Autorité palestinienne: d’inquiétants scénarios de statu quo

Par Asem Khalil – Al-shabaka – 5 octobre 2016

Présentation

Conventionnellement on considère que l’Autorité palestinienne (AP) a un rôle indispensable pour gouverner les Territoires palestiniens occupés (TPO). L’AP est souvent décrite comme une réussite nationale puisqu’elle a permis pour la première fois d’avoir des Palestiniens qui gouvernent une population palestinienne sur une terre palestinienne. De plus, l’AP a fourni des centaines de milliers d’emplois à des Palestiniens dans le secteur public. L’Autorité palestinienne est aussi l’interlocuteur préféré de la communauté internationale – plutôt que Organisation de libération de la Palestine (OLP). Enfin, pour Israël, l’AP permet le maintien de l’ordre public dans les principales villes de Cisjordanie.

Alors que l’AP semble toujours être au centre des enjeux politiques palestiniens, en interne comme à l’extérieur, elle n’a apporté que peu de vrais changements à la façon dont la Cisjordanie est gouvernée en 22 ans d’existence. Et dans les faits, la gouvernance de l’AP est quasiment insignifiante. Cette impuissance va jouer sur le statu quo qui se dessine et que décideurs politiques et défenseurs des droits de l’homme feraient bien de comprendre.

Qu’est-ce qui a changé dans la gouvernance post-Oslo (et ce qui n’a pas changé)

L’Autorité palestinienne a été établie en 1994 dans le cadre des accords d’Oslo. Elle était supposée ne fonctionner que pendant un maximum de 5 ans, une solution définitive devant alors lui succéder. Ce cadre de gouvernement des accords d’Oslo est largement resté inchangé pendant que les négociations de paix échouaient encore et encore. Ceci a permis à Israël de demeurer comme force d’occupation exerçant le pouvoir sur les TPO pendant que l’Autorité palestinienne devenait le principal fournisseur de services publics pour les populations de Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Sous le gouvernement de l’AP, les municipalités et comités des camps de réfugiés ont continué à fonctionner de la même façon qu’avant son établissement; certains ayant d’ailleurs une longue histoire comme Ramallah qui vient de commémorer le centième anniversaire de sa municipalité. Bien entendu l’AP a produit de nouvelles législations qui affectent les gouvernances locales, en particulier l’élection des membres du conseil municipal et l’établissement d’un ministère du Gouvernement local. Toutefois la structure des municipalités, la perception des taxes et la direction des fonctionnaires y servant ont conservé leur organisation pré-AP, dépendant ainsi au minimum de l’institution centrale. D’ailleurs il n’y a eu création d’aucune structure gouvernementale de coordination entre municipalités et l’autorité centrale, ni même aucune demande pour un changement.

«  La faiblesse de l’autorité palestinienne va jouer sur le statu quo politique d’une façon que décideurs politiques et défenseurs des droits de l’homme feraient bien de comprendre. »

Les institutions religieuses des différentes communautés de Cisjordanie déterminent principalement les lois relatives aux individus et à la famille. Différentes sectes chrétiennes ont chacune leur propre code du statut personnel et ce sont des tribunaux ecclésiastiques qui traitent des questions relatives au statut personnel, sur lesquels les juridictions civiles n’ont aucune compétence (1). Pour les musulmans, les tribunaux de la Charia sont organisés de façon semblable en Cisjordanie (2). La création de l’AP n’a donc ni produit de nouvelles lois, ni changé celles qui existaient dans ce domaine, ni enfin modifié les structures et juridictions des tribunaux religieux. En ce qui concerne les affaires pénales et criminelles, les tribunaux palestiniens se basent sur la Mécelle, le Code civil ottoman et sur le droit pénal jordanien (3).

Par ailleurs l’Autorité palestinienne a conservé l’usage des tribunaux militaires tels qu’ils avaient été adoptés par l’OLP. Leur maintien signifie que les lois martiales sont toujours applicables aux sujets palestiniens et, à travers la sureté d’Etat, aussi aux civils. Simultanément, les tribunaux militaires israéliens réglementent les espaces de Cisjordanie contrôlés par Israël: les terrains réservés à l’armée, les réserves naturelles et la zone C. Les tribunaux militaires palestiniens et israéliens existaient tous deux avant la création de l’AP et continuent à fonctionner, Autorité palestinienne ou pas.

L’AP a introduit de nouvelles lois destinées à unifier le système juridique de la Cisjordanie et de Gaza mais dans la pratique les deux systèmes ont maintenu des différences substantielles. La prise de contrôle de Gaza en 2007 n’a fait que les intensifier. L’Autorité palestinienne a tenté d’unifier le système juridique au moyen d’une législation centrale dont la plupart des lois ont été adoptées par le Conseil législatif palestinien, le parlement des Territoires palestiniens occupés, dès les premières élections en 1996. Mais ce dernier ne s’est plus réuni depuis le putsch du Hamas en 2007 et depuis, la législation n’est plus effectuée que par décrets du président de l’Autorité palestinienne. Ce contrôle direct des services administratifs par le président de l’AP a favorisé leur déresponsabilisation, en particulier parce que le président dirige aussi le Comité exécutif de l’OLP.

Après 2007 le Hamas a commencé à créer sa propre législation et à gouverner la bande de Gaza avec le gouvernement intérimaire dirigé par Ismaël Haniyeh. Le gouvernement palestinien d’union nationale de 2014 comprenait 17 technocrates rassemblés sous la présidence de Rami Hamdallah. Son travail principal était de préparer des élections législatives et présidentielles et ne devait durer que 6 mois au maximum. Malheureusement ce plan n’a pas pu se réaliser et le gouvernement de l’Autorité palestinienne est toujours en place. L’AP n’a pu se rendre qu’une fois à Gaza sans avoir en réalité aucune possibilité de la gouverner. En conséquence, l’activité législative dans les TPO continue sans aucune centralisation.

L’Autorité palestinienne ne traite que d’affaires internes pendant que son président et ses conseillers – sans aucune consultation publique – prennent part aux négociations avec Israël et gère les relations avec la communauté internationale alors que celles-ci relèvent de l’OLP. De fait, le Comité exécutif de l’OLP désapprouve souvent certaines initiatives présidentielles, comme la reprise des discussions avec Israël sans demander un gel préalable de la colonisation.

Tous ces exemples illustrent un point fondamental: il n’y a aucun vrai appareil politique cohérent ou fonctionnant de façon régulière dans les TPO. L’espace politique est resté fragmenté, sans autorité unifiée à l’intérieur de l’AP, sans système de gouvernement défini. L’Autorité palestinienne continue à dépendre d’individus qui détiennent certaines responsabilités, en particulier de leurs liens avec la communauté des donateurs internationaux qui soutiennent ce qu’on appelle le « processus de paix »; tandis qu’elle maintient une coopération et une coordination sécuritaire avec Israël.

Il y a toutefois un domaine dans lequel l’AP a une véritable influence: l’appareil de sécurité. Ce secteur a joué un rôle central dans sa structure après 2007 et l’essentiel de l’aide étrangère, Etats-Unis et surtout Union Européenne, est utilisée à la formation de forces de sureté. La plus grande partie du budget de l’Autorité palestinienne étant consacrée à ces forces ainsi qu’aux salaires du personnel civil de l’AP, ceci a créé un énorme réseau de fonctionnaires et de policiers qui maintiennent la survie de ce gouvernement tout en lui permettant de s’assurer un minimum de maîtrise de la population. L’appareil sécuritaire est donc nécessaire à l’AP et l’AP est nécessaire à l’appareil de sécurité qu’elle a créé.

Toutefois, les administrations de la sécurité et la fonction publique de l’Autorité palestinienne ne sont pas unifiées. Leurs systèmes internes ne sont pas interconnectés et l’information circule rarement entre départements. De plus, les forces de sécurité ont une direction fragmentée rapportant principalement au président de l’AP plutôt qu’au ministre de l’Intérieur ou même au Conseil des ministres. Ce sont les réformes entreprises depuis 2003 qui ont apporté un sentiment d’amélioration de l’ordre dans les villes dirigées par l’AP et non le résultat d’une réorganisation de ces différentes forces. C’est d’ailleurs aussi la coordination avec les autorités israéliennes, en particulier les programmes de renforcement des capacités des forces de sécurité, qui a permis à Israël depuis 2007 d’éviter d’avoir à souffrir de violences sérieuses (au moins jusqu’aux récentes attaques au couteau conduites principalement par de jeunes Palestiniens). Ceci s’était traduit jusqu’à récemment par l’allègement de certains points de contrôle et une augmentation des permis d’entrée à Jérusalem-Est occupée et en Israël (mais pas à Gaza).

Cette inflation d’emplois publics créés par l’AP a créé une dépendance profonde, à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, dans la gestion de l’Autorité palestinienne et ce, en dépit de problèmes de disparité des salaires et d’une inefficacité dans l’emploi de ces ressources humaines. A celles-ci s’ajoutent des politiques financières qui ont augmenté la dépendance économique des Palestiniens. Tout ceci crée une situation où la disparition de l’AP provoquerait une crise économique et financière.

En effet, l’AP en Cisjordanie a contribué à accélérer un boum économique dans certains secteurs, en particulier celui du bâtiment qui s’est traduit par des augmentations de prix des terrains et des logements. Ramallah, le centre politique de l’Autorité palestinienne, a été façonnée en une ville pour les plus fortunés: ceux qui possédaient déjà de la terre, les entrepreneurs, les grandes compagnies ou ceux qui ont bénéficié de marchés résultant des accords d’Oslo. Ces marchés ont permis de créer des monopoles aux mains d’officiels de haut rang de l’AP, en particulier ceux en relation avec l’importation de produits de base. Ainsi, une nouvelle élite économique voit ses intérêts se superposer et se partager avec ceux de la direction politique actuelle. Ces développements signifient aussi que ce qui apparait comme une amélioration de la situation économique est en fait le résultat d’un fossé grandissant entre riches et pauvres. De plus, la majorité de la croissance repose sur des prêts et les prix ne reflètent pas les valeurs réelles.

Scénarios probables pour le futur de l’AP: toujours (et encore) la même chose

L’Autorité palestinienne ne gouverne plus la Bande de Gaza depuis 2007. On peut même argumenter qu’elle n’a pas non plus gouverné la Cisjordanie: l’AP est là simplement pour entretenir l’appareil de sécurité et l’administration civile et elle durera tant qu’elle peut préserver sa relation de co-dépendance avec la communauté des donateurs internationaux et avec l’appareil sécuritaire israélien.

Le bail de l’AP va certainement se poursuivre à court comme à moyen terme, le statu quo en partie dépendant de la fracture entre Cisjordanie et Gaza y contribuant. Cette séparation ne dépend d’ailleurs pas que de la rupture Fatah-Hamas, elle est bien plus ancienne que 2007, il faut remonter jusqu’en 1948, date à laquelle la Cisjordanie et la bande de Gaza sont respectivement passées sous contrôle jordanien et égyptien. La politique d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés n’a fait qu’aggraver cette coupure qui – même si une réconciliation se produit – durera très probablement longtemps encore, à cause de profondes différences, tant au niveau social, qu’économique ou politique.

Le Hamas de la bande de Gaza, à la différence du Fatah de Cisjordanie, n’est probablement pas appelé à durer. Le changement de régime en Egypte a amené au pouvoir un président idéologiquement plus proche de l’Autorité palestinienne et décidé à combattre l’organisation égyptienne des Frères musulmans et les mouvements islamistes en général. Ce changement profite indirectement à l’AP et va en toute probabilité l’aider à survivre. Inversement, il pourrait favoriser la disparition du Hamas.

« L’Autorité palestinienne ne gouverne plus la Bande de Gaza depuis 2007. On peut même argumenter qu’elle n’a pas non plus gouverné la Cisjordanie »

Mais, même si le Hamas reste au pouvoir – et sans un accord officiel entre le Hamas et Israël – il est plus que probable qu’une « solution » temporaire puisse être trouvée pour la bande de Gaza. Ce genre de solution ne serait pas très éloigné de la logique mise en oeuvre pour justifier le retrait de Gaza en 2005 par Ariel Sharon. Il en résulterait probablement des mouvements limités (quoique possibles) d’entrée et de sortie de personnes et de biens de Gaza, à travers des frontières israéliennes sécurisées. Un tel accord ne pourrait être réalisé qu’avec le soutien et les garanties du gouvernement et de l’armée d’Égypte, Israël n’ayant aucun contrôle sur le point de passage de Rafah – le seul entre l’Égypte et Gaza. Voilà un élément de ce qui constituerait une situation de « statu quo augmenté » – statu quo + dans ce qui suit.

Le statu quo+ est le terme que j’utilise concernant un État de Palestine non souverain, complètement dépendant de la communauté de bailleurs internationaux et d’Israël. Cela veut dire que la politique actuelle d’Israël, qui vise à étendre les zones sous son contrôle et à créer un système duel en Cisjordanie, l’un pour les colons et les citoyens israéliens et l’autre pour la population locale, s’accentuerait dans le temps. L’AP resterait en charge de la population palestinienne locale, sans aucune autorité sur les Israéliens. Il serait nécessaire qu’elle se coordonne avec Israël pour conserver le contrôle de la population locale. Un tel système remplit toutes les conditions de l’institutionnalisation de l’apartheid (4).

L’AP ne servirait que d’intermédiaire à la population palestinienne dans ce régime d’apartheid. Elle ne prendrait pas la forme d’une autorité nationale centralisée, mais consisterait en un groupe recruté dans l’élite politique et économique ainsi que dans l’appareil de sécurité et l’administration civile, que l’on pourrait appeler la « Bureaucratie palestinienne ». Avec le temps, ce groupe se ferait davantage complice de la structure de l’apartheid de la Cisjordanie.

Cette élite politique et économique profiterait des privilèges inhérents à l’autorité d’occupation. Israël continuerait à construire des colonies et le Mur de Séparation, qui dissocie Jérusalem Est du reste des territoires occupés et qui annexe de fait des parties du territoire palestinien au-delà de la Ligne Verte ; Israël fragmenterait même davantage les zones peuplées de Cisjordanie de manière à incorporer la plupart des colonies d’Israël et la Vallée du Jourdain. La Bureaucratie palestinienne, via les profits retirés de « l’État de Palestine » nouvellement reconnu, se séparerait à terme de l’OLP (ou de l’organisme prétendant représenter la population palestinienne de la Diaspora).

Le Statu quo+ impliquerait que l’AP de Cisjordanie cherche des moyens d’étendre sa « souveraineté » hors de la continuité territoriale ou d’un contrôle unifié de la population. La reconnaissance formelle de la Palestine par l’Assemblée Générale des Nations Unies comme État non-membre en 2012, comme la ratification de traités internationaux, servirait à accélérer le processus de recherche de scénarios post-étatiques, avant même qu’un véritable État ne soit créé (5).

C’est pour cette raison qu’il serait nécessaire à l’AP de développer sa participation avec les autorités jordaniennes. Son objectif de renforcement des liens avec la Jordanie inclurait des projets antérieurs, dont l’option d’une confédération avant la mise en place d’un État véritable. La Jordanie, cependant, ferait sans doute en sorte d’éviter un accroissement de sa population palestinienne (6). Cette situation pourrait satisfaire à la fois Israël et la Jordanie. Israël continuerait à contrôler la plus grande partie de la Cisjordanie, sans résistance sérieuse et avec des frontières sécurisées, tandis que la Jordanie bloquerait tout transfert de population et pourrait engager (ou intensifier) un processus de dénaturalisation de certains de ses citoyens d’origine palestinienne, du fait de l’établissement d’un État palestinien – fût-il symbolique.

Ce système de Statu quo+ ne tiendrait pas dans la durée parce qu’il ne satisferait pas au droit des Palestiniens à l’auto-détermination. Nombreux sont ceux qui croient, à juste titre, que cette réalité future conduirait à l’effondrement de la solution à deux États. Pourtant, contrairement à ce sur quoi l’on s’accorde conventionnellement, l’alternative ne serait pas la solution d’un État unique, mais plutôt la solution de non-État. Une telle solution reviendrait à maintenir et consolider des autorités autonomes dans la population palestinienne – mais dans des domaines rejetés par les autorités israéliennes. Cela vaudrait tant pour la Cisjordanie que pour la bande de Gaza, quoique distinctement. Cela pourrait même s’appliquer à différentes régions de Cisjordanie.

À moyen terme, cette solution sans État pourrait conduire à une solution à (au moins) trois États. À côté d’Israël, qui garderait le territoire acquis en 1948, plus le tracé élargi du Mur de Séparation, les Palestiniens établiraient un mini-État dans la bande de Gaza. Cet État serait démilitarisé et placé sous la protection et le soutien du gouvernement égyptien. Le troisième État serait établi en Cisjordanie, moins Jérusalem Est. Cet État aurait l’apparence d’une structure fédérant des ethnies : une zone pour les colons juifs et une autre pour la population palestinienne locale – mais ce serait en réalité un régime d’apartheid qui, dans le temps pourrait évoluer en État binational. Avec plus de temps, il pourrait être incorporé à Israël ou peut-être suivre une voie propre et devenir simplement un État de plus en plus juif.

« Le statu quo sera intenable dans la durée parce qu’il ne satisfait pas au droit des Palestiniens à l’autodétermination. »

Au cas où cet « État » binational/d’apartheid resterait séparé d’Israël, il ne serait pas reconnu par d’autres États qu’Israël, lequel entretiendrait avec cet État une relation qui serait, mutatis mutandis, semblable au lien que la Turquie entretient avec la partie turque de Chypre. « L’État de Cisjordanie » (des colons) ou, qui sait, « l’État de Judée et Samarie », servirait à maintenir la sécurité des frontières pour Israël. L’existence même d’une population palestinienne dans cet État aiderait aussi Israël à accroître et améliorer ses liens avec les pays arabes de la région, ce qui contribuerait à l’intégration d’Israël dans le Moyen Orient. Au-delà, l’État pourrait même aider Israël à dénaturaliser ses propres citoyens palestiniens. Même si ces individus restaient en Israël afin d‘éviter une réaction de la communauté internationale qui ne verrait pas d’un bon œil un transfert forcé de la population, ils deviendraient citoyens de cet État binational. La dénaturalisation consisterait alors en un processus juridique et politique par lequel des Palestiniens seraient exclus du corps politique israélien – sans, toutefois, de déplacement physique.

Échec de la solution à deux États et possibilités révolutionnaires

Il ne fait pas de doute que la solution à deux États a échoué. Plusieurs raisons expliquent cet échec. Tout d’abord, la séparation de la bande de Gaza du reste des TPO s’est faite irréversible du fait du retrait israélien en 2005 et du putsch du Hamas en 2007. La dépendance de l’AP vis-à-vis d’Israël en tant que puissance occupante est indéniable et elle n’a pas été affectée par la résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU de reconnaissance de la Palestine comme État non-membre. La Cisjordanie a été davantage morcelée par la construction de routes de contournement pour les colons, la création de nouvelles colonies, la croissance de celles qui existaient et l’érection du Mur de Séparation. Tous ces tristes développements ont rendu impossible la solution à deux États.

La solution d’un État unique n’est pas nécessairement la seule alternative. Le statu quo actuel est susceptible d’une grande longévité, quoique, avec certains changements, il pourrait se muer en un système de statu quo+. Cela peut conduire à moyen terme à la solution sans État pour la Cisjordanie et la bande de Gaza, qui pourrait évoluer en solution à trois États : l’un palestinien, l’autre juif et un autre État formellement binational ou fédérant des ethnies, mais en réalité un régime d’apartheid substantiellement mis à jour, dont l’élite de la Bureaucratie palestinienne serait l’interlocuteur de la population locale.

Les deux premiers scénarios sont susceptibles de conduire à la « stabilité » à court et moyen termes et le troisième aboutirait à une fragmentation plus poussée du corps politique palestinien. Mais la stabilité que ces scénarios potentiels amèneraient n’est pas réelle. Elle ne serait que le résultat de la domestication et du confinement de la population locale et de la gestion de pressions régionales et internationales. De tels arrangements ne sont pas supportables dans le long terme parce qu’ils sont fondés sur un corps illégitime qui a recours à la force pour contrôler une population contre son gré. Ainsi que l’a montré l’histoire, cette sorte de régime peut rester en place pour un certain temps mais ne peut durer indéfiniment.

Avec le temps, et dans l’hypothèse d’un climat régional et international plus souple, un quatrième scénario, de nature révolutionnaire, peut certes devenir l’alternative au statu quo actuel, le statu quo+ et la solution à trois États. Cette option révolutionnaire est par définition, imprévisible. Mais si, ou quand, elle se produit, personne ne pourra expliquer pourquoi les autres options sont restées en place aussi longtemps.

Asem Khalil: membre d’Al-Shabaka, Asem Khalil est Professeur associé de Droit Public, Chaire H.H. Shaikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani en droit constitutionnel et international, Birzeit University. Il est l’ancien doyen de la Faculté de Droit et d’Administration publique (2012-2015), et de l’Institut Ibrahim Abu-Lughod d’études internationales (2010-2012). Le Dr. Khalil est titulaire d’un Ph.D. en Droit Public, de l’université de Fribourg en Suisse, d’un Master en Administration publique de l’École Nationale d’Administration de France, et d’un doctorat Utriusque Juris, de l’université de Latran en Italie. Parmi ses dernières publications: “de Palestiniens à Citoyens: la citoyenneté est-elle une solution au problème des réfugiés palestiniens?” (Middle East Law and Governance).

Traduction MO et SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Al Shabaka

1: “Al-Mahakim Al-Kanasiyya fi Falastin,” Al-Qada’ al-shara’i wa al-kanasi fi Falastin, Asem Khalil, (Birzeit, Palestine: Institute of Law, 2012), 4-27.

2. Même situation dans la bande de Gaza. A Jérusalem-Est, les lois sont celles des autorités jordaniennes car la Jordanie y a conservé ses liens après sa séparation de la Cisjordanie en 1988. Pour plus d’information, voir Mahmoud Dodeen, “Taqrir hawla al-mahakim al-shar’iyya fi Falastin,” Al-Qada’ al-shara’i wa al-kanasi fi Falastin (Birzeit, Palestine: Institute of Law, 2012), 28-51. 

3. La bande de Gaza a récemment adopté un nouveau code civil; son droit pénal est basé sur celui du mandat britannique.

4. L’auteur est conscient des différences entre l’ancien régime d’apartheid sud-africain et l’occupation israélienne actuelle de la Palestine. Pour autant, la différenciation d’avec l’exemple sud-africain ne fait pas moins de la situation palestinienne un cas d’apartheid. En l’absence d’une comparaison plus adéquate, l’apartheid demeure l’expérience la plus similaire à ce qui se passe dans les territoires occupés par Israël depuis 1967.

5.  En septembre 2011, le président de l’AP a présenté une requête de statut de membre de l’ONU à part entière pour la Palestine. Cela suppose d’avoir une recommandation du Conseil de Sécurité de l’ONU par une majorité de 9 des 15 membres, dont les cinq membres permanents, et une majorité des deux-tiers lors d’un vote en Assemblée Générale de l’ONU. La requête n’a pas été acceptée, faut des voix suffisantes lors du vote au Conseil de Sécurité pour la Palestine. Voir Michelle Esposito : « Update on Conflict and Diplomacy – 16 août 2011 – 15 novembre 2011, « Journal of Palestine Studies 41, 2 (2012) : 153-189

6.Le roi de Jordanie, dans un discours de juin 2012, a dit que toute discussion de ce type serait impossible jusqu’à l’établissement intégral d’un État indépendant. Le discours a été publié en partie.

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