Après la dévastation de Gaza : « Mon fils m’a demandé : quand aura lieu la prochaine guerre ? »

Tous les yeux se tournaient vers Gaza cet été, alors qu’Israël soumettait la population palestinienne à 51 jours de siège et de bombardements. A quoi ressemble la vie là-bas maintenant que la guerre est finie et que le monde a les yeux ailleurs ?

Atef Abu Saif, The Guardian, mercredi 17 décembre 2014

Gaza ruins

Batiments détruits à Shejaya, quartier résidentiel de la ville de Gaza, le 26 juillet. Photographe : Majdi Fathi/NurPhoto/Corbis

Comment ça va à Gaza ? C’est comme vivre dans un reportage. Un reportage sans fin, plein d’une imagerie violente, absolument irréel. Ce n’est certes pas un divertissement. La guerre livrée en juillet et août est terminée, mais pour ceux qui sont restés sans maison, ou privés de tout, ou dont les moyens de vivre ont été détruits, la guerre n’est pas du tout finie. Les Gazaouis ne sont pas hantés par le passé, ou par le chagrin ; ils sont hantés par le futur, l’incertitude sur leur possibilité de faire face.

Des milliers d’entre eux vivent encore dans des écoles construites avant la guerre par l’UNWRA (Agence de secours aux réfugiés de l’ONU), puis converties en centres d’urgence pour les réfugiés. Cela veut dire que les autres écoles doivent accueillir deux fois plus d’élèves dans leurs classes. La semaine dernière, je suis allé dans une des écoles de l’UNWRA à Beit Hanoun : du linge pendait à chaque fenêtre, des familles s’entassaient dans les salles de classe, les cours de récréation étaient pleines de l’inquiétude et de la tristesse de mères déplacées, des filles faisaient patiemment la queue devant le réservoir d’eau. Ce n’est pas différent de ce que ces gens ont subi pendant la guerre, sauf que le monde ne les regarde plus.

Pour répondre à la demande, les loyers de Gaza ont atteint des sommets. Quelques personnes exploitent la situation, s’installant chez des gens de la famille et louant leur maison à des prix astronomiques. Personne ne contrôle la situation. Mon ami Tariq a perdu sa maison de trois étages cet été, et il est fatigué d’attendre les matériaux de construction pour commencer à reconstruire. La vue, tous les matins, de tout ce qu’il possède transformé en décombres l’a fait tomber en dépression. Cela fait trois mois, et personne ne lui a fourni une réponse satisfaisante sur quand la reconstruction pourra débuter. Finalement, il s’est lassé d’attendre de l’aide et a commencé à déblayer les gravats, tout seul et à ses frais.

La dévastation est partout. Parfois, j’ai l’impression que les Gazaouis ont tellement l’habitude de ce genre de destruction qu’une nouvelle guerre n’y change rien. Nous somme habitués aux guerres, et à tout perdre. Nous essayons de nous accrocher aux petits moments de plaisir que la vie peut nous donner. Parfois cependant, sous la peine et les souffrances, le vrai coeur de Gaza continue à battre : les pêcheurs rêvent encore de pouvoir prendre leurs bateaux sans être torpillés ; des acteurs en puissance s’imaginent revenant avec un Oscar ; une de mes étudiantes m’a dit l’autre jour en classe qu’elle projetait de devenir Miss Monde.

Mais Gaza a l’air vieille aujourd’hui. Et elle n’ a pas besoin de maquillage pour retrouver son air de jeunesse – elle a besoin de paix, elle a besoin de prendre une longue et profonde respiration pendant plus que quelques mois, et de rechercher sa propre identité en tant que ville.

Une semaine après la fin de la guerre, un journaliste suédois m’a demandé : « Qui à votre avis a gagné la guerre ? » J’ai répondu : « Moi. Je l’ai gagnée en survivant. » Quand je repense à ces 51 jours de bombardements, je réalise que les taches les plus sombres d’horreur et de panique sont toujours là. Pendant plusieurs semaines après le cessez-le-feu, je me suis senti comme si j’étais encore en plein dedans. Comme la plupart des gens, je me sentais empoisonné par la proximité de la mort, et nous souffrons encore de flashbacks. Mon fils Mostafa m’a demandé l’autre jour : « Papa, quand aura lieu la prochaine guerre ? » Il a onze ans et a été le témoin de trois guerres dans sa courte vie ; et déjà il envisage la quatrième.

Le Drone Mange Avec Moi : Un Journal de Gaza, d’Atef Abu Saif, a été édité par Comma Press en janvier.

Cet article a été corrigé le 18 décembre 2014. Le nom de l’auteur avait été mal orthographié. C’est corrigé.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Guardian

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