Critique de la critique de la Grande Marche du Retour, par Haidar Eid

Haidar Eid – 8 avril – Mondoweiss

Manifestation de la Grande Marche du Retour  au passage de Karni entre Gaza et Israël, 20 juillet 2018. (Photo: Mohammed Zaanoun/Activestills.org)    

 

Avec le premier anniversaire de la Grande Marche du Retour, quelques questions embarrassantes ont surgi. De semblables questions ont été posées en 2009, 2012 et 2014 ; en fait, il en va ainsi depuis 1948. Il devient encore plus embarrassant maintenant d’entendre les mêmes arguments brandis par certains d’entre nous qui ont internalisé leur soumission en répétant la hasbara israélienne qui nous tient pour  responsables de notre propre mort à la barrière du camp de concentration de Gaza ! Des victimes faisant des reproches à des victimes de notre propre mort aux mains des snipers israéliens postés de l’autre côté de la barrière Est. Golda Meir qui, sans honte a dit qu’elle ne pardonnerait jamais aux Palestiniens le fait que les soldats israéliens les tuent, en aurait été ravie.

Pour le plaisir d’Israël, on nous dit, dans certains secteurs, que le Hamas est derrière la Grande Marche du Retour. Que le Hamas a incité des gens, qui se trouvent être ignorants et passifs, à manifester à la barrière pour une seule raison : accroître son pouvoir politique aux dépens des droits des Palestiniens. Oubliez que presque toutes les organisations politiques sont représentées dans le Haut Comité Directeur de la Marche, que la Grande Marche du Retour est elle-même une initiative de la société civile. Et oubliez que la majorité des manifestants, y compris l’auteur de ces lignes, ne sont pas des soutiens du Hamas, que la principale revendication de la Marche est l’application de la Résolution 194 de l’ONU qui spécifie le droit au retour de tous les réfugiés palestiniens qui se trouvent constituer plus de 75% des Palestiniens de Gaza. Et oubliez que la marche est une forme non violente  de résistance civile qui est partie intégrante de la tradition de la lutte palestinienne anticoloniale et qui n’est pas sans rappeler les combats contre l’apartheid sud africain et pour les droits civiques aux États Unis. Cela ne veut pas dire que le Hamas, qui est une organisation opportuniste de droite, n’essaie pas de confisquer ce qu’il considère comme le « butin » de la Grande Marche du Retour.

La résistance sous toutes ses formes, violentes et autres, est considérée par ces mêmes personnes comme « futile ». Typiquement, le camp palestinien défaitiste se fonde simplement sur le nombre de martyrs et d’handicapés pour condamner la Grande Marche du Retour. La question posée désormais par quelques intellectuels et forces politiques palestiniens, sur la base de la brutalité (in)attendue de l’armée israélienne, est : « cela en vaut-il la peine ? »

La Grande Marche du Retour, comme le mouvement BDS, a créé un bouleversement politique qui a non seulement mis fin à la fiction de la solution à deux États, et remis la libération plutôt que l’indépendance au programme. Elle a aussi contribué à, sinon accéléré, une nouvelle prise de conscience qui est de nature à établir un lien entre toutes les formes de résistance populaire et la fin de la solution fictive et raciste à deux États et donc, la nécessité d’une nouvelle conception politique fondée sur une rupture totale avec l’idéologie d’Oslo et sa logique défaitiste.

Dans le contexte de la résistance, il convient de citer les définitions que Franz Fanon a données du rôle joué par les « intellectuels autochtones » pendant la lutte anticoloniale : ce sont des intellectuels qui, selon la théorisation de Fanon,  « donnent la preuve qu’(ils) ont assimilé la culture de la puissance occupante. (Leurs) écrits correspondent point par point à ceux de (leurs) opposants dans la métropole. (Leur) inspiration est européenne (i.e. occidentale)… » D’où l’adoption de la narration israélienne par quelques intellectuels pro Oslo et de l’Autorité Palestinienne, selon laquelle Israël est exonéré de ses crimes : « nous sommes fautifs de ce qui est arrivé » ; nous n’avons pas été consultés lorsque le Hamas a lancé la dite Grande Marche du Retour ! et « ce sont les gens qui paient le prix, pas les organisateurs » ; « nous ne pouvons pas supporter de perdre autant de vies » ; « le Hamas aurait dû le comprendre » ; et la pire est celle-ci : « les mères qui envoient leurs enfants à la barrière sont blâmables ». (La plupart des critiques sont sur les réseaux sociaux en arabe, on peut en voir des exemples ici et ici). On pourrait dans la même veine condamner les résistances algérienne, sud-africaine, française, vietnamienne, libanaise et indienne à l’occupation. La même logique a été mobilisée par les chefs de Bantoustans en Afrique du Sud contre le mouvement anti-apartheid, par le gouvernement de Vichy en France et par le gouvernement sud vietnamien.

De toute évidence, l’assimilation par ces intellectuels de la mentalité (néo)libérale les fait mépriser la culture de résistance comme inutile, futile et sans espoir. La résistance, au sens large, n’est pas seulement la capacité de se défendre contre un ennemi plus puissant militairement, mais aussi une capacité à résister de façon créative à l’occupation de sa terre. À cette idéologie défaitiste fait défaut une appréciation du pouvoir populaire ou même la capacité de voir qu’il existe. Ils sont vaincus parce qu’ils veulent combattre dans les termes israéliens – en se référant à une dichotomie Israël-Hamas, plutôt que Israël vs le peuple palestinien – au lieu de chercher quels sont leurs points forts : le fait qu’ils sont les natifs du pays, que le droit international appuie leurs revendications, qu’ils ont la morale pour eux, le soutien de la société civile internationale sous la forme d’un mouvement BDS mondial croissant etc. Ils sont incapables de reconnaître le mode d’organisation palestinien parce qu’ils refusent de respecter la volonté du peuple telle qu’exprimée par les centaines de milliers de marcheurs de chaque vendredi à la barrière de ce que la plupart d’entre eux considèrent comme un camp de concentration.

Cette expression d’une prise de conscience nouvelle qui s’élève est manifeste dans le rejet des conditions imposées par l’apartheid israélien et ses alliés sur la majorité des Palestiniens et, plus crucialement encore, un rejet des miettes offertes en récompense d’un bon comportement pour sélectionner une minorité de Palestiniens à la Oslo. Ce qu’on dit tout le temps aux Palestiniens c’est soit d’accepter l’occupation israélienne dans sa forme la plus laide, i.e. la présence persistante du mur de l’apartheid, des colonies, des checkpoints, des routes en zigzag, des plaques d’immatriculation de différentes couleurs, des démolitions de maisons et de la sécurité, soit se voir imposer un siège génocidaire, moyenâgeux. Hélas, la première option semble avoir les faveurs de certains intellectuels palestiniens !

Les Palestiniens, que ce soit à Gaza ou dans la diaspora ou en Israël, ne peuvent oublier le sang de ces enfants, de ces hommes et de ces femmes qui ont sacrifié leur vie à la barrière du camp de concentration, pour que tous les Palestiniens puissent vivre et continuer à résister et ne pas capituler. Le message de la barrière de l’est est très clair : il ne peut y avoir de marche arrière vers de fausses solutions et négociations ; le temps est venu d’une impulsion finale pour la liberté, la justice et l’égalité véritables.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Mondoweiss 

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