À Gaza, les bombes se sont arrêtées, mais nos souffrances continuent

Ahmed Abu Artema – 10 mai 2019

Tant qu’Israël maintiendra son siège, nous, les Palestiniens, resterons prisonniers dans notre propre pays

Un Palestinien traverse les ruines d’un immeuble de plusieurs étages détruit à Gaza, le 6 mai 2019 (AP Photo/Khalil Hamra).

C’est le ramadan à Gaza. Cette année, il est ponctué par la pénurie et par la peur, plutôt que la réjouissance et les cérémonies. Pour de nombreuses familles à Gaza, il sera un mois de deuil. Vingt-neuf Palestiniens ont été tués durant l’assaut violent de l’armée israélienne le week-end dernier, dont deux femmes enceintes et un enfant qui n’avait que quelques mois. La nuit avant le début du mois sacré, des éclairs ont pénétré le ciel noir alors qu’Israël lâchait une fois encore ses bombes sur nous.

Tout a commencé le vendredi, quand Israël a tué quatre manifestants palestiniens lors de la Grande Marche pacifique du Retour, un mouvement populaire hebdomadaire de protestation que j’ai contribué à lancer l’an dernier pour réagir contre le déni continue par Israël de nos droits humains fondamentaux, et notamment contre son siège illégal de 12 ans. Cette violence d’Israël contre les manifestants a déclenché une réaction. Samedi matin, les branches militaires des factions palestiniennes réagissaient en lançant des dizaines de roquettes artisanales sur les villes limitrophes de la bande de Gaza.

Je recommande toujours la désobéissance civile non violente, mais notre communauté souffre chaque jour de la politique violente d’Israël. Nul besoin de beaucoup d’analyses pour voir que certains résisteront à la violence par tous les moyens à leur portée.

Ensuite, Israël a lancé une série d’attaques meurtrières visant des immeubles d’habitation, des entreprises et des bureaux de presse dans un quartier animé appelé Al-Remal, au cœur de la ville de Gaza. En un instant, des immeubles se sont effondrés en cendres. Le propriétaire d’un magasin, hystérique après avoir vu disparaître son unique source de revenu, hurlait son désespoir : « Où sont les missiles cachés dans ce bâtiment ? Où sont les armes nucléaires qu’ils ciblaient ? Montrez-les moi ! ».

Nous savons tous ce que sait ce commerçant anéanti : Israël bombarde des bâtiments résidentiels et commerciaux civils pour nous maintenir dans la soumission – pour nous dissuader de nous soulever et de résister à la violence quotidienne qu’il nous inflige à travers l’occupation et le blocus permanents de notre pays.

Comme tous les parents à Gaza, je ne sais pas vraiment comment réconforter et calmer mes enfants chaque fois que tombe une bombe israélienne. À chaque explosion, mes enfants accourent vers mois, terrorisés. J’essaie de les apaiser en disant : « Ces explosions sont loin de chez nous. Elles sont près de la mer et elles ne viendront pas jusqu’à nous ». Je sais bien qu’ainsi je leur cache la vérité car personne à Gaza est en sécurité, et Israël a tué de nombreux enfants de leur âge. Mais si je ne peux faire cesser la violence, ce que je peux faire au moins, c’est d’atténuer son impact négatif sur mes enfants.

Un cessez-le-feu a été annoncé lundi, mais je ne sais pas combien de temps il durera. Netanyahu a déclaré : « la campagne ne s’arrête pas là », et il a ajouté, « Nous nous apprêtons à continuer ». Si un cessez-le-feu peut nous soulager temporairement des campagnes de bombardements à grande échelle d’Israël, il ne mettra pas fin pour autant à la souffrance quotidienne qu’endurent nos enfants sous le régime militaire d’Israël en place.

La réalité est que la violence n’a pas commencé il y a quelques jours. Quand nous ne sommes pas bombardés par Israël, les tireurs embusqués israéliens abattent des manifestants pacifiques, des journalistes et des médecins. Depuis que la Grande Marche du Retour a commencé l’an dernier, les tireurs israéliens ont tué environ 270 Palestiniens. Et quand les Palestiniens ne sont pas tués par des missiles ou des balles, alors nous mourons d’une mort lente et douloureuse par le blocus d’Israël. Depuis 12 ans, Israël limite notre accès à l’eau potable saine, à la nourriture, à des médicaments d’importance vitale, à l’électricité, et aux matériaux de construction nécessaires pour reconstruire nos maisons. Sans nourriture, ni abris, ni eau en suffisance, nous ne pouvons survivre.

Ceux d’entre nous qui sont partis sont tourmentés psychologiquement. Israël contrôle nos frontières et nos moyens de déplacements, de sorte que nous sommes prisonniers dans notre propre pays. On nous refuse le droit de voyager librement pour trouver du travail ou poursuivre nos études, pour visiter nos familles dans d’autres villes ou même pour aller nous faire soigner dans un hôpital. Le taux de chômage de nos jeunes tourne autour du taux étourdissant de 70 %, parce qu’Israël bombarde nos entreprises et qu’il réduit à rien notre commerce. Les jeunes de Gaza se voient même refuser toute lueur d’espoir.

Cessez-le-feu ou pas, il n’y a aucun moyen de sortir de cette violence sans fin tant qu’Israël, puissance occupante, ne mettra pas fin à son blocus et à son siège illégaux de Gaza. Israël ne peut pas contrôler nos vies et notre terre indéfiniment. Les Palestiniens, comme tous les peuples du monde, veulent vivre libres.

Ahmed Abu Artema est un écrivain indépendant basé à Gaza, militant sur les médias sociaux, et l’un des organisateurs de la Grande Marche du Retour.

Source : The Nation
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

 

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