Israël reconnaît, puis dément, sa responsabilité dans les homicides de Gaza

Ali Abunimah / 31 mars 2018

Des proches de Hamdan Abu Amsha expriment leur peine lors de son enterrement à Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, le 31 mars, le lendemain de sa mort sous les balles israéliennes près de la frontière entre Gaza et Israël. (Ashraf Amra / APA images)

L’armée israélienne a diffusé samedi via Twitter une déclaration par laquelle elle prenait manifestement la responsabilité entière de la mort de 15 Palestiniens, tués la veille lors de la Grande Marche du retour dans la bande de Gaza, à laquelle ont participé des milliers de personnes.

L’armée s’est hâtée de supprimer cet aveu – alors que d’autres éléments tendant à prouver que ses soldats avaient commis des crimes de guerre étaient rendus publics – mais avant qu’elle n’efface ce tweet, il avait été copié par l’organisation de défense des droits humains B’Tselem.

Le tweet effacé sur le compte officiel @IDFSpokesperson indiquait : “Hier nous avons vu 30 000 personnes ; nous sommes arrivés avec une bonne préparation et des renforts bien calculés. Rien n’a été fait sans contrôle ; tout était précis et mesuré, et nous savions où aboutissait chaque balle.”

Sarit Michaeli, responsable internationale du plaidoyer pour B’Tselem, a souligné que cette déclaration signifiait que “l’armée israélienne assume l’entière responsabilité de toutes les morts violentes de manifestants sans armes et des blessures infligées à balles réelles à des centaines d’autres.”

Il n’est pas très surprenant que l’armée ait effacé ce tweet. Si elle reconnaît que la mise à mort de manifestants était préméditée dans le détail de chaque balle tirée,  cela veut dire qu’elle doit assumer la responsabilité d’actes qui ont toute l’apparence de crimes de guerre, notamment le tir fatal qui a tué Abd al-Fattah Abd al-Nabi, 19 ans, pendant qu’il s’éloignait en courant de la clôture frontalière entre Israël et Gaza. Abd al-Nabi aurait reçu une balle dans la tête.

Une vidéo de cet homicide, largement partagée sur les médias sociaux, montre Abd al-Nabi en train de courir en compagnie de deux autres Palestiniens. Ils sont très loin de la clôture frontalière au moment où on entend un coup de feu et où on le voit tomber.

https://twitter.com/Joo_Gaza/status/979752738354548737

Le journal israélien Haaretz a publié une vidéo des mêmes faits vus sous un autre angle :

[Voir la seconde vidéo]

Dans une autre vidéo, on voit, selon toute apparence, un homme blessé par balles alors qu’il prie avec un groupe de Palestiniens, la clôture frontalière étant visible dans le lointain.

Jacob Magid, reporter au Times of Israel, indique en commentaire que l’armée israélienne “va avoir du mal à dire que ce type est tombé de son vélo.”

Cette remarque se réfère aux affirmations d’une fausseté évidente émises par l’armée, prétendant que Muhammad Fadel Tamimi, adolescent de 15 ans blessé à la tête au mois de décembre par un de ses soldats en Cisjordanie occupée, avait simplement eu un accident de bicyclette.

Le 29 mars, Sarit Michaeli, de B’Tselem, a remarqué qu’Ofir Gendelman, porte-parole du gouvernement israélien, utilisait pour menacer les habitants de Gaza une vidéo où l’on voit un Palestinien sans arme et immobile recevoir un coup de feu dans la jambe le jour de préparation de la Grande Marche du retour.

Le tweet par lequel l’armée israélienne reconnaît sa responsabilité concordait avec des informations antérieures selon lesquelles l’armée s’était préparée aux manifestations en déployant des dizaines de snipers et en leur donnant pour consigne de tirer sur les manifestants qui entreraient dans une « zone d’exclusion » imposée par Israël et couvrant des centaines de mètres au-delà de la frontière, en territoire gazaoui.

Outre les homicides, 1 400 Palestiniens au moins ont été blessés, l’armée israélienne utilisant des balles réelles, des drones projetant du gaz lacrymogène et même de l’artillerie le long de la frontière entre Gaza et Israël, où des Palestiniens s’étaient rassemblés vendredi pour commémorer la Journée de la Terre et protester contre le refus d’Israël de les laisser revenir sur les terres d’où le nettoyage ethnique a chassé les Palestiniens.

Selon l’ONG Medical Aid for Palestinians, vendredi serait “la journée la plus sanglante que Gaza ait connue depuis l’offensive d’Israël en 2014.”

Selon le porte-parole du ministère de la Santé de Gaza, au moins trois personnes de plus ont été blessées par balles réelles dans la journée de samedi (31 mars).

Ce même samedi, les organisations de défense des droits humains Adalah et Al Mezan ont lancé un appel urgent à Israël pour que des équipes médicales soient autorisées à entrer dans la zone d’exclusion pour rechercher deux Palestiniens portés manquants, dont l’état est inconnu.

“Le recours par l’armée israélienne à 100 snipers contre des civils palestiniens manifestant sans armes dans la bande de Gaza est illicite”, a déclaré Adalah vendredi. “Le fait de tirer à balles réelles sur des civils désarmés constitue une violation grossière de l’obligation imposée par le droit international d’opérer une distinction entre civils et combattants” – en d’autres termes, un crime de guerre.

L’ONU demande une enquête

Vendredi, Human Rights Watch s’est dit choquée par le nombre important de Palestiniens tués et blessés sous le feu israélien. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies s’est réuni le soir même pour examiner la situation. Les représentants d’Israël n’ont pas assisté à cette séance.

Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, a demandé une enquête indépendante sur les violences.

Bien que des enquêtes similaires aient déjà mis en évidence l’existence de crimes de guerre israéliens, elles n’ont jamais débouché sur des mesures efficaces obligeant Israël à répondre de ses actes.

Guterres lui-même, sous la pression des États-Unis, a retiré l’an dernier un rapport de l’ONU d’où il ressortait qu’Israël pratique l’apartheid contre les Palestiniens.

Quant à l’Union européenne, elle a attendu samedi pour publier une déclaration qui “déplore la perte de vies humaines.”

L’UE a reconnu qu’Israël avait utilisé “des balles réelles lors d’affrontements et de manifestations”, mais elle a soutenu le droit d’Israël “à défendre ses frontières” en usant d’une force “proportionnée”.

L’UE  a également repris à son compte la demande d’une enquête formulée par l’ONU et, plaçant sur le même plan l’occupant et l’occupé, a appelé les “parties concernées à faire preuve de retenue.”

Corbyn modère ses critiques

Au Canada, Hélène Laverdière, porte-parole chargée des affaires étrangères pour le Nouveau Parti démocratique (opposition, centre-gauche), a condamné une “situation choquante” et demandé qu’Israël “se conforme aux responsabilités qui lui incombent en vertu du droit international et respecte les droits humains.”

Après s’être tu pendant 24 heures, Jeremy Corbyn, chef du Parti travailliste, principale formation d’opposition au Royaume-Uni, s’est exprimé sur Twitter ; selon ce tweet, “les actes commis par l’armée israélienne, qui a tué et blessé à Gaza des civils manifestant en faveur des droits des Palestiniens, sont effrayants.”

Mais Corbyn – qui a subi des attaques soutenues de la part de groupes de pression favorables à Israël, qui ont justifié le massacre de Gaza – n’a pas demandé que des mesures soient prises pour qu’Israël réponde de ses actes.

Antérieurement, Corbyn avait lancé un appel à un embargo sur les armes destinées à Israël et approuvé certaines des tactiques de la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) en faveur des droits des Palestiniens.

Jean-Luc Mélenchon, personnalité française de gauche qui a également subi ces jours derniers une campagne de dénigrement du lobby israélien, a exprimé ses condoléances aux familles des Palestiniens tués et a demandé que des troupes de l’ONU soient déployées.

Cependant, apparemment convaincu qu’aucune force réelle ne le contraindra à répondre de ses actes – même de la part de personnalités comme Corbyn qui ont toujours soutenu les droits des Palestiniens – Israël lance de nouvelles menaces qui laissent prévoir une escalade de la violence contre les manifestants palestiniens.

Dans le contexte actuel de silence, de complicité et d’inaction officiels, les Palestiniens comptent sur une escalade de grande ampleur, celle d’un large soutien par les campagnes de boycott, désinvestissement et sanctions afin qu’Israël soit enfin contraint à répondre de ses actes.

Source : The Electronic Intifada
Traduction : SM pour Agence Média Palestine

Retour haut de page