L’ambassade d’Israël a utilisé de faux profils sur facebook pour espionner des étudiants 

Asa Winstanley et Ali Abunimah – 30 Octobre 2018

Une représentante de l’ambassade d’Israël a espionné des étudiants qui soutenaient les droits des Palestiniens, comme le montre une vidéo en caméra cachée publiée en exclusivité par l’Electronic Intifada. 

Julia Reifkind écrivait des rapports sur  des militants du boycott, du désinvestissement et des sanctions (BDS), qui étaient ensuite envoyées à des agences de renseignement en Israël. 

Son supérieur à l’ambassade avait recours à un serveur protégé appelé « Câbles » auquel, a souligné Reifkind, « je ne n’ai pas accès parce que je suis américaine ». 

Le tournage caché suggère aussi que Reifkind mentait lorsqu’elle a suggéré que des étudiants palestiniens étaient derrière un incident antisémite sur le campus l’année précédente. 

Le tournage est le dernier extrait divulgué du film censuré d’Al Jazeera Le Lobby – USA, que l’Electronic Intifada a visionné en entier.

En janvier 2015, des croix gammées ont été peintes sur un foyer d’étudiants juifs de l’Université de Californie à Davis. Reifkind était la présidente du groupe d’étudiants Les Aggies pour Israël et elle n’avait pas encore commencé à travailler à l’ambassade. 

Contrairement à ce qu’elle a dit à des journalistes à l’époque, dans l’enregistrement divulgué d’Al Jazeera, Reifkind admet qu’il est quasi-sûr que le graffiti raciste n’a pas été fait par des étudiants pro BDS mais devait plutôt être l’action de suprématistes blancs extérieurs au campus. 

La diffamation des droits des Palestiniens

L’effort pour impliquer à tort des militants de la solidarité avec la Palestine dans l’incident de 2015, est particulièrement troublant à la lumière du massacre de 11 fidèles juifs dans la synagogue de l’arbre de vie à Pittsburgh samedi.

Le tueur arrêté après l’attaque est Robert Bowers, un suprématiste blanc qui traîne une histoire de posts conspirationnistes et violemment antisémites sur les réseaux  sociaux.

Pourtant, depuis l’attaque, des figures de proue du lobby israélien ont continué à diffamer des gens qui soutiennent les droits des Palestiniens  arguant qu’ils étaient liés au massacre de Pittsburgh et ont poussé à accentuer la répression contre eux. 

Pendant ce temps, des membres du Likoud, le parti au pouvoir en Israël, se sont engagés dans l’apologétique et le contrôle des dégâts pour l’extrême droite américaine qui nourrit le type de haine antijuive exprimée par Bowers. 

Des points en débat dans le parti jettent la responsabilité du massacre sur un « groupe juif de gauche qui a encouragé l’immigration vers les États Unis et agi contre Trump » ; et de se faire l’écho de la rhétorique antisémite du tueur. 

Quelques jours avant les graffitis de 2015 à l’Université de Californie de Davis, le sénat étudiant avait voté en faveur du boycott d’Israël – une victoire majeure pour le mouvement BDS. 

Reifkind avait déjà accusé le mouvement étudiant d’antisémitisme et elle avait réagi au graffiti en attirant l’attention des médias. 

Elle et d’autres militants pro israéliens ont fortement insisté dans la presse sur le fait que des Palestiniens et d’autres étudiants pro BDS auraient été derrière les croix gammées – sans preuve. 

« Un suprémaciste blanc inconnu »

Reifkind s’est plainte que les administrateurs de l’université aient refusé de tenir les militants de la solidarité avec la Palestine pour responsables des croix gammées.

Le Jewish Journal a fait à ce moment-là un reportage selon lequel Reifkind avait exprimé « de la déception que les dirigeants de l’école n’aient pas fait un lien plus direct et public entre la décision de désinvestissement elle-même et l’antisémitisme ». 

AEPI, la fraternité juive sur la maison de laquelle les croix gammées ont été trouvées, a aussi reporté la responsabilité de l’incident sur le militantisme solidaire de la Palestine. 

« Sur les campus en Amérique du Nord et en Europe, AEPI a été en tête de la communauté juive et du mouvement étudiant pour le soutien d’Israël », a dit le directeur exécutif de la fraternité. « À cause de ce leadership, nos frères ont été, rien que dans les derniers mois, les cibles d’attaques antisémites dans une douzaine d’universités », dont, a-t-il affirmé, UC Davis. 

Sur sa page Facebook, le groupe des Aggies pour Israël de Reifkind a posté une photo du graffiti. Le groupe a établi que « AEPI était clairement ciblée » à cause de ses solides antécédents dans la défense de la cause israélienne » qui inclut des campagnes contre le vote de désinvestissement de UC Davis. 

Aggies pour Israël a alerté les médias dont  BuzzFeed en les balisant de commentaires. 

Mais dans le tournage visible ci-dessus, Reifkind admet à Tony, le reporter clandestin de Al Jazeera, que « nous ne savons même pas qui a fait les graffitis ». 

« Nous pensions juste que c’était par exemple quelque suprématiste blanc inconnu qui est simplement venu, a fait ça puis est parti. Nous ne pensions pas que c’était des étudiants » déclare-t-elle.

Marcelle Obeid était alors présidente du groupe Étudiants pour la Justice en Palestine sur le campus de UC Davis. 

Dans le film d’Al Jazeera – mais pas dans les extraits qui ont été divulgués – elle explique que les fausses allégations de Reifkind ont fait « énormément de mal » au groupe au moment même où il avait remporté une victoire pour BDS.

Obeid réagit à la prise de vues de Reifkind en caméra cachée où elle admet que le graffiti était sans doute l’œuvre d’un « suprématiste blanc inconnu » en disant : « c’est très étonnant car il était très clair, vu leur comportement vis-à-vis de nous et leur attitude à notre égard, que nous avions commis un crime de haine contre eux et que nous méritions de payer pour cela ». 

Islamophobie

La riposte que Reifkind et d’autres militants anti-palestiniens ont orchestrée s’inscrivait dans une atmosphère générale d’une couverture médiatique islamophobe sur la résolution de désinvestissement.

Fox News, par exemple, a prétendu que des étudiants pro-israéliens avaient été conspués et « chahutés » lors du vote du Sénat étudiant. 

L’attention de la presse nationale envers le campus californien a atteint un sommet avec le tweet de la star de la télé, Roseanne Barr : « j’espère que tous les Juifs vont quitter UC Davis » et « après, une bombe nucléaire dessus ! ».

En réalité, comme le montre la vidéo de ce soir-là, Reifkind a été respectueusement gratifiée d’un large temps de parole dans le débat, lors duquel elle a harangué les étudiants en disant qu’ils étaient « sur un campus en proie à l’antisémitisme ». 

Elle n’a pas été chahutée ni interrompue alors qu’elle dénonçait le mouvement BDS comme « antisémite et pourvoyeur de haine ». Elle et son groupe ont alors quitté les lieux pour attirer l’attention de la presse, parce qu’ils s’attendaient à être lourdement perdants de ce vote. 

À ce moment-là, en janvier 2015, Reifkind était étudiante et militait sur le campus pour Israël ; elle n’était pas encore employée par l’ambassade israélienne à Washington. 

Mais sur le clip, elle reconnaît, auprès de « Tony », le reporter clandestin de Al Jazeera, qu’au titre de présidente des Aggies pour Israël, elle avait été en contact avec le consulat d’Israël de San Francisco. 

Dès qu’elle a eu sa licence, en 2016, ses efforts sur le campus envers Israël ont payé et elle s’est vu offrir un poste à l’ambassade d’Israël à Washington. C’est peu après qu’elle a parlé à « Tony », en septembre. 

Son titre officiel, tel qu’il apparaît sur sa carte de visite dans le clip était « directrice des affaires de la communauté ». Mais, comme elle l’a expliqué à « Tony » dans le film, son rôle consistait principalement à gérer ce qui concerne BDS et à en faire des rapports à des agences en Israël.

Des rapports à Israël

Ni Reifkind ni l’ambassade israélienne de Washington n’ont répondu à la demande de commentaires d’Al Jazeera et elle a quitté son poste à l’ambassade en octobre 2017.

Dans le clip ci-dessus, Reifkind décrit son rôle comme « rassembler principalement des renseignements et envoyer des rapports à Israël. C’est essentiellement ce que je fais. Des rapports au ministère des affaires étrangères et au ministère des affaires stratégiques ».

Le ministère des affaires stratégiques est l’agence semi-dissimulée d’Israël dédiée à mener une guerre globale contre le mouvement BDS, en ayant souvent recours à des « opérations secrètes ».

Il est dirigé par un officier de haut rang des services du renseignement militaire, Sima Vaknin-Gil, et le personnel vient en majorité de diverses agences d’espionnage d’Israël. Les noms de ses opérateurs sont protégés pour la plupart.

Dans le clip, Reifkind décrit à Tony « comment elle surveille les activités des Étudiants pour la Justice en Palestine (SJP), en utilisant plusieurs faux comptes Facebook. 

« Je suis tous les comptes de SJP » explique-t-elle. « J’ai quelques faux noms. Mon nom est Jay Bernard ou autre. Ça fait juste nom de vieux Blanc, c’est ça l’idée. Je suis en contact avec tous ces groupes ». 

Les renseignements qu’elle a obtenu de ces activités ont ensuite été transmis dans le serveur protégé « Câbles », par son chef à l’ambassade. 

La surveillance semble avoir été efficace.

Marcelle Obeid, la présidente de SJP, explique dans une autre partie du film, que « pour chaque événement que j’annonce, on voit venir ces groupes pro-Israël – avant même l’arrivée de nos invités – et ils filment».

Cette méthode en coulisses

Reifkind, en tant que présidente des Aggies pour Israël, a eu une aide du consulat d’Israël en 2015. De la même façon, elle a fourni, dans son rôle à l’ambassade à Washington, « notre soutien de cette façon en coulisses » à des groupes pro-Israël dans tous les États Unis. 

Cette approche autonome à travers des organisations mises en avant est la clef de la façon dont Israël opère en occident. 

En 2016, l’ambassade israélienne de Londres a averti par un câble, que le ministère des affaires stratégiques « couvrait » des organisations juives britanniques, avec la protection de l’ambassade, d’une façon qui pouvait les placer hors la loi britannique. 

Il est apparu ultérieurement – dans un film d’Al Jazeera l’an dernier sur le lobby israélien dans le système radiophonique britannique- que l’ambassade essayait de descendre un ministre britannique réputé être critique d’Israël.

L’agent de l’ambassade, Shaï Masot, travaillait aussi, via des intermédiaires, à monter une fausse organisation de jeunesse pro-Israël au sein du parti travailliste, le principal dans l’opposition. 

Aux États Unis, Reifkind a aussi été active dans l’AIPAC, le puissant groupe de lobby, quand elle était étudiante. Dans une autre partie du film censuré, elle explique à « Tony » que « lorsqu’on fait du lobbying pour le compte d’AIPAC, on ne mentionne jamais son appartenance à AIPAC, on dit : je suis une étudiante pro israélienne de UC Davis ». 

Le tournage clandestin de Reifkind expliquant ses activités montre comment Israël, en totale impunité, espionne et déstabilise des citoyens américains engagés dans une défense licite de la Palestine. 

La Coalition Israël sur les Campus est une organisation clef mise en  avant pour espionner des étudiants américains, ainsi que l’a révélé l’Electronic Intifada dans un clip précédemment révélé sur Le Lobby –USA.

Le film indique que la Coalition Israël sur les Campus est liée au site de la Mission Canari qui procède à des listes noires de façon anonyme, pour le compte du financier multimillionnaire pro-israélien reconnu coupable de fraude fiscale, Adam Millstein.

Dans un tournage clandestin non encore divulgué, la Coalition Israël sur les Campus admet coordonner ses campagnes d’espionnage dissimulé et de sabotage avec le ministère israélien des affaires stratégiques. Comme d’autres groupes qui apparaissent dans le film, la coalition n’a pas répondu aux demandes de commentaires d’Al Jazeera. 

Le film d’Al Jazeera soulève des questions sur la nature du réseau d’organisations mises en avant par Israël aux États Unis et sur le point jusqu’auquel elles peuvent enfreindre la loi en agissant comme des agents non déclarés d’un État étranger.

Comme le résume Reifkind à Tony dans le clip, « Je ne peux rien dire de négatif sur Bibi (le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou) ni sur le gouvernement parce que je travaille effectivement pour eux. Pas directement. Je suis juste une Américaine normale ». 

Source : The Electronic Intifada 
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

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