Israël va-t-il payer pour son dernier massacre à Gaza ?

Ali Abunimah, 2 avril 2018

Muslih Sheikh Khalil, 24 ans, est traité à l’hôpital al-Shifa de Gaza ville pour une blessure causée par une balle qui s’est fragmentée dans sa jambe. Il fait partie des 800 personnes blessées quand les forces israéliennes ont ouvert le feu à balles réelles sur les Palestiniens qui prenaient part le 30 mars, pour la Journée de la Terre, aux rassemblements le long de la frontière Gaza-Israël. Seize Palestiniens sont morts sous les tirs israéliens. (Mohammed Asad)

Cet article contient des images graphiques.

Les Palestiniens appellent à intensifier les campagnes mondiales pour isoler Israël après que son armée ait tué 16 personnes dans la Bande de Gaza et blessé presque 1.500 autres.

Cependant, Israël a refusé les demandes d’enquête internationale et son ministre de la Défense a félicité les soldats pour la tuerie de vendredi.

« Evoquant les souvenirs du massacre de manifestants pacifiques en 1960 à Sharpeville par le régime d’apartheid sud-africain, l’armée d’Israël a commis un nouveau massacre contre les civils palestiniens alors qu’ils commémoraient pacifiquement la Journée de la Terre des Palestiniens », a dit lundi le Comité National palestinien de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BNC).

Le BNC, association qui dirige le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), a exhorté les gens du monde entier à « prendre en compte l’exigence pour toutes les entités privées ou publiques de votre pays de mettre fin à toute coopération et/ou commerce avec l’armée israélienne et le ‘secteur de la sécurité’ ».

Il fait aussi appel à des campagnes accrues ciblant les sociétés et les institutions financières complices des crimes d’Israël.

Blessures dévastatrices

Lundi, le ministère de la Santé de Gaza a annoncé que Fares al-Ruqab, âgé de 29 ans, avait succombé aux blessures dont il souffrait après que des snipers israéliens aient ouvert le feu vendredi à l’intérieur du territoire.

Des dizaines de milliers de personnes ont pris part à la Grande Marche du Retour pour réclamer leur droit au retour sur les terres d’où les Palestiniens ont été chassés par un nettoyage ethnique et pour protester contre le blocus de Gaza vieux de dix ans.

Cela a fait monter à 16 le nombre de Palestiniens tués.

L’armée israélienne a blessé presque 1.500 personnes, dont plus de 800  par balles réelles, selon le ministère de la Santé.

Le docteur Mohammed Ziara, médecin généraliste à l’hôpital al-Shifa de Gaza ville, a postésur Twitter des photos qui montrent les blessures dévastatrices subies par les manifestants. Ziara a dit à The Electronic Intifada que ces photos avaient été prises par les chirurgiens de l’hôpital qui avaient soigné ces blessures.

https://twitter.com/Medo4Gaza/status/980747909108060161

Ces photos montrent que les forces israéliennes pourraient avoir utilisé des balles qui se fragmentent dans le corps, causant des dégâts considérables dans les tissus. Les balles à expansion ou à fragmentation sont interdites selon le droit international.

Manipulation israélienne

Pendant le week-end, Israël a continué à essayer de présenter les victimes de sa violence comme des militants inconditionnels qui avaient organisé une violente invasion en traversant la frontière.

Mais ce discours de propagande s’est dégonflé alors que sortaient des vidéos qui fournissaient des informations sur ce qui ressemble à des crimes de guerre, en particulier le tir mortel sur Abd al-Fattah Abd al-Nabi, 19 ans, alors qu’il s’éloignait en courant de la barrière frontalière Israël-Gaza. On dit que Abd al-Nabi a reçu une balle dans la tête.

Samedi, l’armée israélienne a tweeté une déclaration revendiquant l’entière responsabilité de ces meurtres, affirmant que « tout était juste et mesuré, et nous savons où a abouti chaque balle ».

Mais elle a rapidement effacé sa déclaration alors que surgissaient des preuves qui démentaient sa revendication.

Un massacre prémédité

D’ailleurs, l’association des droits de l’Homme B’Tselem avait alerté à l’avance sur les préparatifs et les menaces d’Israël de « tirer-pour-tuer sur des Palestiniens non armés ».

B’Tselem avait également alerté à propos des efforts d’Israël pour diriger son attaque préméditée sur les civils qui dénonçaient la « désastreuse réalité à Gaza ».

« Ne tenant aucun compte du désastre humanitaire à Gaza et de la responsabilité qui en incombait à Israël, [les responsables israéliens] décrivent la manifestation prévue sous l’appellation de risque pour la sécurité, et transforment les manifestants en terroristes, faisant référence à Gaza comme à une ‘zone de combat’ », a déclaré B’Tselem la veille du carnage.

On a vu aussi des exemples choquants d’incitation publique. La revue de droite Israel National News, par exemple, a publié un éditorial affirmant que « la direction palestinienne veut des photos de cadavres jonchant le sol et, pour une fois, dans l’intérêt de notre peuple, nous devrions les lui donner ».

« Ils pensent que nous n’aurons pas le cran de les abattre massivement et que notre hésitation leur permettra de nous attaquer », déclare le rédacteur à propos des Palestiniens. « Tirez pour tuer. Rien de moins. »

Voici la traduction de l’éditorial de la revue de droite Israel National News :
C’est aussi simple que ça. Changez les règles d’engagement maintenant. Les Palestiniens comptent sur ce qu’ils considèrent comme notre lâcheté. Ils pensent que nous n’aurons pas le cran de les abattre massivement et que notre hésitation leur permettra de nous attaquer. Ils viendront demain en très grand nombre, à travers les grilles et par les tunnels, dans l’eau et par delà des collines. Et la seule façon de les arrêter, la seule façon de protéger nos enfants, nos vies, notre pays, c’est de changer les règles d’engagement aujourd’hui. Tirez pour tuer. Rien de moins. Approcher de nos frontières signifie que vous voulez nous tuer. Nos lois, la Torah, les Dix Commandements, tout ce sur quoi sont fondés le Judaïsme et la Chrétienté, exigent que nous nous protégions. Que nous tuions afin de les empêcher de nous assassiner. Changez les règles d’engagement maintenant.

Lundi, B’Tselem a réagi à la manipulation agressive d’Israël. « Vendredi a été une journée sanglante, mais Israël est devenu depuis longtemps expert en blanchiment de ce genre de journées et semaines sanglantes », a dit l’association dans un tweet.

« Ne vous attendez à aucune enquête et, même si il y en a finalement une, ne vous attendez certainement pas à une reconnaissance de responsabilité », a ajouté B’Tselem.

Demandes d’enquête

L’exigence d’une enquête est cependant devenue la pièce maîtresse de la réaction internationale officielle au massacre israélien.

Le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres et l’Union Européenne ont tous deux demandé une enquête internationale.

Ces demandes peuvent être perçues comme cyniques : elles permettent aux responsables internationaux d’être vus comme s’ils prenaient une ferme position alors qu’ils évitent toute condamnation claire des actions d’Israël, comme si ce qui est arrivé demeurait un mystère.

Même si, comme on pouvait s’y attendre, les Etats Unis ont bloqué toute action du Conseil de Sécurité de l’ONU, où Washington détient un veto, le Conseil aux Droits de l’Homme de l’ONU pourrait commander une enquête indépendante, comme celle sur l’attaque israélienne de 2014 sur Gaza.

Cette enquête avait apporté des preuves évidentes de crimes de guerre de la part d’Israël, mais n’avait abouti à aucune reconnaissance de responsabilité.

En réalité, comme le BNC l’a déclaré lundi, la violence d’Israël a été « enhardie par le niveau sans précédent de soutien de l’administration Trump xénophobe aux Etats Unis et par la complicité incessante de l’Union Européenne ».

Cette complicité demeure toujours aussi évidente.

Dans un langage semblable à celui des robots, les gouvernements de l’UE ont exprimé au cours du week-end leur »profonde inquiétude » à propos de la situation à Gaza, mais n’ont prononcé aucune condamnation claire d’Israël  et ont appelé à la « retenue » de la part de tous, comme si l’occupant et l’occupé étaient égaux en puissance et en responsabilité.

https://twitter.com/francediplo/status/980519503200169984

Voici la traduction du tweet du ministère des affaires étrangères irlandais :

Le Tanaiste et ministre des Affaires Etrangères et du Commerce, Simon Coveney TD, a exprimé son émoi et son inquiétude devant les récents développements à Gaza.
Le Tanaiste a dit :
« Mes premières pensées vont aux personnes tuées ou blessées et à leurs familles. La situation demeure clairement extrêmement dangereuse et j’appelle tous ceux qui y sont impliqués, spécialement les forces israéliennes, à faire preuve de la plus grande retenue. Je soutiens aussi la demande du Secrétaire général de l’ONU d’une enquête indépendante et transparente sur ces incidents.
 « Ces événements mettent en lumière le besoin urgent d’un processus de paix crédible, piloté internationalement qui puisse traiter la situation humanitaire à Gaza et le chemin vers deux Etats, Israël et la Palestine, vivant ensemble en paix et en sécurité. L’Irlande et l’UE sont prêtes à jouer un rôle dans le développement de ce processus, avec les Etats Unis et d’autres, et dans la planification et l’investissement pour un avenir meilleur. »

 

Les expressions de « profonde inquiétude » sont l’équivalent diplomatique international des « pensées et prières » creuses, continuellement offertes après des tueries massives par les politiques américains qui n’ont pas l’intention de faire quoi que ce soit pour régler le problème.

Alors, pourquoi l’UE réclamerait-elle une enquête maintenant alors que sa seule réponse dans le passé a été, au mieux de ne rien faire, ou, plus caractéristiquement, d’élever le niveau de ses récompenses à Israël ?

Une conclusion raisonnable est que les demandes d’enquête ne sont rien de plus qu’une tentative pour apaiser l’indignation publique devant le massacre prémédité par Israël.

Lieberman félicite pour le massacre 

Il y a cependant une opportunité immédiate de tester le sérieux de l’UE.

 Israël a déjà déclaré qu’il ne coopérera à aucune enquête, et son ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, a fait l’éloge du massacre, déclarant que l’armée « avait fait ce qu’il fallait faire ». 

« Je pense que toutes nos troupes méritent des félicitations », a ajouté Lieberman.

Une UE sérieuse en ce qui concerne les droits de l’Homme et la responsabilité n’aurait pas besoin d’attendre une enquête de l’ONU pour condamner vigoureusement Lieberman : à tout le moins, elle imposerait des sanctions diplomatiques.

Comparez avec ce qui s’est passé à Salisbury en Grande Bretagne il y a quelques semaines. Les gouvernements européens, qui agissent maintenant comme s’ils avaient besoin d’une enquête de l’ONU pour découvrir ce qui s’est passé, vendredi dernier à Gaza, devant les yeux du monde, n’ont pas attendu d’avoir quelque preuve solide de l’implication du gouvernement russe dans l’empoisonnement de l’ancien agent double Sergei Skripal et de sa fille pour expulser des dizaines de diplomates russes.

 Ce double standard nous rappelle la décision rapide de l’UE pour imposer des sanctions à la Russie lorsqu’elle a annexé la Crimée en 2014, même alors que l’UE refuse depuis 50 ans d’initier quelque action que ce soit contre la colonisation continue de la Cisjordanie occupée par Israël.

Le BNC réclame un embargo immédiat sur les armes en direction d’Israël mais, étant donné l’étendue du soutien de l’UE à l’industrie de guerre d’Israël, cela ne pourra se faire que si la pression populaire s’intensifie.

 Signe encourageant, des responsables de l’UE ont identifié l’année dernière à titre privé l’opposition exprimée par des gens ordinaires écoeurés par les violations des droits des Palestiniens comme l’un des « défis les plus importants » concernant leurs projets d’une relation encore plus étroite avec Israël.

 

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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