Cinq points de discussion israéliens sur Gaza: démystifiés

Noura Erakat – The Nation – 25 juillet 2014

Israël prétend qu’il ne fait qu’exercer son droit à la légitime défense et que Gaza n’est plus occupée. Voici ce que vous devez savoir sur ces points de discussion, et plus encore.

gaza_airstrike_2014_ap_img

Les fumées des frappes israéliennes s’élèvent au-dessus de la bande de Gaza (AP – Hatem Moussa)

Israël a tué près de 800 Palestiniens dans les vingt-et-un derniers jours, dans la bande de Gaza seulement ; son attaque se poursuit. Les Nations-Unies estiment que plus de 74 % des tués sont des civils. Ce qui n’est pas surprenant avec une population de 1,8 million d’habitants, où le nombre des membres du Hamas est d’environ 15 000. Israël ne nie pas avoir tué ces Palestiniens en utilisant une technologie aérienne moderne et du matériel de guerre de précision grâce à la générosité de l’unique superpuissance du monde. En fait, il ne nie même pas que ce sont des civils.

La machine de propagande d’Israël, cependant, insiste sur le fait que ces Palestiniens voulaient mourir (« culture du martyre »), qu’ils ont mis en scène leur propre mort (« morts télégéniques ») ou qu’ils ont été les victimes tragiques de l’emploi par le Hamas de l’infrastructure civile à des fins militaires (« boucliers humains »). Dans tous les cas, la puissance militaire est en train de reprocher aux victimes leurs propres morts, de les accuser de dévaloriser la vie, et d’attribuer ce mépris à une décadence culturelle. Dans le fond, Israël – avec les médias grand public conciliants qui acceptent incontestablement ce discours – déshumanise les Palestiniens, les prive même de leur état de victime, et légitime ses flagrantes violations des droits de l’homme et de la législation.

Ce n’est pas la première fois. Les images épouvantables de corps d’enfants décapités et d’une innocence volée sur les côtes de Gaza sont une lamentable répétition des agressions israéliennes contre Gaza de novembre 2012 et de l’hiver 2008-2009. Non seulement les tactiques militaires sont identiques mais aussi les efforts de relations publiques et les arguments juridiques fallacieux qui étayent les attaques. Inexplicablement, les commentateurs des informations dans les grands médias acceptent de tels arguments comme avérés.

Ci-dessous, j’aborde cinq points de discussions récurrents d’Israël. J’espère que ceci s’avèrera utile aux vedettes des actualités.


1 – Israël exerce son droit à la légitime défense

En tant que puissance occupante de la bande de Gaza, et plus généralement des territoires palestiniens, Israël a l’obligation et le devoir de protéger les civils sous son occupation. Il gouverne grâce à l’armée et à une autorité de force publique pour maintenir l’ordre, se protéger et protéger la population civile sous son occupation. Il ne peut simultanément occuper le territoire, usurpant ainsi les pouvoirs autonomes qui autrement appartiendraient aux Palestiniens, et lui déclarer la guerre. Ces politiques contradictoires (occuper un territoire et déclarer la guerre à ce même territoire) rendent la population palestinienne doublement vulnérable.

Les conditions précaires et instables dans la bande de Gaza dont souffrent les Palestiniens sont la responsabilité d’Israël. Israël soutient pouvoir invoquer le droit à la légitime défense en vertu du droit international comme défini à l’article 51 de la Charte des Nations-Unies (*). La Cour internationale de Justice, pourtant, a rejeté cette interprétation juridique erronée dans son avis consultatif de 2004 (http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1671.pdf). La CIJ y explique qu’une attaque armée qui déclencherait l’application de l’article 51 doit être imputable à un État souverain, mais que les attaques armées menées par les Palestiniens émergent du contrôle juridictionnel d’Israël lui-même. Israël a le droit de se défendre contre les attaques de roquettes, mais il doit le faire en conformité avec la loi de l’occupation et non avec les autres lois de la guerre. Les lois de l’occupation assurent une protection plus grande de la population civile. Les autres lois de la guerre équilibrent les avantages militaires et les souffrances des civils. Déclarer qu’« aucun pays ne tolèrerait des tirs de roquettes de la part d’un pays voisin » est par conséquent une diversion, et sans aucun fondement.

Israël dénie aux Palestiniens le droit de gouverner et de se protéger, tout en invoquant simultanément le droit à la légitime défense. C’est une énigme, et une violation de la législation internationale, une violation qu’Israël a provoquée délibérément pour se dérober à ses responsabilités.

2 – Israël s’est retiré de Gaza en 2005

Israël prétend que son occupation de la bande de Gaza a pris fin avec le retrait unilatéral de sa population de colons en 2005. Il a alors annoncé que la bande de Gaza était un « territoire hostile » et déclaré la guerre à sa population. Ni l’argument ni la déclaration ne sont défendables. Malgré le retrait des 8000 colons et de l’infrastructure militaire qui protégeait leur présence illégale, Israël a maintenu un contrôle effectif sur la bande de Gaza et ainsi, il reste une puissance occupante telle que définie à l’article 42 du Règlement de La Haye (**). Jusqu’à aujourd’hui, Israël a maintenu son contrôle sur l’espace aérien, les eaux du territoire, la sphère électromagnétique, le registre de la population et les mouvements de tous les biens et personnes.

Israël argue que le retrait de Gaza est la preuve que la fin de l’occupation n’apportera pas la paix. Certains vont même jusqu’à dire que les Palestiniens ont gaspillé leurs chances de construire un paradis pour construire à la place un refuge pour terroristes. Ces arguments visent à masquer les responsabilités d’Israël dans la bande de Gaza, aussi bien qu’en Cisjordanie. Comme l’a expliqué une fois le Premier ministre Netanyahu, Israël doit s’assurer de ne pas faire « une autre Gaza en Judée et Samarie… Je pense que le peuple israélien comprend maintenant ce que je dis toujours : qu’il ne peut y avoir de situation, en vertu d’un accord, où nous abandonnerions le contrôle de la sécurité du territoire à l’ouest du Jourdain ».

Les Palestiniens n’ont toujours pas connu ne serait-ce qu’un jour d’auto-gouvernance. Israël a aussitôt imposé un siège sur la bande de Gaza quand le Hamas a gagné les élections législatives de janvier 2006, et il l’a fortement resserré quand le Hamas a mis en déroute le Fatah en juin 2007. L’état de siège a créé une « catastrophe humanitaire » dans la bande de Gaza. Les habitants ne seront pas en mesure d’accéder à l’eau potable, à l’électricité ou même aux besoins médicaux les plus urgents. L’Organisation mondiale de la Santé explique que la bande de Gaza sera rendue invivable d’ici 2020. Non seulement Israël n’a pas mis fin à son occupation, mais il a créé une situation dans laquelle les Palestiniens ne peuvent survivre à long terme.

3 – Cette opération israélienne, entre autres, a été provoquée par les tirs de roquettes venant de Gaza

Israël met en avant que ses guerres actuelles et passées contre la population palestinienne de Gaza sont une réponse aux tirs de roquette. Une preuve empirique de 2008, 2012 et 2014 réfute cette allégation. D’abord, selon le ministère des Affaires étrangères d’Israël, la plus grande réduction des tirs de roquette a été obtenue par la voie diplomatique et non par des moyens militaires. Ce graphique (http://blog.thejerusalemfund.org/2014/07/gaza-cease-fire-dynamics-explained-what.html) démontre la corrélation entre les attaques militaires d’Israël sur la bande de Gaza et l’activité militante du Hamas. Les tirs de roquettes du Hamas augmentent en réaction aux attaques militaires israéliennes et décroissent en corrélation directe avec elles. Les cessez-le-feu ont apporté la sécurité la plus grande à la région.

Pendant les quatre mois du cessez-le-feu sous négociation égyptienne en 2008, les militants palestiniens ont ramené le nombre de tirs de roquettes à zéro, ou à un seul chiffre, dans la bande de Gaza. En dépit de cette sécurité et de ce calme relatifs, Israël a brisé le cessez-le-feu pour se lancer dans cette bien connue offensive aérienne et terrestre qui a tué 1400 Palestiniens en vingt-deux jours. En novembre 2012, l’assassinat extrajudiciaire par Israël du responsable de la branche militaire du Hamas à Gaza, Ahmed Jabari, alors même que celui-ci était chargé d’examiner les conditions pour une solution diplomatique, a brisé une fois encore le cessez-le-feu et précipité l’offensive aérienne de huit jours qui a tué 132 Palestiniens.

Immédiatement avant la plus récente des opérations d’Israël, les attaques de roquettes et de mortier du Hamas ne menaçaient pas Israël. Israël a délibérément provoqué cette guerre avec le Hamas. Sans fournir la moindre parcelle de preuve, il a accusé la faction politique de l’enlèvement et du meurtre de trois colons près d’Hébron. Quatre semaines et plus de 700 vies plus tard, Israël n’a toujours pas apporté la moindre preuve démontrant l’implication du Hamas. Durant les dix jours de l’opération Gardien de nos frères en Cisjordanie, Israël a arrêté environ 800 Palestiniens, sans inculpation ni jugement, il a tué neuf civils et pillé près de 1300 bâtiments résidentiels, commerciaux et publics. Son opération militaire a ciblé les membres du Hamas qui avaient été libérés lors de l’échange de prisonniers avec Gilat Shalit, en 2011. Ce sont ces provocations israéliennes qui ont précipité les tirs de roquettes, lesquels selon Israël ne lui auraient laissé d’autre choix que cette opération militaire épouvantable.


4 – Israël évite les victimes civiles, mais le Hamas cherche à tuer les civils

Le Hamas dispose d’une technologie rudimentaire en matière d’armement, qui n’a aucune capacité de ciblage. Ainsi, les attaques aux roquettes du Hamas violent ipso facto le principe de distinction, puisque toutes ses attaques sont faites sans discernement. Cela n’est pas contesté. Israël, cependant, ne serait pas plus tolérant avec le Hamas si celui-ci ciblait des objectifs strictement militaires, comme nous l’avons vu ces derniers temps. Israël considère le Hamas et toutes les formes que prend sa résistance, armée ou autre, comme illégitimes.

En revanche, Israël possède la onzième armée la plus puissante au monde, et certainement la plus forte du Moyen-Orient, et c’est une puissance nucléaire qui n’a pas ratifié le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, qui possède en outre une technologie en armes de haute précision. Avec l’utilisation des drones, des F16 et de son arsenal de technologie en armes modernes, Israël a la capacité de cibler des individus isolés et par conséquent d’éviter les victimes civiles. Mais, plutôt que de les éviter, Israël a maintes fois ciblé les civils, comme faisant partie de ses opérations militaires.

La doctrine Dahiya est au centre de ces opérations et se réfère aux attaques aveugles d’Israël au Liban en 2006. Le général Gadi Eisenkot a affirmé qu’elle serait appliquée ailleurs :

« Ce qui est arrivé au quartier Dahiya de Beyrouth en 2006 arrivera dans tout village d’où Israël sera visé. (…) Nous lui appliquerons une force disproportionnée et y causerons de grands dommages et destructions. De notre point de vue, ce ne sont pas des villages civils, ce sont des bases militaires. »

Israël est resté fidèle à sa promesse. La mission d’enquête des Nations-Unies de 2009 sur le conflit de Gaza, mieux connue sous le nom de Mission Goldstone, a conclu, « qu’à partir d’un examen des faits sur le terrain et dont elle a été le témoin, ce qui est prescrit comme la meilleure stratégie (Doctrine Dahiya) semble avoir été précisément celle qui a été mise en pratique. »

Selon les organisations National Lawyers Guild, Physicians for Human Rights-Israel et Amnesty International, Israël a directement pris pour cible les civils, ou causé de manière inconsciente des morts de civils durant l’opération Plomb durci (décembre 2008 – janvier 2009). Loin d’éviter la mort des civils, Israël les considère en réalité comme des cibles légitimes.

5 – Le Hamas cache ses armes dans les maisons, mosquées et écoles et utilise des boucliers humains.

C’est probablement l’allégation la plus insidieuse d’Israël, car il accuse les Palestiniens de leur propre mort et les prive même de leur état de victime. Israël avançait le même argument dans sa guerre contre le Liban en 2006 et dans sa guerre contre les Palestiniens en 2008. En dépit de ses croquis et plans militaires, Israël n’a toujours pas prouvé que le Hamas a utilisé l’infrastructure civile pour stocker ses armes militaires. Les deux cas où le Hamas a effectivement stocké des armes dans des écoles de l’UNRWA, ces écoles étaient vides. L’UNRWA a découvert les roquettes et a condamné publiquement la violation de son intégrité.

Les organisations internationales des droits de l’homme qui ont enquêté sur ces allégations ont déterminé qu’elles n’étaient pas exactes. Le nombre élevé des morts dans la guerre de 2006 d’Israël a été attribué à ses attaques aveugles. Human Rights Watch note :

« La preuve qu’Human Rights Watch a découverte dans ses enquêtes sur le terrain réfute l’argument (d’Israël)… nous avons trouvé des preuves solides que le Hezbollah stockait la plus grande partie de ses roquettes dans des bunkers et que les installations pour le stockage de ses armes se trouvaient dans des terrains inhabités et dans des vallées, que dans la grande majorité des cas les combattants du Hezbollah avaient quitté les zones peuplées de civils aussitôt que les combats avaient commencé, et que le Hezbollah avait tiré la grande majorité de ses roquettes depuis des positions préparées à l’avance à l’extérieur des villages. »

En fait, seuls les soldats israéliens ont systématiquement utilisé des Palestiniens comme boucliers humains. Depuis l’incursion d’Israël en Cisjordanie, en 2002, il utilise des Palestiniens comme boucliers humains en attachant de jeunes Palestiniens sur le capot de leurs véhicules ou en les forçant à entrer dans une maison où quelque militant aurait pu se cacher.

Même en supposant que les allégations d’Israël soient plausibles, le droit humanitaire oblige Israël à éviter des victimes civiles qui « seraient excessives par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ». Une force belligérante doit vérifier si un civil ou une infrastructure civile qualifie un objectif militaire. En cas de doute, « si un bien qui est normalement affecté à un usage civil, comme un lieu de culte, une maison ou autre habitation ou une école, est utilisé pour contribuer efficacement à l’action militaire, il doit être présumé ne pas être utilisé ainsi. »

Dans les plus de trois semaines de son opération militaire, Israël a démoli 3175 maisons, dont au moins une dizaine avec les familles à l’intérieur ; détruit cinq hôpitaux et six cliniques ; endommagé partiellement soixante-quatre mosquées et deux églises ; de partiellement à totalement détruit huit ministères ; blessé 4620 Palestiniens ; et tué plus de 700. Par eux-mêmes, ces chiffres indiquent les violations flagrantes d’Israël du droit humanitaire, des violations qui constituent des crimes de guerre.

Au-delà du décompte des morts et des références à la loi, laquelle est un produit du pouvoir, la question à poser est, Quel est l’objectif final d’Israël ? Et si c’était les tunnels que le Hamas et le Jihad islamique ont creusé sous toute la bande de Gaza – ils ne l’ont pas dit clairement, mais supposons le pour les besoins de la discussion. Selon la logique d’Israël, tous les 1,8 million de Palestiniens sont par conséquent des boucliers humains pour être nés palestiniens à Gaza. La solution est de détruire la bande de 360 km² de terre et d’attendre que la communauté internationale accepte cette perte catastrophique comme fortuite. Ceci n’est possible que dans le cadre et l’acceptation de la déshumanisation de la vie palestinienne. En dépit de l’absurdité de cette proposition, c’est précisément à cela que la société israélienne exhorte sa direction militaire. Israël ne peut pas bombarder les Palestiniens dans la soumission, et il ne peut certainement pas les bombarder dans la paix.

(*) Charte des Nations-Unies – article 51 :

Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. (http://www.un.org/fr/documents/charter/chap7.shtml)

(**) Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 18 octobre 1907 – article 42 :

Un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie.
L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. (http://www.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/52D68D14DE6160E0C12563DA005FDB1B/73BF1431F064AEC0C1256417004A0BE0)

The Nation : http://www.thenation.com/article/180783/five-israeli-talking-points-gaza-debunked#

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Retour haut de page