Israël craint que les tactiques de sa sale guerre contre BDS soient affichées au grand jour

Par Ali Abunimah, le 26 juin 2018

Le ministre Gilad Edan en 2015 à Tel Aviv

Un grand stratège du lobby pro-israélien a peur de The Electronic Intifada.

Lors de son intervention durant une conférence tenue la semaine dernière et sponsorisée par le gouvernement israélien, le sondeur républicain Frank Luntz projetait les formules qu’il estimait être les plus efficaces pour la propagande israélienne.

D’après le site The Media Line, il a expressément dissuadé les personnes présentes dans le public de publier sur le Web des images de ce qu’il projetait en avançant la justification suivante : « Si vous le faites, cela finira dans The Electronic Intifada et ce sera utilisé contre tous ceux qui sont présents dans cette salle ». Puis, craignant que ces éléments soient effectivement publiés, Luntz a subitement interrompu sa présentation.

Luntz faisait sans aucun doute référence à l’article de The Electronic Intifada sur une conférence du même type ayant eu lieu en mai 2016, qui traitait des méthodes pour contrer le mouvement Boycott Désinvestissement Sanction (BDS), qui lutte pour les droits des Palestiniens.

Depuis 2016, des responsables de groupes de pression pro-israéliens ont reconnu dans un rapport confidentiel que tous leurs efforts pour stopper BDS, bien que bénéficiant d’un soutien financier conséquent, ont échoué à endiguer les « réussites significatives » et « l’impressionnante croissance » du mouvement.

Dans une vague globale de solidarité avec les Palestiniens, provoquée par le dégoût et l’écœurement vis-à-vis des massacres commis par Israël contre les civils désarmés qui participaient la Grande Marche du Retour à Gaza, le mouvement BDS a continué a engranger des victoires.

Et Luntz est loin d’être le seul à vouloir imposer une chape de plomb en ce qui concerne les efforts secrets d’Israël visant à faire taire les revendications pour la fin de son régime d’occupation, de colonisation et d’apartheid.

Israël a beaucoup de choses à cacher…

« La fronde de Salomon »

Dans un article détaillé, le rédacteur en chef et fondateur du journal The Times of Israel, David Horovitz enquête sur la nouvelle arme d’Israël dans la guerre contre le mouvement de solidarité avec la Palestine.

Il s’agit d’une organisation se disant non gouvernementale et indépendante, appelée Kela Shlomo, c.-à-d. « la fronde de Salomon ».

Or, l’enquête de Horovitz révèle qu’il ne s’agit là ni plus ni moins que d’une couverture pour le gouvernement israélien, permettant à celui-ci de dissimuler des activités peu avouables et de s’immiscer dans la politique et dans la société civile d’autres pays en contournant leur législation.

La direction de Kela Shlomo est un véritable Who’s Who de l’élite politique et militaire israélienne. On y trouve notamment les anciens diplomates Dore Gold et Ron Prosor, l’ancien responsable de la sécurité nationale Yaakov Amidror, ainsi que l’ancien responsable du renseignement militaire Amos Yadlin.

L’organisation travaille en collaboration avec le très opaque Ministrère des affaires stratégiques d’Israël.

Ayant à sa tête Gilad Erdan, ce ministère est en charge des opérations secrètes d’Israël visant à contrer le mouvement BDS. Sa directrice générale, Sima Vaknin-Gil est une ancienne haut gradée du renseignement militaire.

L’organisation compte également parmi ses fondateurs Yossi Kuperwasser, un autre ancien haut gradé du renseignement militaire, qui a précédé Vaknin-Gil à ce poste.

Lorsqu’Erdan annonçait la création de l’organisation de Kela Shlomo en décembre dernier, il affirmait que l’organisation augmenterait la capacité d’Israël à combattre et à vaincre BDS.

Kela Shlomo est financée par des donateurs privés anonymes, mais « l’accord de coopération » avec le ministère serait financé par « des fonds de contrepartie », ce qui suggère que de l’argent du gouvernement est également impliqué, même si celui-ci n’est pas versé directement sur les comptes de Kela Shlomo.

Le besoin d’une organisation comme couverture s’est fait ressentir le mois dernier lorsque The Jewish Daily Forward a révélé qu’un certain nombre de grands groupes de pression juifs israéliens aux Etats-Unis avaient refusé de généreuses subventions en espèces du ministère israélien des affaires stratégiques.


Ces groupes craignaient en effet que ces subsides les mettent en infraction à la législation FARA, la loi américaine qui exige des « agents étrangers » qu’ils se déclarent auprès de la division contre-renseignement du Ministère de la justice américain.

D’après le Times of Israel, l’utilisation de Kela Shlomo comme couverture par le gouvernement israélien peut « signifier que les organisations pro-israéliennes qui refusaient jusqu’ici l’argent du Ministère pourraient désormais en bénéficier ».

Des opérations douteuses

Une des révélations les plus préoccupantes de l’enquête de Horovitz pour le Times of Israel est que Kela Shlomo est peut-être déjà impliquée dans des opérations douteuses et des campagnes de diffamation contre des activistes pro-Palestine – le même genre d’opérations secrètes dans lequel le Ministère des affaires stratégiques aurait lui-même été directement impliqué.

Face au Times of Israel, Kuperwasser, cofondateur de Kela Shlomo, insiste sur le fait que son organisation n’a aucun lien avec deux sociétés privées de renseignement israéliennes, agissant dans l’ombre et impliquées dans des campagnes d’opérations douteuses : Black Cube et Psy-Group – alors même qu’il avance que ces deux entreprises auraient travaillé directement pour le gouvernement israélien…

L’année dernière, il avait été révélé que Harvey Weinstein, magnat d’Hollywood tombé en disgrâce, avait fait appel aux services de Black Cube pour faire taire et intimider les victimes présumées qui le mettaient en cause dans plusieurs affaires d’agressions sexuelles.

Plus récemment, il a été révélé que Black Cube aurait été mandaté par un client non identifé proche de l’administration Trump pour tenter de réunir des informations susceptibles de nuire aux responsables de l’administration Obama impliqués dans les négociations de l’accord historique sur le nucléaire iranien conclu en 2015.

Le gouvernement israélien était farouchement opposé à cet accord et la nouvelle administration américaine s’en est désengagée en mai dernier.

Selon « The Times of Israël » , la société Psy-Group était impliquée dans la création d’un site web désormais supprimé, appelé « outlawbds.com », qui affichait les noms, les adresses e-mail et les photos de personnes censées soutenir BDS.

En septembre dernier, The Electronic Intifada a reçu un mail de « outlawbds.com  », envoyé également à plusieurs autres médias, qui proclamait que « outlawbds.com » avait déjà publié 100 profils d’activistes et déclarait : « Nous voulons que ces personnes sachent que leurs actions ne passent pas inaperçues et que quelqu’un agira en toute légalité pour les stopper ».

Kuperwasser nie donc avec des liens directs avec Black Cube et Psy-Group, mais il ne nie pas que Kela Shlomo travaille avec Israel Cyber Shield, une autre société israélienne de l’ombre.

Selon un reportage paru dans le journal Haaretz en mai, Israel Cyber Shield avait espionné la célèbre activiste arabe américaine Linda Sarsour et sa famille, dans le cadre d’une opération visant à la discréditer et à l’empêcher d’être invitée à intervenir sur les campus américains.

Le dossier concernant Sarsour aurait été préparé pour Act.IL, l’organisation liée au gouvernement israélien qui gère l’application pour smartphone du même nom qui cherche à manipuler l’opinion publique et à diffamer les activistes du mouvement de solidarité avec la Palestine.

Bien que Kuperwasser « refuse de faire des commentaires » sur les liens entre Kela Shlomo et Israel Cyber Shield, le Times of Israel rapporte en se basant sur d’autres sources « qu’il y a ou qu’il y avait une relation d’une certaine nature entre les deux entités ».

Toujours selon le Times of Israel, d’autres sources ont pour leur part affirmé « que Kela Shlomo était en réalité une excroissance d’Israel Cyber Shield » que la société de renseignement continue à collecter des informations pour le compte de Kela Shlomo.

Une déontologie tortueuse

Le Times of Israel de David Horovitz cache son inquiétude concernant la coopération entre le Ministère des affaires stratégiques et Kela Shlomo derrière de grands discours moralisateurs, bien résumés dans le titre de l’article : « BDS est un business sale. Ceux qui le combattent au nom d’Israël doivent rester propres ».

Or, aucun individu réellement préoccupé par la morale et le fait de rester « propre » ne justifierait le massacre de civils désarmés perpétrés par Israël dans le ghetto-cage de Gaza. Or, Horovitz l’a fait, au prétexte que de nombreuses personnes tuées auraient été membres du Hamas.

Comme l’a affirmé, entre autres, Human Rights Watch, « les encouragements du Hamas et son soutien au mouvement, ainsi que la participation de membres du Hamas dans les manifestations ne justifie pas l’usage de munitions réelles contre des manifestants ne représentant aucune menace pour des vies ».

La véritable préoccupation de Horovitz est la suivante : « l’engagement en faveur d’Israël ne doit pas tomber dans le caniveau parce que  c’est immoral et parce que cela se retournera contre lui ». Il ajoute que « les répercussions négatives l’emportent largement sur les bénéfices de ces activités, lorsque ces dernières sont affichées, ce qu’elles seront assurément ».

Ainsi, pour dire les choses clairement : plus de gens dans le monde entier comprennent qu’Israël est un état d’apartheid, qui prive des millions de Palestiniens de leurs droits les plus fondamentaux uniquement parce qu’ils ne sont pas juifs.

Dans son effort pour contrer cela, Israël doit donner l’image d’une démocratie avenante, ouverte et dynamique, avec ses gay-prides, sa high-tech et ses femmes sexy en tenue de plage.

Cette approche rappelle la « stratégie totale » adoptée par les leaders sud-africains dans les années d’agonie du régime d’apartheid. Elle impliquait une répression interne sans précédent, accompagnée de promesses de « réformes » destinées à présenter l’Afrique du Sud sous un jour meilleur et à lui éviter une isolation croissante au niveau international.

À l’instar de la rhétorique déployée par Israël pour vaincre la lutte de libération palestinienne, les leaders racistes de Pretoria tentaient alors de convaincre leur population et le monde que leur pays faisait face à un « assaut total » d’ennemis déterminés à le détruire.

Les épouvantails de l’Afrique du Sud étaient le communisme soviétique et les activistes du mouvement de libération de Nelson Mandela, alors qualifiés de « terroristes ». Ceux d’Israël sont le Hamas, l’Iran et BDS. Tout comme celle de l’Afrique du Sud l’a fait avec les Noirs, la propagande israélienne diabolise constamment les Palestiniens en prenant bien soin d’ignorer les efforts, pourtant considérables, de conciliation. Pour avoir une chance de réussir là où l’Afrique du Sud de l’apartheid a échoué, Israël doit dépeindre les véritables défenseurs des valeurs démocratiques, les Palestiniens et leurs alliés qui demandent une égalité complète des droits pour les Palestiniens, comme des incarnations du diable.

Mais puisque ce n’est évidemment pas la réalité, cette tâche se révèle impossible sans avoir recours à de sales combines qui affaiblissent l’image très glamour qu’Israël espère vendre… Les véritables démocraties et les sociétés réellement ouvertes ne s’engagent pas dans des campagnes de diffamation, des sabotages ou des activités potentiellement illégales contre les défenseurs des droits de l’homme.

Horovitz le sait certainement. Étant donné son soutien total à la répression commise par Israël contre les Palestiniens, on peut raisonnablement supposer qu’il aurait soutenu la sale guerre cachée d’Israël s’il avait pensé qu’Israël pouvait s’en tirer sans écorner son image. Mais, comme Frantz Luntz, il sait que la vérité éclatera et qu’elle ne fera qu’exposer à nu ce qu’Israël est vraiment.

Un documentaire censuré

Il s’agit peut-être du cas de dissimulation le plus emblématique : la tentative de suppression du documentaire « The Lobby – USA », qui montre au grand jour quelques rouages du lobby pro-Israël aux États-Unis et a été tourné en infiltrant les réseaux concernés.

En mars, The Electronic Intifada en publiait en exclusivité les premiers détails concrets.

Le documentaire identifie plusieurs groupes de pression comme travaillant directement avec Israël afin d’espionner des citoyens américains grâce à des techniques sophistiquées de collecte de données. Il met également en lumière les efforts déployés pour diffamer et intimider les Américains perçus comme trop critiques vis-à-vis d’Israël.

Quelques-unes des activités révélées dans ce documentaire pourraient impliquer des organisations américaines menant des opérations pour Israël sous couverture sans s’être préalablement enregistrées comme agents d’un état étranger, comme l’exige la loi américaine – c.-à-d. précisément la situation que l’existence de Kela Shlomo semble destinée à faciliter.

Ce mois-ci, The Electronic Intifada a révélé que le Qatar, qui héberge et finance Al Jazeera, avait repoussé la diffusion du documentaire pour une durée indéterminée, en invoquant des craintes pour sa « sécurité nationale ».

Les leaders qataris sont préoccupés par le fait que le lobby pro-Israël mis en cause dans le documentaire puisse exercer des pressions sur l’administration Trump, afin qu’elle retire une base militaire importante considérée comme vitale par le petit émirat gazier pour dissuader les velléités d’invasion de rivaux régionaux tels que l’Arabie Saoudite.

Al Jazeera avait diffusé en 2017 un documentaire similaire sur le rôle du lobby pro-Israël au Royaume-Uni. Il montrait notamment comment un agent de l’ambassade d’Israël lié au ministre des affaires stratégiques Gilad Erdan intriguait pour « abattre » un ministre britannique perçu comme trop critique vis-à-vis d’Israël.

Plus d’informations sur ce documentaire : j’ai abordé « The Lobby – USA » et sa censure dans l’émission Moderate Rebels avec Max Blumenthal et Ben Norton.

Vous pouvez accéder à l’émission en entier en cliquant ici , ou visionner la vidéo de la partie traitant plus spécifiquement de la censure du documentaire d’Al Jazeera ci-dessous (lien YouTube).

 

Traduction: Caroline Riera Darsalia pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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