Entreprendre en ces temps de pauvreté

 

Par Mousa Tawfiq,  The Electronic Intifada,  18 avril 2017

Samira Toman, à gauche, enseigne la broderie traditionnelle à des femmes. Mohammed Asad

Samira Toman est passée d’auto-didacte à professeure.

« Cela fait presque 40 ans que je brode », a dit cette mère de famille de 55 ans à l’Electronic Intifada.

« J’ai appris à me servir d’une aiguille et de fil à l’école. J’achetais du fil dentaire et du tissu avec mon argent de poche pour coudre avec mes sœurs à la maison ».

Elle a fait bon usage de son talent. Gaza reste engluée dans une situation économique catastrophique, isolée du reste du monde par le blocus israélien, avec des niveaux obstinément élevés de chômage et subissant les séquelles de la brutalité des trois attaques militaires des dix dernières années.

Mais la vie continue et, pour certains, la nécessité s’est faite mère de l’invention. Toman s’est inspirée du patrimoine palestinien pour créer une petite activité économique qui l’a vue non seulement exposer à Gaza mais commencer à organiser des ateliers dans lesquels elle enseigne à d’autres personnes de cette bande côtière appauvrie.

« La broderie m’a aidée financièrement » a dit Toman qui vit dans le quartier al-Zaytoun de la ville de Gaza. Mon mari travaillait comme ouvrier en Israël avant l’année 2000. Depuis, il travaille dans une petite épicerie qui n’est pas très rentable. J’ai fait de mon mieux pour aider à élever nos enfants ».

Toman a également mis en avant l’importance de la broderie au point de croix comme élément de son patrimoine.

« Je ne peux pas imaginer ma vie sans cela. J’ai appris à coudre à mes cinq filles. Même un de mes fils est intéressé et il est très bon en couture. Nous devrions apprendre à nos enfants comment préserver notre culture parce que c’est la seule preuve de notre existence historique sur cette terre ».

Depuis 2008, Toman a exposé sa production dans Gaza et elle jouit d’une réputation de plus en plus élogieuse parmi les institutions locales et les boutiques de vêtements traditionnels.

Elle a reçu l’aide du Centre des Affaires Féminines, une association qui se consacre à aider des femmes à Gaza à améliorer leurs savoir-faire et à prendre conscience de leur potentiel. Outre l’exposition des vêtements qu’elle réalise, le centre lui a fourni une pièce où elle a commencé à enseigner l’art de la broderie.

Un marché s’offre au patrimoine

Les cours ont eu beaucoup de succès. L’an dernier, près de 40 personnes ont appris à broder et ont lancé leurs propres projets, a-t-elle indiqué.

« Je crois fermement à mon message. J’apprends à des femmes à être artistes. Je les aide à acquérir une technique simple qui peut améliorer leur situation économique. De plus, le fait de passer des heures à se servir d’aiguilles et de fil nous relaxe et nous fait oublier la pression ».

Pour Anam Siyam, qui a 62 ans, la broderie faisait partie de son travail de professeure d’art jusqu’à sa retraite il y a deux ans.

Une allergie l’a empêchée de poursuivre dans sa passion pour la sculpture du marbre et de la glaise. Alors elle s’est tournée vers la couture.

« C’est plus propre, plus simple et cela ne nécessite pas d’avoir un équipement important ; juste une aiguille et du fil ».

Anam Siyam, une professeure en retraite, fait de la couture chez elle.

Selon Siyam, la demande pour des vêtements traditionnels est bien là, malgré leurs prix élevés.

« Nous avons remarqué que certains tailleurs se sont mis à faire des vêtements à la machine avec des motifs de broderie traditionnels. Bien que ce soit trois fois moins cher que des choses faites à la main, les gens préfèrent nos productions » a-t-elle dit. « Les gens apprécient l’art et croient dans la beauté qui émane de notre patrimoine ».

Siyam et ses cinq filles essaient de faire la promotion de leur production sur les réseaux sociaux ainsi que de façon directe auprès de leurs parents et voisins dans la zone de Sheikh Radwan de la ville de Gaza où elles vivent. Et ses filles la soutiennent totalement.

« Ma mère n’a pas accepté l’idée de rester à la maison sans rien faire » a dit Amina âgée de 21 ans, la plus jeune des filles d’Anam. « Pour elle, il ne s’agit pas de profit ni d’argent. C’est sa passion. Nous faisons de notre mieux pour l’encourager et promouvoir sa production juste pour l’aider à faire ce qu’elle aime ».

Créatrice de beignets

Lorsque Tasneem Shalayel, une femme de 23 ans, est allée l’été dernier aux États Unis pour participer à une formation en management, elle a été émerveillée par la variété des doughnuts qu’on trouve partout.

« Je mangeais des doughnuts pendant les pauses et j’étais surprise de la variété de leurs saveurs et de leurs formes ».

Shalayel s’est renseignée sur les doughnuts auprès de ses amis américains. Elle est aussi allée demander dans des restaurants des recettes et d’autres astuces à des chefs.

En octobre dernier, de retour à Gaza, elle a décidé de faire des doughnuts dans la cuisine de la maison familiale, dans le quartier de tel al-Hawa de la ville de Gaza. Elle a fait la promotion de ses créations sur les réseaux sociaux et elle dit que les réactions ont été encourageantes.

Tasneem Shalayel fait des doughnuts chez elle et en fait la promotion sur les réseaux sociaux. Mohammed Asad

Ensuite, après son diplôme – Shalayel a obtenu un bac professionnel en gestion d’entreprise de l’Université Al-Azhar, elle a poussé plus loin son idée, même si ce n’est que « pour jouir de mon temps libre en faisant quelque chose que j’aime ».

« J’ai décidé de faire des doughnuts à la maison et de les vendre en ligne. Ma famille m’a encouragée. J’ai choisi les doughnuts parce que j’ai appris à les faire en Amérique et que je peux être créative en matière de formes et de nappage ».

Pour Shalayel, en faisant des doughnuts c’est davantage le côté créatif que culinaire qui compte. Ayant des dons en peinture, elle crée des doughnuts très colorés à partir de tous les ingrédients disponibles à Gaza.

Résultat : son audience sur les réseaux sociaux a explosé. Et, le projet rencontrant un certain succès, la jeune entrepreneuse, qui envisage de faire un mastère en gestion d’entreprise internationale, se préoccupe d’étendre son activité.

« J’aime travailler. J’ai hâte d’ajouter de la pizza et des brioches à la cannelle à mon menu».

Une maison de couture à Gaza

Quand elle était enfant, Nermin al-Dimiati, une jeune femme de 30 ans, était tellement fascinée par les défilés de mode télévisés que lorsqu’elle a terminé le lycée, elle a voulu étudier le stylisme. Mais cette formation n’existait pas à Gaza et elle s’est tournée vers des études d’histoire et d’archéologie.

Mais elle n’a jamais abandonné son rêve.

« En 2013, j’ai commencé à dessiner des vêtements dans ma chambre après un an de cours de dessin dont j’ai été diplômé. Mes clientes étaient des voisines et des parentes » a dit al-Dimiati ». Ma famille m’a encouragée et a cru en mon talent.

Une année plus tard, al-Dimiati a fait, dans un hôtel local, sa première exposition de vêtements conçus spécialement pour être portés avec le hijab ou foulard de tête. Le succès de cette exposition l’a persuadée de continuer et d’ouvrir son propre atelier.

« L’ouverture de mon atelier a été une étape très importante. Maintenant j’ai des clients de tous âges. La plupart sont des femmes parce qu’elles se sentent à l’aise avec moi qui suis une femme, plus qu’avec des tailleurs qui sont en général des hommes.

Nermin Demiati dans son atelier de mode. Mohammed Asad

La plus grande difficulté qu’a rencontrée al-Dimiati jusqu’à présent a été de convaincre les gens que les créateurs de mode sont différents des tailleurs, ces derniers ne manquant pas à Gaza.

«  Au début, c’était difficile, mais maintenant les gens ont commencé à comprendre la différence. Je suis vraiment satisfaite de la nouveauté de la culture et de l’art que nous créons à Gaza. De nombreux collègues se sont mis à se présenter comme des créateurs de mode plutôt que des tailleurs. C’est bon pour notre profession ».

Le mariage n’a pas modéré les ambitions d’al-Dimiati. Elle dit que cela l’a encouragée à s’améliorer et à chercher une réussite supérieure.

« Depuis mon mariage, mon mari a joué un rôle très important en m’encourageant et en me soutenant. De nombreuses femmes à Gaza abandonnent leurs rêves quand elles se marient et ont des enfants, mais ce n’a pas été mon cas. »

Al-Dimiati rêve d’ouvrir un centre de mode à Gaza, qui puisse s’occuper et améliorer les talents d’autres aspirants stylistes. Elle espère aussi garantir des opportunités de voyage à l’étranger pour des stylistes locaux afin qu’ils acquièrent plus d’expérience.

« Il y a quatre ans, je travaillais seule dans ma chambre. Maintenant j’ai un atelier qui fait travailler plus de six tailleurs. Je vais faire de mon mieux  pour aider d’autres stylistes talentueux à réaliser leur rêves.

Mousa Tawfiq est un journaliste de Gaza.

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Electronic Intifada

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