Ibrahim Abu Thurayya : une icône de dignité et de résistance

Par Shahd Abusalama, le 18 décembre 2017

Ibrahim Abu Thurayya a porté un défi à son invalidité et à son occupant. (Ezz Al-Zanoon / APA images)

Comment devrais-je pleurer la mort de quelqu’un qui comme beaucoup d’autres- a été tué simplement parce qu’il était palestinien ?

Ibrahim Ab Thurayya a été abattu par Israël vendredi dernier le long de la frontière de Gaza avec Israël.

Mes idées et mes sentiments à propos de ce meurtre sont complexes et ne peuvent s’exprimer entièrement avec des mots.

Abu Thurayya était en réalité l’une des quatre personnes tuées par Israël le même jour. Ces meurtres ont eu lieu dans le cadre des manifestations contre la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.

Cependant, parce qu’il avait dû être amputé précédemment de ses deux jambes, les médias locaux et internationaux ont prêté plus d’attention à l’histoire d’Abu Thurayya qu’aux épreuves subies par la plupart des victimes palestiniennes.

De nombreux articles sur son assassinat ont mis en lumière le fait qu’Abu Thurayya ne représentait aucune menace pour les militaires israéliens.

Les Palestiniens tués par Israël ne représentent généralement aucune menace pour les forces lourdement armées de cet Etat. Malgré tout, la question de savoir s’il représentait une menace ne devrait même pas se poser.

Le question elle-même ignore la dynamique du pouvoir entre un soldat au service d’une puissance occupante et des civils qui ont passé toute leur vie sous occupation. Poser la question de savoir si un Palestinien représente une menace est un moyen subtil de faire retomber le blâme sur les victimes.

Je ne souhaite absolument pas raconter l’histoire d’un homme de 29 ans dont l’invalidité ne l’a pas mis à l’abri des armes létales d’Israël. Nous avons perdu tant de gens que nos blessures ne se sont jamais cicatrisées. Un nouveau meurtre approfondit la douleur ressentie dans nos plaies ouvertes.

Déshumanisation

Je connais trop bien le niveau de déshumanisation auquel nous soumet Israël.

Israël et ses soutiens nous décrivent ouvertement comme une « menace démographique ». Notre histoire et notre identité, en réalité notre existence même en tant que peuple menacent de détruire tous les mythes qu’Israël a propagés dans sa quête désespérée pour une « légitimité internationale ».

Je sais trop bien qu’être un Palestinien est une raison suffisante pour qu’Israël nous tue.

Pourquoi la tragédie spécifique d’Ibrahim Abu Thurayya devrait-elle soudain ouvrir les yeux des gens sur la brutalité d’Israël envers les Palestiniens ? Il existe des milliers d’autres exemples frappants – des enfants tués, battus (parfois devant les caméras) et terrorisés dans les prisons israéliennes – qui n’ont bénéficié que d’une fraction de l’attention apportée à ce cas.

Je suis préoccupé de voir que nous avons plus de sympathie pour Abu Thurayya que pour d’autres victimes.

Abu Thurayya a dû être amputé des deux jambes après l’attaque par Israël d’avril 2008.

Sept autres personnes ont été tuées au cours de cette attaque. Elle a eu lieu pendant l’invasion israélienne du camp de réfugiés d’al-Bureij à Gaza.

Aurions-nous eu moins de sympathie pour Abu Thurayya s’il avait été tué dans cette attaque ? Il se serait agi de la même victime, de la même famille dévastée par la perte d’un être cher.

Ibrahim Abu Thurayya était bien plus qu’un homme qui avait perdu ses deux jambes. Il a largement fait remarquer cela lui-même.

Abu Thurayya a continué à travailler après qu’il a été attaqué. Il lavait des voitures pour gagner sa vie et a dit un jour : « SVP ne me regardez jamais comme un handicapé. Regardez le beau travail que je fais. »

Perdre ses jambes, a-t-il ajouté, n’est « pas la fin du monde et la vie doit continuer ».

Une attitude positive

Abu Thurayya a refusé d’être enfermé dans son invalidité. Il a essayé de vivre aussi librement qu’il le pouvait dans la prison à ciel ouvert de Gaza.

Avec son attitude positive, il a fourni un exemple extraordinaire de dignité et de résistance.

Depuis avril 2008, Abu Thurayya est apparu dans beaucoup de récits médiatiques. Dans chacun de ces récits, il a dit à peu près la même chose : « Je porte un défi à mon invalidité, je porte un défi à Israël également. »

A sa manière propre, AbuThurayya avait remporté une victoire sur les tentatives d’Israël pour déshumaniser les Palestiniens.

Son histoire nécessiterait un livre pour lui rendre justice – c’est une histoire qu’il faut placer dans l’expérience collective des Palestiniens du colonialisme israélien. Il y a cependant quelques composantes clés de cette histoire que nous ne devons pas oublier.

Il est né dans la troisième génération des réfugiés du camp de réfugiés de la Plage de Gaza. Lorsqu’il était adolescent, il a travaillé en tant que pêcheur. Tous les jours, il se risquait à sortir sur une humble embarcation dans les eaux où patrouillait la Marine israélienne – force qui utilise souvent des méthodes brutales pour empêcher les pêcheurs de Gaza d’exercer leur métier.

Abu Thurayya n’avait que 20 ans quand on a dû l’amputer des jambes. Il a continué à défier Israël jusqu’à la fin.

Son dernier acte de résistance a eu lieu vendredi dernier. Abu Thurayya faisait face à son oppresseur dans une manifestation. Un soldat israélien de l ‘autre côté de la barrière lui a tiré dessus, perforant sa tête avec une balle.

 

Abu Thurayya me rappelle Nadia, personnage de Lettre de Gaza, nouvelle que Ghassan Kanafani a écrite en 1956.

Nadia avait 13 ans quand elle a perdu une jambe lorsqu’Israël a accompli des massacres cette année-là. Elle avait été blessée alors qu’elle essayait de protéger ses frères et sœurs contre les bombes israéliennes.

Dans cette histoire, Kanafani implore un ami vivant en Californie de revenir à Gaza pour qu’il puisse « apprendre de la jambe de Nadia, amputée depuis le haut de la cuisse, ce qu’est la vie et ce que vaut l’existence ».

Peu avant d’être tué, Ibrahim Abu Phurayya a été filmé en train de dire : « C’est notre terre et nous ne renoncerons pas. »

Son histoire peut nous en apprendre sur la vie. C’est pourquoi il faut la partager, l’enseigner et nous en souvenir.

Note du rédacteur : Quelques modifications mineures ont été apportées à cet article depuis la publication initiale.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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