Un traité contraignant sur les droits humains serait un outil crucial pour les Palestiniens

Maren Mantovani, 16 décembre 2018

Il y a soixante dix ans, le 10 décembre 1948, les Nations Unies ont adopté la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – un document qui reste une référence dans les luttes pour la justice dans le monde entier.

La déclaration souffre néanmoins d’une grave omission : elle n’oblige pas explicitement les grandes entreprises à se conformer à ses principes. Mais cela pourrait bientôt changer, des négociations étant en cours  en vue d’un traité contraignant, potentiellement révolutionnaire qui pourrait être crucial pour les Palestiniens.

Depuis 2014, un groupe de travail intergouvernemental a été missionné sur la préparation d’un traité réaffirmant la suprématie des droits humains sur les intérêts des entreprises et les accords commerciaux. Les négociations en cours vont directement instaurer des obligations – au lieu d’orientations laissées à la volonté des parties prenantes – pour le respect des droits humains par les entreprises internationales ;  leur responsabilité civile et pénale serait engagée si elles se soustrayaient à ces obligations.

Nettoyage ethnique

Les mouvements sociaux, en particulier ceux du Sud, où les gens perdent chaque jour la vie et leur gagne-pain à cause des opérations des entreprises internationales, ont été un moteur essentiel. La campagne mondiale « pour la revendication de la souveraineté des ppeuples, le démantèlement du pouvoir des grandes entreprises et la fin de l’impunité » a été l’ébauche de leurs principes et de leurs revendications.

Pour les Palestiniens, victimes du nettoyage ethnique continu d’Israël provoqué par la résolution de la partition de la Palestine adoptée par l’ONU une année avant la déclaration sur les droits humains, un tel traité pourrait être un outil de premier plan leur permettant de faire rendre des comptes aux corporations transnationales sur leur implication aux côtés du régime israélien d’apartheid, de colonialisme et d’occupation.

Les entreprises internationales ne peuvent plus ignorer les protestations sur leur rôle dans le financement des colonies illégales ou d‘Elbit Systems, le premier producteur d’armes d’Israël. Les Palestiniens auraient un recours légal, différemment de ce qui s’est produit dans le passé. En 2013, par exemple, un tribunal français a reconnu le rôle de Veolia Transport dans la construction d’une infrastructure importante pour le projet de colonies illégales d’Israël, mais le tribunal a noté que les directives existantes sur les droits humains à l’intention des entreprises reposaient simplement sur la bonne volonté.

Avec un traité contraignant, les tribunaux canadiens ne pourraient pas se contenter de refuser aux Palestiniens l’accès à leur système juridique lorsque des compagnies canadiennes construisent des colonies illégales sur la terre palestinienne, ni même les renvoyer au système israélien qui, en premier, légalise les colonies.

L’accès universel à la justice

Un traité contraignant sur les droits humains mettrait finalement en place un outil qui donne aux gens un accès direct et universel à la justice. Abir al-Butmeh du PENGON – Amis de la Terre Palestine,  dit que le cas de la Palestine « montre le besoin d’assurer un mécanisme international nous permettant de faire directement rendre des comptes (aux compagnies internationales) ».

Pour autant, ce traité ne concerne pas que la Palestine ; il concerne ceux, de par le monde, à qui sont refusées la justice et l’autodétermination. Au nombre des bénéficiaires potentiels se trouvent des militants en Équateur, où l’enfouissement de milliards de litres d’eaux usées toxiques a été lié à de graves effets sur la santé de la population locale ; des habitants du sud de l’Afrique qui s’organisent contre les corporations minières ; et des Irakiens, auxquels fait défaut un mécanisme permettant de poursuivre des entreprises internationales d’armement et de sécurité commettant  des crimes sur leur territoire.

L’idée de ce traité n’est pas nouvelle. Moins d’un an après que Salvador Allende ait abordé cette notion dans son discours de 1972 à l’ONU, le gouvernement chilien était renversé par un coup d’état sanglant qui ramena des entreprises internationales à la gouvernance du Chili. Plus de quatre décennies plus tard, le processus de négociations intergouvernementales a finalement démarré  – mais le chemin est long vers la réalité d’un traité contraignant.

Les États Unis et Israël sont, sans surprise, parmi les plus de quatre vingt dix États qui négocient. Ayant moi-même été témoin des négociations depuis des années, il me semble évident que l’UE partage un objectif avec l’OIE, l’Organisation Internationale des Employeurs, et la Chambre de Commerce Internationale : faire dérailler ou amoindrir le traité jusqu’à ce qu’il soit inutile. Parce qu’ils réaffirment l’attitude tenue sur la Palestine, quand ça chauffe, les engagements de l’UE sur les droits humains s’évaporent.

L’OIE a cependant averti des pays – dont l’Équateur et l’Afrique du Sud – qu’ils pourraient encourir des représailles en terme de restrictions dans les relations commerciales s’ils soutiennent le traité. Les deux pays, de même que d’autres soutiens du traité, sont connus pour leur défense des droits des Palestiniens à l’ONU. Ce n’est pas là une coïncidence.

Continuer la lutte

Le lieu des négociations à l‘ONU renvoie une vérité première : la question palestinienne est partie intégrante de la lutte mondiale pour la justice et un test décisif de notre capacité à faire respecter les droits humains.

Cela montre en outre comment les efforts unis et persistants de mouvements de divers secteurs de la planète ont une force exceptionnelle. Défier les pouvoirs qui protègent la structure actuelle d’impunité qui a rendu possible des décennies d’apartheid israélien et permis les actions d’entreprises internationales désastreuses pour la vie de millions de gens, n’est pas une tâche facile.

Ainsi que les Palestiniens ne le savent que trop bien, les décisions et documents de l’ONU servent bien trop souvent les intérêts des puissants et n’ont d’autre objectif que d’éviter à l’ONU d’être complètement délégitimée. Ce qu’il faut ce n’est pas un traité en soi mais un traité qui morde.

Même le meilleur traité ne pourrait pas supprimer le besoin d’une lutte continue sur le terrain et de mécanismes populaires de mise face aux responsabilités, comme les campagnes de boycott – mais ce serait un outil supplémentaire dans la lutte pour la justice, la liberté et l’égalité.

Maren Mantovani est la coordinatrice des relations internationales de la Campagne des associations palestiniennes de base contre le mur de l’apartheid, www.stopthewall.org.

Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale de Middle East Eye.  

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Middle East Eye

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