains arabes et palestiniens à leur entrée en Israël. La réponse : “mon gouvernement a haussé les épaules comme pour dire ‘nous avons essayé. On ne peut rien faire de plus.’”

Voilà le problème de Lara Alqasem : autant pour les médias que pour le gouvernement américain, les mauvais traitements infligés par Israël aux Américains palestiniens et arabes est tellement normalisé qu’il suscite à peine un haussement d’épaule.

Mais, après tout, pourquoi les personnes telles que Lara Alqasem ne devraient-elles pas être particulièrement surveillées ? Les Américains palestiniens ne sont-ils pas plus enclins à commettre des violences en Israël que des gentils garçons juifs américains comme moi ?

Cette logique pose plusieurs problèmes. Premièrement, même si cela était vrai, les démocraties libérales ne devraient pas se livrer à du profilage racial, religieux ou ethnique car cela constitue une forme de punition collective. Elles devraient plutôt surveiller les individus qui, en tant qu’individus, ont agit de telle sorte que l’on peut penser qu’ils constituent une plus grande menace.

Imaginez que les États-Unis rassemblent des preuves suggérant que les visiteurs israéliens aux États-Unis sont plus enclins à commettre des crimes que les visiteurs suédois, et décident alors de systématiquement interroger les touristes israéliens pendant des heures, allant même jusqu’à fouiller leurs téléphones et ordinateurs portables, alors que les Suédois passeraient sans problème. La Ligue Anti-Diffamation crierait au scandal.

D’autre part, cela est loin d’être prouvé que les Américains palestiniens ou arabes représentent une plus grande menace en Israël que les Américains juifs. Entre Janvier et Avril de cette année, le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies a enregistré 84 actes de violence ou de dégâts matériels causés par des colons contre des Palestiniens en Cisjordanie. Le nombre est probablement bien plus élevé. Israël réprimande si rarement les violences des colons (d’après l’association israélienne des droits humains, Yesh Din, entre 2005 et 2017, seuls trois pourcents des enquêtes de la police israélienne pour des crimes idéologiques commis par des Israéliens juifs contre des Palestiniens de Cisjordanie ont mené à une condamnation), nombres de Palestiniens ne s’embêtent pas à rapporter les attaques des colons. Même lorsque c’est Yesh Din qui documente une attaque, seuls quatre Palestiniens sur dix en 2016 l’ont rapporté à la police israélienne.

D’après la maître de conférence à l’université d’Oxford, Sarah Hirschhorn, auteure de City on a Hilltop: American Jews and the Settler Movement, les Juifs américains constituent une part démesurée de la population des colons. Donc si Israël cible des Américains palestiniens comme Lara Alqasem pour des contrôles car ils sont censés représenter une menace terroriste, pourquoi ne cible-t-il pas également les Américains juifs qui vont dans les colonies en Cisjordanie ? Ou au moins ceux se rendant dans des colonies comme Yitzhar, réputées pour être particulièrement violentes.

La réponse est évidente : parce que les colons crieraient à la discriminations. Et puisque les colons, à l’inverse des Palestiniens de Cisjordanie, sont des citoyens israéliens, leur voix a plus de poids auprès du gouvernement israélien. Elle a également plus de poids auprès du gouvernement américain. L’actuel ambassadeur américain en Israël, David Friedman, a longtemps été à la tête de l’organisation qui lève des fonds pour la colonie Bet El.

La maltraitance des plus vulnérables se cache souvent en plein jour. De nombreuses femmes, et quelques hommes, savent à quel point les agressions et le harcèlement sexuels étaient fréquents aux États-Unis. Et jusqu’à ce qu’un mouvement de masse change la culture politique américaine, de nombreux agresseurs jouirent d’impunité (c’est toujours le cas pour certains).

Il faudra là aussi un mouvement de masse pour la justice afin que cesse l’impunité qui permet à Israël de détenir Lara Alqasem, et de perdurer le double standard qui fait de ma détention un plus gros évènement que la sienne.

J’espère que cela arrivera vite, de notre vivant.

Traduction : LG pour l’Agence Média Palestine
Source : Forward

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