Le massacre d’une famille de Gaza retentit 10 ans plus tard

Mousa Tawfiq – 3 janvier 2019

Une scène de Samouni Road, qui utilise l’animation pour montrer la vie avant, pendant et après l’attaque qui a coûté la vie à plus d’une vingtaine de membres d’une seule famille.

Le 3 janvier, il y a 10 ans, la phase d’invasion terrestre de l’attaque de 2008-2009 d’Israël contre Gaza commençait.

Comme dans la plupart des cas, pendant ce que l’on connaît comme l’Opération Plomb Durci, l’armée israélienne a exploité pleinement son énorme avantage militaire. Les Palestiniens de Gaza en ont payé un prix désastreux.

Plus de 1.400 personnes ont été tuées à Gaza pendant l’attaque. La très grande majorité, quelque 1.200 personnes, étaient des civils.

Peu d’entre eux ont plus souffert que la famille Samouni.

Vingt trois membres de la famille élargie ont été tués dans deux incidents séparés le 4 janvier et le 5 janvier 2009. Vingt et un d’entre eux ont péri dans une attaque de missile sur une maison dans laquelle les soldats israéliens au sol leur avaient ordonné d’entrer. L’ONU a par la suite jugé que le massacre des Samouni était un crime de guerre, mais Israël – qui rejette l’accusation – n’a jamais été tenu pour responsable.

L’histoire des Samouni est le sujet d’un documentaire italien du réalisateur Stefano Savona. Samouni Road a obtenu une reconnaissance internationale au Festival du Film de Cannes 2018, où il a remporté l’Oeil d’Or pour le prix du meilleur documentaire.

Pour les Palestiniens, il a une résonance particulière. Pour ceux d’entre nous qui sont de Gaza et ont traversé ces sombres jours, c’est personnel.

« C’est un documentaire très profond et spécial », a dit Rola Mattar, étudiant de 25 ans de Gaza qui vit actuellement à Paris et avec qui j’ai regardé récemment le film dans la capitale française. « Je l’ai vraiment aimé. »

Rola n’a presque pas pu s’arrêter de pleurer pendant les deux heures de durée du film. Malgré le temps et la distance, les souvenirs de guerre sont obsédants. Tandis que nous regardions en pleurant, les bruits et les images de la guerre – les bombes et les sirènes, les images et les enregistrements des morts et des blessés – nous sont revenus, ravivant l’état de peur et d’anxiété que nous avions vécu tous les deux.

Nous n’étions alors l’un et l’autre que des adolescents, mais les souvenirs sont vivaces. C’est peut-être pourquoi, alors que nous regardions Samouni Road, ce qui fut pour nous le plus choquant à réaliser, c’est que nos expériences traumatiques ont perdu de leur sens comparées à celles d’autres Gazaouis comme les Samouni.

« Nous pensions que nous avions vécu la guerre. En fait, non », a conclu Rola après le film. « Nous étions terrifiés par les bruits et les nouvelles. Mais ces gens étaient sous les bombardements. Ils étaient les victimes directes des attaques aériennes et des bombes. Je me sens privilégié dans ce que j’ai vécu à Gaza, et c’est une sensation désagréable. »

La suite des événements dans le film raconte le récit des survivants de la famille Samouni.

La scène clé, c’est la première. Là, Amal Samouni, petite fille qui a été blessée et qui a perdu son père et son frère au cours de l’attaque, pour répondre à une question sur ce qui s’est passé, raconte au metteur en scène qu’elle ne sait pas comment raconter une histoire.

Important, poignant et innovant

Je pense que Savona a commencé le film avec cette phrase là pour rappeler au public que l’histoire des Samouni ressemble à tant d’autres histoires où les gens ne savent pas raconter leur propre histoire. C’est la mission, semble suggérer le réalisateur, des cinéastes et des journalistes de raconter ces histoires pour aider les gens à se faire entendre.

C’est un parcours qu’un public peut lui aussi partager et c’est l’une des raisons pour lesquelles ce film a un tel impact et ce, instantanément.

Le documentaire comporte des vidéos et des interviews de survivants de la famille Samouni, certains abattus en 2009 juste après la fin de la guerre, d’autres filmés un an plus tard. Le film fait aussi un usage extensif et innovant de l’animation pour montrer la famille avant, pendant et après l’attaque.

 Samouni Road comporte des vidéos et des interviews de survivants du massacre de la ville de Gaza en 2009.

Hisham Abu Shahla, qui a assumé l’interprétation et la rédaction des dialogues, a dit que l’animation était nécessaire pour inclure tous ceux qui étaient morts ainsi que pour illustrer l’étendue de la destruction à Zeitoun, quartier à l’est de la ville de Gaza où vivait la famille Samouni.

« Nous avons utilisé l’animation pour donner vie aux gens et aux lieux qui n’existaient plus », a-t-il dit à The Electronic Intifada. « Il aurait été impossible de faire un film où les principaux personnages et endroits n’auraient existé que dans les souvenirs des orateurs. »

Alors qu’il poursuit un doctorat en sciences politiques, Abu Shahla est parti de Gaza pour la France en 2009. Avoir traversé la guerre, a-t-il dit, l’a aidé dans son interprétation, même si cette œuvre s’est avérée être une entreprise poignante.

« Cela m’a pris un an pour en faire un film. Bien qu’ayant bénéficié de mon passé de Palestinien de Gaza, travailler sur ce film a été une expérience profondément émouvante qui m’a aidé à comprendre ce par quoi ces gens sont passés. »

Innovant et touchant, Samouni Road a atteint au-delà du public habituel des Palestiniens et Arabes exilés et des militants de la solidarité. Quand je suis allé le voir, j’ai été heureux de constater que la majeure partie du public était non seulement française, mais aussi d’âges différents.

Jean-Claude Puech, 52 ans, est un enseignant. Il a aimé le mélange d’interviews et d’animation, a-t-il dit à The Electronic Intifada.

« J’ai l’habitude de venir dans ce cinéma pour y voir des films non commerciaux. J’ai décidé de voir ce film après avoir lu qu’il avait eu un prix à Cannes », a-t-il dit. « Ce n’est pas un film ordinaire. Le mélange des interviews et de l’animation est très significatif et clair. Le réalisateur a fait passer son message sans avoir besoin de montrer ni sang ni cadavres. C’est rare et spécial. »

Adrien Pouyaud, 20 ans, a dit cependant qu’il pensait que le film représentait un aspect de Gaza que l’on ne voit pas habituellement. Etudiant en journalisme, Pouyaud a dit que les médias présentaient rarement ce genre d’aspects de la vie à Gaza.

J’ai moi aussi été impressionné par ce film. Il évite de présenter les Palestiniens en tant que victimes et donne vie à Gaza grâce aux interviews et à l’utilisation de l’animation sous une forme rarement vue.

Les mots simples des gens ordinaires de Gaza sont aussi extrêmement puissants. Quelle meilleure manière de parler à des publics internationaux que de le faire si directement ?

Mousa Tawfiq est un journaliste, autrefois installé à Gaza, qui vit maintenant à Paris.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada

Retour haut de page