Gaza a fait son choix : elle continuera à résister

Haidar Eid – Al Jazeera – 6 mai 2019

Et aucune accumulation de propagande israélienne ni réhabilitation par l’Eurovision ne peuvent effacer la légitimité de son droit à le faire.

 

Un garçon palestinien est évacué lors d’une manifestation à la clôture entre Israël et Gaza, dans le sud de la bande de Gaza, le 3 mai 2019 (Reuters/Ibrahem Abu Mustafa)

Nous en avons déjà passé des nuits blanches sous les bombes israéliennes – en 2006, 2008, 2012, 2014 et 2018. Et samedi, l’Israël de l’apartheid a décidé de lancer une nouvelle campagne meurtrière de bombardements contre l’une des zones les plus densément peuplées de la terre.

Encore une fois, les victimes sont des enfants et des femmes. Un bébé de 14 mois, Siba Abu Arrar, a été tué en même temps que sa tante Falastine, enceinte, qui a succombé à ses blessures peu après que les avions israéliens, de fabrication états-unienne, eurent pris pour cible leur maison, dans le quartier de Zeitoun.

Vendredi, comme tous les 57 vendredis précédents, j’ai rejoint les milliers de manifestants pacifiques à la clôture orientale du camp de concentration de Gaza, là où les snippers israéliens embusqués ont tiré et tué quatre Palestiniens et en ont blessé 51, dont des enfants. L’un de ces tués est Raed Abu Teir, 19 ans, qui marchait avec des béquilles, ayant été blessé lors de précédentes manifestations.

Des appels à un cessez-le-feu ont été lancés alors que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu s’engageait à lancer des « frappes massives » dans l’espoir de tuer le plus grand nombre possible de Palestiniens en prenant pour cibles les zones résidentielles.

Comme toutes les précédentes initiatives de trêve, cette fois encore, Israël et les Palestiniens – l’oppresseur et l’opprimé – sont assimilés à « deux parties égales à un conflit », et ce qui constitue une légitime résistance en vertu du droit international est mis  sur le même plan qu’une occupation illégale et violente. Le fait qu’Israël dispose d’une véritable armée, d’une plus grande puissance de feu, de façon disproportionnée, et qu’il soit un occupant est, comme d’habitude, négligé », tout comme la différence frappante dans le nombre des tués : 24 Palestiniens, et 4 Israéliens.

Comme tous les précédents cessez-le-feu négociés par les autorités égyptiennes et les Nations-Unies, celui-ci vise également à maintenir une « stabilité » dans le camp de concentration à ciel ouvert qu’est Gaza, aussi longtemps que possible, en exigeant que toute forme de résistance soit contenue.

Dans le cas présent, le gouvernement israélien est impatient de calmer Gaza avant la généreuse opportunité que lui ont offert les pays européens de blanchir ses crimes de guerre par l’accueil du concours Eurovision de la chanson à Tel Aviv, à une heure de route de la bande de Gaza.

Comme par le passé, les Palestiniens sont à présent censés accepter, et avec gratitude, une « période de calme » où les bombes israéliennes ne pleuvront pas sur leurs maisons, et où le blocus continuera d’étrangler Gaza.

En fait, ce qu’on exige régulièrement des Palestiniens, c’est qu’ils se conduisent comme des « Palestiniens domestiques », et qu’ils soient reconnaissants envers leurs maîtres ashkénazes blancs des miettes de pain qu’ils leur laissent pour à peine survivre.

Ils doivent se laisser aller à une mort lente, mourir comme des cafards, ne manifester aucune forme de rébellion, et accepter que s’ils meurent en résistant, eh bien que ce soit de leur propre faute.

Mais trop c’est trop !

Les Palestiniens n’accepteront pas plus longtemps les diktats de la soi-disant « communauté internationale » qui continue de favoriser Israël et d’étouffer ses crimes de guerre. Évoquer une amélioration des conditions de l’oppression à la lumière d’énormes sacrifices qui seraient consentis par notre peuple, c’est trahir les victimes palestiniennes

Tout accord de cessez-le-feu ne conduisant pas à la levée immédiate du blocus de la bande de Gaza et à la réouverture du passage de Rafah, comme de tous les autres points de passage de façon à permettre l’arrivée de carburants, de médicaments, et de tous les autres produits de base, et ne comportant aucune disposition visant à mettre fin à l’occupation et à l’apartheid israéliens, ne sera pas accepté.

Nous n’accepterons pas plus longtemps que Gaza soit séparée de la Palestine et de son contexte historique derrière la souffrance de sa population. Ce n’est pas un « conflit », comme les Israéliens aiment à le présenter, avec un groupe armé hostile.

C’est une occupation, lancée par une puissance coloniale qui cherche à épurer ethniquement une population entière originaire du pays afin de consolider et légitimer sa colonie. Ce qui se passe à Gaza, c’est un génocide progressif, pas une « opération de sécurité ».

Les massacres barbares commis par l’Israël de l’apartheid depuis 2006 ont coûté la vie à des milliers de Palestiniens, pour la plupart des civils, dont de nombreux enfants. Des familles entières ont été anéanties en plein jour conjointement à la destruction systématique de centaines de maisons palestiniennes ; des médecins et des auxiliaires médicaux ont été tués pendant leur mission tout comme des journalistes. Des dizaines de milliers ont été frappés de handicaps à vie au cours de ces guerres.

Nous, les Palestiniens de Gaza, avons déjà fait notre choix. Nous ne mourrons pas d’une mort lente et déshonorante en remerciant nos assassins qui s’illusionnent en décrivant l’esclavage comme un fait accompli pour l’occupant.

Non, nous continuerons à lutter pour notre dignité, pour nous-mêmes et pour nos enfants. Nous, membres de la société civile palestinienne, avons longtemps soutenu que la solution, c’est  le pouvoir du peuple – la seule force capable de s’attaquer à l’énorme asymétrie du pouvoir dans la lutte contre Israël.

Et notre Grande Marche du Retour l’a démontré. Nous avons réussi à briser les tentatives de couper intentionnellement le « conflit » de Gaza de ses racines, et à faire entendre nos exigences dans le monde entier. Nous ne voulons pas d’un cessez-le-feu de plus à court terme ou d’une légère « amélioration » dans nos conditions de vie dans le cadre d’un « accord du siècle ». Nous ne voulons pas de miettes de pain. Nous voulons retourner sur nos terres, nous voulons que nos droits consacrés par la législation internationale soient reconnus.

C’est pourquoi, chaque vendredi, nous continuons à appeler aux Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël et nous saluons l’effort de tous les groupes et de toutes celles et ceux à travers le monde – la vraie communauté internationale – qui se sont joints à nos efforts.

Nous faisons appel maintenant à tous les artistes de l’Eurovision pour qu’ils renoncent à leur participation au blanchiment des meurtres de bébés, de femmes enceintes, d’auxiliaires médicaux, de journalistes et de musiciens, et de la destruction de maisons civiles, hôpitaux, écoles et centres culturels.

Voulez-vous vraiment divertir les soldats israéliens qui tirent sur des manifestants non armés ? Voulez-vous vraiment vous produire à 60 km de Gaza, là où la famille de Siba, 14 mois, ne peut s’arrêter de pleurer ? Voulez-vous vraiment chanter dans l’Israël de l’apartheid ?

Il est temps pour vous, aussi bien que pour le reste du monde de l’art, de vous tenir du bon côté de l’histoire – comme cela a été fait il y a quelques décennies à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud – et de boycotter Israël.

Haidar Eid est maître de conférence à l’Université Al-Aqsa à Gaza.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Al Jazeera

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