Pourquoi la suppression de l’aide financière américaine à l’AP n’est pas une mauvaise chose

Par Alaa Tartir, 8 janvier 2018

Si les États-Unis suspendent leur aide financière à l’Autorité palestinienne, les Palestiniens seront peut-être contraints d’avoir le courage politique de se battre pour ce qui est juste.

De nombreux observateurs et analystes préviennent que la suppression de l’aide américaine à l’Autorité palestinienne (AP) est dangereuse et pourrait compromettre la stabilité. Certains affirment même que la menace du président Donald Trump sur l’aide financière aux Palestiniens est plus dangereuse que sa décision de transférer l’ambassade des États-Unis en Israël à Jérusalem.

« Pensez-vous que les jours de l’AP sont désormais comptés ? » est l’une des questions les plus récurrentes des journalistes ces derniers jours, après que Donald Trump a déclaré : « Nous payons les Palestiniens des centaines de millions de dollars par an sans obtenir de reconnaissance ou de respect. Ils ne veulent même plus négocier. »

Et Donald Trump d’ajouter : « Puisque les Palestiniens ne sont plus disposés à parler de paix, pourquoi devrions-nous leur verser des paiements massifs à l’avenir ? ».

Des actions contre les Palestiniens

Cependant, la menace de Trump de retirer son aide à l’AP ne devrait surprendre personne.

L’aide américaine a toujours été utilisée comme un outil politique, et les conditions qui lui sont attachées ont été préjudiciables et néfastes pour les Palestiniens.

Mais si la menace de suspension de l’aide versée à l’AP se concrétisait, serait-ce vraiment si grave ? Je pense que non. Cela serait probablement bénéfique – peut-être pas à court terme, mais à long terme, sans aucun doute.

L’aide américaine à l’AP vise essentiellement à consolider le rôle de cette dernière en tant que sous-traitant de l’occupation israélienne et a rendu l’occupation israélienne moins coûteuse et plus durable, ce qui a profité à l’économie israélienne, ancré la fragmentation palestinienne et nié le potentiel démocratique palestinien. Pour toutes ces raisons, la suppression de l’aide des États-Unis à l’AP n’est pas si grave.

Le principal objectif des États-Unis vis-à-vis de la Palestine consiste à promouvoir « la prévention et l’endiguement du terrorisme contre Israël ». En d’autres termes, l’aide est fournie aux Palestiniens pour sécuriser Israël ; mais s’agit-il d’un soutien aux Palestiniens ou à Israël ?

Le paradigme « Israël d’abord »

Selon le paradigme sécuritaire « Israël d’abord », l’administration américaine a versé des millions de dollars d’aide à l’AP afin de « professionnaliser » ses forces de sécurité pour la stabilité et la sécurité d’Israël, de son occupation et des colons de Cisjordanie occupée.

Cette logique biaisée signifiait que l’AP devenait un sous-traitant de l’occupation israélienne, grâce à l’aide et selon les conditions des États-Unis.

Cela a non seulement soutenu l’occupation israélienne, mais a aussi profité à Israël, à son économie et à ses entreprises. L’aide américaine aux Palestiniens sert souvent à payer directement les créanciers de l’AP, parmi lesquels figurent de nombreuses entreprises israéliennes qui pratiquent des tarifs prohibitifs et profitent de l’économie captive de l’AP.

En outre, la majeure partie de l’aide versée par les États-Unis à la Palestine (jusqu’à 72 %), en particulier l’aide allouée à la sécurisation, finit dans l’économie israélienne. Par conséquent, une grande partie de « l’aide » des États-Unis aux Palestiniens se traduit en réalité par un soutien supplémentaire à Israël et à son appareil sécuritaire.

L’aide des États-Unis a également ancré la fragmentation palestinienne au cours de la dernière décennie et a alimenté le fossé entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. De plus, l’aide nie non seulement le potentiel démocratique palestinien mais parraine l’émergence d’un style de gouvernance autoritaire en Cisjordanie.

Les procédures de sécurisation soutenues par les États-Unis, qui répondent à leurs objectifs en matière de sécurité, visent à criminaliser la résistance contre l’occupation israélienne et à étouffer les besoins et les aspirations du peuple palestinien.

L’aide des États-Unis

Les opérations et les interventions de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et le bureau du coordonnateur de la sécurité des États-Unis (USSC) ont contribué à causer tous ces préjudices. Ce faisant, ces deux institutions violent non seulement les principes internationaux clés de la fourniture d’aide, mais elles agissent effectivement comme un bras complémentaire de l’occupation coloniale israélienne.

Certes, ces dommages et conséquences néfastes de l’aide des États-Unis ne seront pas automatiquement inversés si la menace de Donald Trump de supprimer l’aide devient réalité.

C’est beaucoup plus complexe que cela, car cela implique de démanteler des structures complexes, des dynamiques et des institutions qui ont émergé et se sont consolidées au cours du dernier quart de siècle.

Ce qui est crucial à ce stade, c’est que les Palestiniens ne paniquent pas et ne maudissent pas leur sort de « perdre » 300 à 400 millions de dollars par an ; ils devraient plutôt agir – et de nombreux choix s’offrent à eux. Pour commencer, ils devraient tenir l’USAID et l’USSC pour responsables, et abroger les dérogations d’enregistrement que le défunt dirigeant palestinien Yasser Arafat avait accordées à l’USAID pour fonctionner sans aucune surveillance palestinienne.

Inversion du processus de contrôle

Il est temps d’inverser le « processus de contrôle » ; plutôt que d’être soumis au contrôle de l’USAID, il est temps que les Palestiniens effectuent les vérifications nécessaires concernant l’USAID et les autres organismes américains de l’industrie de l’aide en Palestine.

Pour ce faire, il faut que les dirigeants palestiniens fassent preuve de volonté et de courage politiques. Mais la direction actuelle de l’AP reste bloquée sur l’échec de ses approches et formules.

L’incapacité des dirigeants de l’AP à réaliser de petites actions telles que la révocation des dérogations d’enregistrement de l’USAID reflète une crise de légitimité plus profonde et illustre les manœuvres tactiques des dirigeants actuels de l’AP pour gagner du temps, rester au pouvoir ou réorganiser les cartes des pourparlers de « paix ». Il faut d’urgence résister à ces idées et les remplacer par de nouvelles orientations stratégiques qui soient dictées par le peuple palestinien.

Le principal défi qui reste à relever est toutefois de savoir comment canaliser les revendications et les aspirations du peuple palestinien vers des institutions politiques et représentatives légitimes.

Du point de vue du peuple palestinien ordinaire, il y aura des conséquences négatives à court terme dans l’éventualité où la menace de Donal Trump de couper l’aide se concrétise. Cependant, il est également crucial de reconnaitre que l’aide à l’AP ne se traduit pas automatiquement par une aide au peuple palestinien.

Il est trompeur d’affirmer que l’aide et ses avantages se répercutent sur le peuple palestinien ordinaire. L’industrie de l’aide est conçue pour bénéficier à peu et nuire à beaucoup.

Sam Bahour, le président de Americans for a Vibrant Palestinian Economy, a récemment déclaré : « Je ne vais pas perdre le sommeil si le Congrès cesse totalement de financer l’Autorité palestinienne. Cela ne facilitera pas la vie quotidienne sous l’occupation, mais peut-être que cela réveillera suffisamment de dirigeants américains qui verront l’absurdité d’être menés comme un troupeau de moutons par leur éleveur israélien. »

Cela ne m’empêchera pas de dormir moi non plus. Alors qu’une coupure de l’aide américaine aura quelques conséquences négatives sur la vie des Palestiniens, les perspectives à long terme pourraient s’avérer plus positives car cette action pousserait l’AP à abandonner le cadre du modèle d’aide des accords d’Oslo. Il est temps d’enterrer le modèle d’aide d’Oslo, qui a échoué.

Mais un processus d’abandon progressif requiert des actions sérieuses, des mesures concrètes et claires et un plan d’action/de sauvetage national pour une transition vers une formule post-solution à deux États et un cadre post-accords d’Oslo.

Enfin, alors que l’aide humanitaire est importante, ce qui importe plus pour les Palestiniens ordinaires n’est pas d’avoir un bon pour obtenir du blé ou des sardines, mais plutôt les racines politiques pour lutter contre le déni de leurs droits.

Tant qu’on n’abordera pas la question de ces racines politiques, peu importe l’étendue de l’aide, les Palestiniens ordinaires ne ressentiront pas le bénéfice positif de l’aide, qu’elle vienne des États-Unis, d’Europe ou des pays arabes.

La menace de Donald Trump de suspendre l’aide financière offre aux Palestiniens ordinaires une nouvelle opportunité de placer les principes d’auto-détermination et de dignité au cœur du cadre et de l’industrie de l’aide.

 

  • Alaa Tartir est directeur de programme à Al-Shabaka: The Palestinian Policy Network et chargé de recherche invité au Centre on Conflict, Development and Peacebuilding (CCDP) de l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID), situé à Genève (Suisse).Vous pouvez le suivre sur Twitter : @alaatartir.Vous pouvez consulter sa publication sur le site www.alaatartir.com  

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un enfant palestinien appuyé sur des sacs d’aide alimentaire fournis par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 août 2017 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

Source : MiddleEastEye

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