Les liens entre les pratiques policières aux États-Unis et la sécurité en Israël

Lincoln Anthony Blades – 16 juillet 2018

Les deux pays sont accusés de violations des droits humains.

Do Better est la tribune libre de l’écrivain Lincoln Anthony Blades qui débusque les idées fausses en matière de politique des races, de culture, et de société – parce que si nous étions mieux informés, nous agirions mieux.

Le 19 juin, le Secrétaire d’État Mike Pompeo et l’Ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies Nikki Haley ont annoncé que l’Amérique se retirerait du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, un organe intergouvernemental établi en 2006 pour protéger les droits de l’homme dans le monde.

En 2017, Haley a accusé le Conseil de « parti-pris chronique contre Israël » et c’est la raison qui a été invoquée pour justifier le retrait des États-Unis du Conseil dans l’annonce faite en juin. Quelques jours après cette annonce, Israël a annoncé avoir temporairement réduit sa participation dans l’organisation. La solidarité des États-Unis et d’Israël s’exprime alors même que les deux pays sont accusés de violations des droits de l’homme : les premiers pour avoir arraché de jeunes enfants demandeurs d’asile à leurs parents, et le deuxième pour son traitement violent des manifestants palestiniens, dont on dit que beaucoup n’étaient pas armés.

De nombreuses théories ont tenté d’expliquer les raisons de cette relation, qui dure depuis plusieurs décennies, entre les États-Unis et Israël. On a parlé de leurs intérêts communs dans la lutte contre l’extrémisme religieux, et du rôle que les États-Unis jouent dans la défense et la protection des frontières controversées d’Israël. Quelle qu’en soit la cause, ce soutien n’est pas que verbal ; il s’appuie sur un échange de fonds et d’armes. Les États-Unis ont donné 134.7 millions de dollars US à Israël en aide publique et financement de missiles de défense, en faisant le plus grand récipiendaire d’aide des États Unis en montants cumulés depuis la 2ème guerre mondiale.

En plus de leurs échanges d’argent et d’armes, Israël et les États-Unis partagent une histoire de pratiques policières sur-militarisées. En Amérique, ce genre de pratiques policières a attiré l’attention lors de la réaction du département de la police de Saint Louis aux émeutes de Ferguson en 2014, suite à la mort de Mike Brown. S’il y avait déjà quelque chose de discordant dans les images d’officiers de police locale portant des tenues militaires et équipés d’armes utilisées dans l’armée, accompagnant des tanks déployés dans les rues de quartier, et tirant des gaz lacrymogènes contre des citoyens consternés, il a été encore plus troublant de lire l’allégation sur Twitter que les grenades lacrymogènes tirées contre les manifestants de Ferguson étaient les mêmes que celles qui avaient été lancées contre des manifestants palestiniens quelques jours plus tôt, toutes fabriquées aux États-Unis.

Trois ans avant les manifestations de Ferguson, Tim Fitch – le chef de ce même Département de police du Comté de Saint Louis responsable d’avoir lancé des gaz lacrymogènes contre des militants et des citoyens engagés – avait suivi en Israël un cours d’une semaine sur les activités de police anti-terroristes, donné par des membres de la police, des services secrets et de l’armée israéliens.

Cette formation était organisée par la « Ligue Anti-Diffamation » (Anti-Defamation League, ADL), qui donne son Séminaire anti-terroriste national en Israël depuis 2004. Ce séminaire, centré sur la répression des émeutes, la contre-insurrection et le contre-terrorisme, attire des participants variés, dont des policiers de quartier, des agences de contrôle de l’immigration et même des polices de campus universitaires. Et de fait, The Intercept rapporte que des centaines de représentants de la loi venant de plus de 100 départements de police des États-Unis et d’ailleurs ont assisté à ces conférences depuis qu’elles ont commencé. Les sessions de formation incluent également des rencontres avec des officiers du Shin Bet, le service israélien de la sécurité intérieure, selon The Intercept. Un enquêteur de ce service a récemment été accusé de torture et fait l’objet d’une enquête criminelle, et des militants disent que de telles pratiques sont généralisées, malgré une décision de la Cour Suprême israélienne il y a vingt ans condamnant certaines méthodes d’interrogatoire, selon Al Jazeera.

Les participants ont également rencontré l’unité spéciale de patrouille Yasam de la police israélienne, qui a été accusée d’usage démesuré de la force envers les Palestiniens. Alors que l’approche israélienne de la répression des manifestations – que beaucoup perçoivent comme inhumaine – s’est affichée ces derniers mois, ses tactiques policières ont été jugées comme excessivement agressives par des Israéliens éthiopiens comme par des Palestiniens.

Le 30 mars, des soldats israéliens ont tiré à balles réelles sur 773 Palestiniens. Beaucoup n’étaient pas armés, et au moins 15 d’entre eux ont été tués, alors que des dizaines de milliers de Palestiniens, y compris des femmes et des enfants, s’étaient rassemblés pour réclamer le droit au retour des réfugiés et de leurs descendants sur leurs terres en Israël. Cette immense manifestation, nommée la Grande marche du retour, devait être une manifestation pacifique de six semaines près de la barrière de séparation entre Israël et Gaza. Pourtant, les militaires israéliens ont affirmé que la plupart des 17 000 Palestiniens qui participaient à cette manifestation étaient en fait présents pour déclencher une émeute, sous le prétexte que quelques jeunes avaient couru vers la barrière de séparation en jetant des pierres, des cocktails Molotov ou d’autres objets. Israël interdit formellement aux Palestiniens de s’approcher de la barrière de séparation et les snipers ont donc ouvert le feu. Danny Danon, l’ambassadeur israélien auprès des Nations Unies, a rejeté les critiques contre le massacre de masse des Palestiniens comme des agressions injustifiées, disant que la manifestation était « une rencontre terroriste bien organisée et violente ».

Les liens entre la police des États-Unis et cette force militaire ont été critiqués. En septembre 2017, un membre du Conseil de Washington DC, David Grosso, a écrit au Chef du Département de la police métropolitaine Peter Newsham, condamnant le Commandant Morgan Kane pour sa participation l’année précédente à une formation. Il a déclaré à The Intercept : « Cela m’est apparu comme une mauvaise idée, que ce soit en Israël ou ailleurs, d’aller se former auprès de militaires ou de membres de la police nationale – en bref, de personnes qui sont meilleures dans l’approche violente de la résolution des conflits ». Il a continué en disant que « nous n’avons pas besoin de plus de cela, ce dont nous avons besoin c’est d’une approche plus communautaire ». En Amérique, les forces de l’ordre dans de nombreux États ou au niveau local, n’exigent pas que les policiers soient formés aux techniques de désescalade. Les académies de police passent environ 110 heures à former les nouvelles recrues au maniement des armes et à l’auto-défense, selon Vox, alors que seules 8 heures sont dédiées à la formation à la résolution de conflit.

L’histoire récente des violences policières commises contre des citoyens noirs ou bruns non armés par des forces de l’ordre américaines reflète l’histoire récente d’Israël traitant les Palestiniens d’insurgés violents. Tout comme le gouvernement fédéral des États-Unis a catalogué des manifestants noirs d’« extrémistes », donné l’instruction à ses agences gouvernementales d’appliquer des politiques anti-musulmanes, et donné le pouvoir à l’agence de contrôle de l’immigration d’arracher de jeunes enfants à leurs parents, le gouvernement israélien semble confondre tous les manifestants palestiniens avec des extrémistes islamistes, tente de déporter des migrants africains vivant en Israël, et détient des milliers d’enfants palestiniens (payé par les impôts des États-Unis).

La formation et les renseignements que des membres des forces de l’ordre des États-Unis ont reçus en Israël peuvent avoir influencé les pratiques policières américaines. En plus de Fitch, Thomas Galati, qui est maintenant le chef du renseignement du Département de la police de New York, a également assisté à l’une des formations organisées par la Ligue Anti-Diffamation en Israël.

De plus, l’échange d’information est peut-être réciproque : en 2016, Israël a passé une loi d’« interpellation et fouille », très semblable à la pratique en cours à New York jusqu’en 2013, quand elle a été jugée inconstitutionnelle par un juge qui a déterminé qu’elle participait à la discrimination raciale et violait le 14ème Amendement. Les opposants aux mesures israéliennes d’« interpellation et fouille » les ont aussi qualifiées de « racisme flagrant ».

Les forces de l’ordre américaines partagent plus avec l’armée et les forces de l’ordre israéliennes que des méthodes policières semblables ; elles partagent la responsabilité de ce que beaucoup perçoivent comme de nombreuses violations des droits humains et des droits civiques. Tant que les deux pays ne feront pas de sérieux efforts pour améliorer leurs pratiques policières, beaucoup de citoyens continueront à mourir.

Traduction : M. V. pour l’Agence Média Palestine
Source : Teen Vogue

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