L’Apartheid de l’intérieur ? Les citoyens palestiniens d’Israël

Par Yara Hawari, le 23 novembre 2017

 

SOMMAIRE

Le mot apartheid est souvent utilisé en référence à la situation des Palestiniens sous occupation. Membre politique d’Al-Shabaka, Yara Hawari étudie l’application de ce mot aux citoyens palestiniens d’Israël en se concentrant sur la citoyenneté, la terre, l’éducation et la politique. Elle essaie aussi de savoir si ce genre d’analyse peut faire avancer les droits de cette communauté et contrecarrer la fragmentation des Palestiniens dans leur ensemble.

 

Aperçu

Des personnages clés de l’arène internationale ont décrit la situation en Cisjordanie comme de l’apartheid, évoquant des caractéristiques de la ségrégation telles que les routes réservées aux colons, les colonies fortifiées et le mur de séparation. Dans son livre de 2006 « La Paix pas l’Apartheid », l’ancien président américain Jimmy Carter appliquait le terme spécifiquement aux Territoires Palestiniens Occupés (TPO), alors que John Kerry en 2014 prévenait qu’Israël « pouvait » devenir un Etat d’apartheid si la solution à deux Etats échouait.

Pourtant, plus récemment, des voix éminentes ont appliqué le terme à la situation des citoyens palestiniens d’Israël. Jodi Rudoren, ancien chef du bureau du New York Times à Jérusalem, a affirmé : « Je… pense que la question de l’apartheid s’applique davantage à la façon dont les Arabes israéliens [les citoyens palestiniens d’Israël] sont traités au sein d’[Israël]. » La Commission Economique et Sociale de l’ONU pour l’Asie Occidentale (CESAO) a publié un rapport au début de cette année déclarant qu’Israël, depuis ses tout débuts « a établi un régime d’apartheid qui domine le peuple palestinien dans sa totalité » – ce qui voulait dire les Palestiniens, non seulement dans les TPO, mais également en exil et en Israël proprement dit.1

Cette notice politique fait l’analyse de l’apartheid tel qu’il s’applique aux citoyens palestiniens d’Israël, en se concentrant particulièrement sur la citoyenneté, la terre, l’éducation et la politique. Elle se conclut avec des stratégies pour savoir comment utiliser ce genre d’analyse pour faire avancer les droits des citoyens palestiniens et contribuer à contrer la fragmentation du peuple palestinien dans sa totalité.

 

L’apartheid et ses débuts

Le droit international coutumier et le Statut de Rome de la Cour Criminelle Internationale définissent l’apartheid comme « des actes inhumains… commis dans le contexte d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination par un groupe racial sur tout autre groupe racial ou groupes raciaux et commis dans l’intention de maintenir ce régime ».

Bien que nombreux soient ceux qui associent l’apartheid à l’Afrique du Sud, cette définition est universellement applicable et défie ainsi l’erreur qui consiste à penser que l’apartheid était un cas exceptionnel qui depuis a pris fin. La définition permet aussi de comprendre l’apartheid comme un système qui a adopté diverses caractéristiques et se manifestait sous différentes formes, y compris économiques (voir Repenser notre définition de l’apartheid qui plaide en faveur de l’idée que l’apartheid n’a pas encore disparu en Afrique du Sud.)

Alors que 750.000 Palestiniens ont été expulsés hors des frontières de l’État juif nouvellement établi en 1948, 150.000 Palestiniens ont survécu sur place et ont été soumis à une loi martiale pendant presque 20 ans. Cette période, connue comme le régime militaire, s’est appuyée sur le Régime d’Exception de 1945 introduit par les autorités mandataires britanniques qui s’en sont servi pour contrôler les Arabes de Palestine. Ces mécanismes limitaient tous les aspects de la vie des Palestiniens à l’intérieur du nouvel Etat, y compris la liberté de circulation et d’expression politique.

Cette période a vu une appropriation massive de la terre, conduite grâce à la Loi sur les Biens des Absents votée en 1950 à la Knesset. Cette loi est toujours le principal vecteur qui permet à Israël de confisquer la terre, y compris à Jérusalem Est.2 Elle a permis à l’État de saisir les biens de toute personne qui avait quitté son lieu de résidence entre le 29 novembre 1947 et le 19 mai 1948. Cette loi et d’autres, dont celles qui renferment le Droit Fondamental – qui à ce jour, sert de constitution à Israël – a codifié l’apartheid dans le système juridique. Ces lois affirmaient aussi la doctrine fondatrice d’Israël de la domination des Juifs dans un Etat juif, tous les autres étant inégaux.

Bien que le régime militaire ait été aboli en 1966, la communauté palestinienne est restée une menace démographique et potentiellement politique pour la nature de l’État. Israël a donc maintenu à la fois la ségrégation et la marginalisation des Palestiniens. Aujourd’hui, les Palestiniens d’Israël sont 1,5 millions, un cinquième de la population totale. Aucun effort n’a été fait pour les assimiler à la structure coloniale, comme dans d’autres cas de régimes coloniaux de peuplement. L’accent mis sur Israël comme ayant une nature exclusivement juive a laissé ses citoyens palestiniens en marge, même s’ils continuent à survivre.

 

La citoyenneté en tant que mécanisme d’apartheid

On dit souvent que les Palestiniens d’Israël sont des citoyens « de deuxième classe », et pourtant cette expression ne reflète pas la réalité. Bien qu’on ait donné la citoyenneté israélienne aux Palestiniens qui sont restés à l’intérieur des frontières du nouvel Etat, on ne l’a pas utilisée d’emblée comme un mécanisme d’inclusion. C’est parce que, en Israël, à la différence de la plupart des pays, citoyenneté et nationalité sont des termes et des catégories distincts. Alors qu’il existe quelque chose comme la citoyenneté israélienne, il n’y a pas de nationalité israélienne ; la nationalité est plutôt définie selon des axes religieux/ethniques. Israël définit 137 nationalités possibles, dont juive, arabe et druze, qui sont consignées sur les cartes d’identité et dans l’enregistrement des bases de données. Pourtant, parce que l’État se définit constitutionnellement comme juif, ceux qui jouissent de la nationalité juive éclipsent la population non juive (principalement palestinienne).

Comme la nation juive et l’État d’Israël sont considérés comme une seule et même entité, la conséquence est l’exclusion des citoyens non-juifs. Le rapport de la CESAO explique que la différenciation entre citoyenneté et nationalité permet un système raciste sophistiqué et camouflé, pas forcément détectable par un observateur ignorant. Le système divise la population en deux catégories (Juifs et non-Juifs), incarnant la définition même de l’apartheid. Les citoyens palestiniens sont ainsi désignés comme des « Arabes israéliens », terme devenu commun dans les médias traditionnels. En plus d’agir comme faisant partie du mécanisme d’exclusion binaire, cette appellation cherche à nier l’identité palestinienne de ces citoyens tout en permettant à Israël de se présenter comme un Etat divers et multiculturel. Ceci entre en jeu dans l’accès à la terre, au logement, à l‘éducation, comme on en parlera plus loin.

Les citoyens palestiniens ainsi que les Juifs israéliens ont mis plusieurs fois en doute la question de citoyenneté et nationalité devant les tribunaux israéliens. Alors que les Palestiniens l’ont fait pour essayer de gagner la totalité des droits à l’intérieur de l’État, les Juifs israéliens cherchaient généralement à renoncer à l’identité ethnique et religieuse. Jusqu’ici, la Cour Suprême israélienne a rejeté toutes les requêtes demandant à changer la loi en se fondant sur le fait que la nationalité israélienne permettrait techniquement l’inclusion des citoyens non-juifs et mettrait en question le soutènement sioniste d’Israël en tant qu’Etat-nation juif.

 

Ségrégation et dépossession de la terre

L’organisation de l’espace à l’intérieur d’Israël est, elle aussi, une démonstration de l’apartheid. La plupart des citoyens palestiniens d’Israël vivent dans des villes et villages réservés aux Arabes, un petit nombre seulement vivant dans des « villes mixtes ». Ce genre de ségrégation n’est ni accidentel ni un schéma résidentiel « naturel ». Un rapide examen révèle le dessein d’Israël qui consiste à entasser autant d’Arabes palestiniens que possible dans un territoire aussi petit que possible.

Les villages qui ont survécu au nettoyage ethnique de 1948 ont vu la plus grande partie de leur terre accaparée et ils n’ont pas été autorisés depuis à s’étendre. Résultat, ces villes et villages arabes souffrent d’un grave surpeuplement, sans possibilité de soulagement grâce au développement ou la croissance. Par ailleurs, aucune ville ou village arabe n’a été construit depuis 1948.

Si les Palestiniens quittent leurs villes et villages d’origine, leurs possibilités d’achat ou de location sont limitées par deux mécanismes principaux : les comités d’admission et le Fond National Juif (FNJ) et la politique discriminatoire des autorités de l’État. Les communautés rurales sont autorisées à installer des comités d’admission qui évaluent « l’aptitude sociale » des résidents potentiels, préparant le terrain du rejet « licite » des demandeurs palestiniens parce qu’ils ne sont pas Juifs. La Haute Cour a maintenu cette pratique malgré les interpellations pour la dénoncer.

L’Autorité des Territoires Israéliens (connue jusqu’en 2009 comme la Gestion des Territoires israéliens) a été d’emblée chargée de maintenir la mission du Fond National Juif qui doit fonctionner comme le gardien de la terre de Palestine pour le peuple juif et agir en accord avec la Loi de 1952 sur le Statut de l’Agence Juive – Organisation Sioniste Mondiale, dont la fonction principale est de rassembler et d’installer les Juifs du monde entier en Israël.

La planification urbaine et rurale et l’organisation de l’espace maintiennent ainsi la suprématie du caractère juif de l’État et soutiennent le discours sioniste. Le but du Plan Directeur National d’Israël, élaboré d’après la Loi de 1965 sur la Planification et la Construction, réaffirme cette politique : « Développer des espaces en Israël d’une façon qui permette la réalisation des buts de la société israélienne et de ses diverses composantes, la réalisation de son caractère juif, l’absorption des immigrants juifs et le maintien de son caractère démocratique. »

Cette idéologie et la politique qui la soutient ont eu des conséquences dévastatrices sur l’espace des Palestiniens dans les frontières de 1948. En Galilée, où les Palestiniens sont majoritaires, le gouvernement israélien a lancé des tentatives déterminées pour « judaïser » la région. C’est par exemple l’encerclement de villages palestiniens par des colonies israéliennes afin d’empêcher la contiguïté géographique – ce qui révèle la préoccupation de l’État concernant la démographie, particulièrement sa crainte de l’accroissement de la population palestinienne. Cette préoccupation d’Israël a joué aussi dans les déplacements continuels et la relocalisation forcée de dizaines de milliers de Bédouins palestiniens dans le Naqab (Negev).

Jusqu’à 90.000 Bédouins vivent dans des « villages non-reconnus », ce qui signifie qu’Israël considère ces villages comme illégaux et leurs résidents comme des « intrus » sur la terre de l’État. La classification en tant qu’ « illégaux » provient d’abord du fait que beaucoup de ces villages datent d’avant la création d’Israël, et la coutume des Bédouins déterminait la propriété foncière. Concernant les villages restants, les Bédouins les ont établis après avoir été expulsés de leurs terres ancestrales en 1948, et les villages ne sont pas « autorisés » par l’État. De cette façon, Israël prétend être dans la légalité en privant de nombreux Bédouins du Naqab des services basiques tels que l’eau et l’électricité et, très souvent, détruit les villages.

Le fait que Palestiniens et Juifs vivent dans des espaces séparés fait qu’il est plus facile pour Israël de priver de services les Palestiniens maintenus ailleurs à l’intérieur des frontières de 1948. Les organisations quasi-gouvernementales qui attribuent les ressources facilitent cette privation. Ces organisations sont juives ou sionistes, dont l’Agence Juive et l’Organisation Sioniste Mondiale, et leur mission est d’être au service de la population juive et de maintenir le caractère sioniste de l’État. Résultat, ils refusent des ressources aux Palestiniens parallèlement au refus de l’espace pour les Palestiniens, en se fondant sur le fait qu’ils ne sont pas juifs. Même si beaucoup de pays répartissent les ressources et la terre de façon inégale et injuste, rarement cette politique est consacrée si explicitement dans la loi qu’en Israël.

 

Maintenir le régime

Israël maintient ce régime d’apartheid grâce à diverses méthodes de contrôle extérieur et national. A l’intérieur des frontières de 1948, l’État essaie de soumettre les Palestiniens dès le début de leur existence grâce au système éducatif. Etabli pendant le régime militaire, le système scolaire public a installé les enfants palestiniens et les enfants israéliens dans des écoles séparées. Le professeur en pédagogie de l’université Ben Gurion du Negev, Ismael Abu-Saad, expliquait que, alors que la structure officielle du régime militaire avait changé depuis, la stratégie qui consiste à utiliser « l’éducation comme un outil à dessein politique a perduré et continue de définir aujourd’hui l’expérience éducative des élèves indigènes arabes palestiniens en Israël.

Cette stratégie politique comporte le contrôle du programme éducatif pour supprimer l’identité palestinienne et empêcher la mobilisation contre l’État. Les écoles palestiniennes sont par ailleurs très sous-dotées : On dépense pour les élèves palestiniens moins d’un tiers de ce qu’on dépense pour les élèves juifs israéliens. Ce manque de dotations est non seulement une démonstration des grossières inégalités entre les deux catégories de citoyens, mais il fait aussi obstacle aux chances ultérieures des enfants palestiniens dans leur vie.

Les écoles juives israéliennes jouissent d’une grande autonomie concernant leur programme éducatif, alors que le ministère de l’Education définit le programme éducatif des écoles palestiniennes. Il n’est donc pas surprenant que le programme des écoles palestiniennes se concentre presque entièrement sur l’histoire, « les valeurs » et la culture juives, sans aucune référence à l’histoire arabe palestinienne. Le récit de la Nakba, nom que les Palestiniens donnent à la catastrophe de leur dépossession en 1948, est absent – et en réalité hors-la-loi. La Loi israélienne sur les Fondements Budgétaires, familièrement connue comme la « Loi Nakba », donne le droit au ministre des Finances de réduire ou de supprimer le financement public de toute institution qui commémore la Nakba ou célèbre le Jour de l’Indépendance Israélienne comme un jour de deuil. Cela concerne les écoles, les ONG et les municipalités villageoises. Le déni de cet aspect essentiel de l’histoire palestinienne tente de dissocier les Palestiniens d’une histoire collective dans laquelle la Nakba joue un rôle clé.

Comme les Palestiniens ne peuvent gagner que difficilement des procès ou des appels dans le système juridique israélien, ils ne peuvent pas sérieusement défier ce régime racial. Et bien que la participation politique des Palestiniens à la Knesset soit souvent citée comme un exemple de la pluralité et de la démocratie de l’État, depuis 1948, aucun parti arabe n’a été inclus dans une coalition gouvernementale et seuls quelques rares citoyens palestiniens ont été nommés à des postes ministériels. Les candidats à la Knesset peuvent être rejetés s’il nient l’existence d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique, faisant de l’acceptation que l’État est là pour le peuple juif, et que l’existence des Palestiniens à l’intérieur de l’État ne sera jamais égale à celle de leurs pendants juifs, une condition préalable à la participation politique en Israël.

La mobilisation politique contre le régime s’est donc poursuivie hors de la politique institutionnelle, dans le cadre des cercles soit de la société civile, soit des militants, tous deux étant sous surveillance et harcèlement constants. Adalah, Centre Juridique pour la Minorité Arabe en Israël, a informé sur l’arrestation et le harcèlement systématiques par l’État d’acteurs clés de la société civile et de militants politiques. Parallèlement, l’État interdit souvent violemment des manifestations, très notoirement en octobre 2000 quand 13 citoyens palestiniens non armés ont été abattus parce qu’ils manifestaient en solidarité avec les Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza.

En dépit de pratiques aussi impitoyables et violentes, Israël conserve une image de démocratie libérale et multiculturelle – une alliée de l’Occident dans une région autrement hostile. Il présente le sionisme comme une idéologie juive de libération nationale plutôt que comme le fondement d’un régime colonial de peuplement qui maintient un régime d’apartheid. Israël s’est aussi arrangé pour façonner le débat sur ce qu’est la Palestine et ce qu’est un Palestinien.

En réalité, la Nakba a divisé le peuple palestinien en trois fragments : les citoyens palestiniens d’Israël, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, et les Palestiniens en exil (les réfugiés). Israël et divers processus de paix internationaux, dont les Accords d’Oslo, ont poursuivi la concrétisation de cette fragmentation à travers la perception intentionnellement limitée de la Palestine en tant que « Territoires Palestiniens Occupés » – et le peuple palestinien comme réduit à la population vivant dans les territoires. Ceci échoue à reconnaître la Nakba comme faisant partie de l’histoire palestinienne et renvoie à la fois les citoyens palestiniens d’Israël et les réfugiés palestiniens en exil hors de la lutte de libération de la Palestine. Le rapport de la CESAO souligne le fait que cette fragmentation est la méthode principale par laquelle Israël impose l’apartheid au peuple palestinien. Il est donc important de créer des stratégies pour se servir de l’analyse de l’apartheid et lutter contre cette fragmentation.

 

Analyse de l’Apartheid en tant que stratégie pour assurer les droits de tous les Palestiniens

Le mot « apartheid », incontestablement à cause de ses graves implications politiques et juridiques, n’a pas encore pénétré le monde de la politique ou des médias traditionnels concernant Israël et la Palestine. On ne l’a qu’occasionnellement appliqué à la situation en Cisjordanie. En réalité, le rapport de la CESAO, qui se conclut en disant qu’Israël pratique l’apartheid sur la totalité de la population palestinienne, a été retiré peu après sa publication à la suite d’une énorme pression de la part des Etats Unis et d’Israël.

Néanmoins, on peut utiliser stratégiquement l’analyse de l’apartheid pour contrer la fragmentation du peuple palestinien et pour faire avancer les droits des Palestiniens, dont ceux des citoyens palestiniens d’Israël. A cet égard, plusieurs raisons rendent particulièrement bénéfique l’analyse de l’apartheid.

D’abord, le droit international fournit un modèle et une définition de ce mot, reconnaissant que l’apartheid peut prendre différentes formes. Une compréhension de l’apartheid ne se limite donc pas à celle du régime sud-africain. L’apartheid est aussi un mécanisme juridiquement consacré, pratiqué et maintenu par l’État. En tant que tel, le problème ne repose pas sur les partis politiques ou sur les politiques qui siègent au gouvernement, mais plutôt sur le fondement constitutionnel de l’État lui-même. Finalement, l’analyse de l’apartheid reconnaît que le régime israélien d’oppression et de discrimination, non seulement affecte tous les fragments de la société palestinienne mais, en réalité, dépend de cette fragmentation. Par conséquent, les solutions à long terme à cette violation des droits des Palestiniens doivent prendre en compte chaque segment du peuple palestinien, pas simplement les Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza.

Construire à partir de ces forces offre quelques possibilités de stratégies. Pour ceux qui travaillent dans le droit international et l’analyse politique, on ne devrait pas renoncer à essayer d’acquérir les droits des Palestiniens dans le cadre de l’occupation armée, en particulier la reconnaissance de la Ligne Verte. Cependant, les responsables politiques palestiniens et les acteurs de la société civile doivent aussi mettre en relief que les citoyens palestiniens d’Israël ne se situent pas à part dans le combat de tous les Palestiniens. Rassembler tous ces segments aidera à contester les limitations du discours international qui décide qui est défini comme Palestinien.

Quant aux Palestiniens, particulièrement les dirigeants politiques et de la société civile, ils devraient avant tout chercher à contrer la fragmentation renforcée par le régime israélien. Les leaders doivent considérer la période d’avant Oslo, époque de plus grande coopération à travers la Ligne Verte, et s’appuyer sur le travail déjà entamé, même à petite échelle, par diverses ONG qui visent principalement à rassembler la jeunesse palestinienne, telle Baladna (Association pour la Jeunesse Arabe basée à Haïfa). Ce dont on a besoin, c’est d’un effort collectif développé par les Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte et en exil pour avancer vers une perspective politique et un avenir viable.

Il existe un précédent à ce genre de perspective chez les Palestiniens d’Israël. Les Documents pour une Perspective d’Avenir, publiés en 2006-2007, ont émergé d’un effort collectif des leaders politiques, intellectuels et de la société civile palestiniens. Ces documents ont non seulement défini les exigences sociales et politiques de la communauté palestinienne d’Israël, mais ils ont aussi proposé un bref récit palestinien. Cela a abouti à un cadre théorique et structuré pour les droits des Palestiniens à l‘intérieur de l’État d’Israël. Ce cadre imaginait l’avenir indépendamment des restrictions politiques venant d’en haut et soumettait de réelles propositions politiques.

Pourtant, l’attention de ces documents, concentrée sur Israël proprement dit, souligne leurs limites, surtout en ce qui concerne la fragmentation. Etendre cette perspective à travers la Ligne Verte et au-delà, et la transformer en une exigence de mettre fin à l’apartheid et à la mise en vigueur de la fragmentation peut jouer un rôle central dans la lutte pour la libération des Palestiniens. Ce n’est qu’à travers ce genre de développement que tous les aspects du régime d’apartheid israélien peuvent être mis en cause.

 

Notes :

1. Le rapport de la CESAO déclare : « Israël a établi un régime d’apartheid qui domine la totalité du peuple palestinien… Israël est coupable d’une politique et de pratiques qui constituent le crime d’apartheid tel que juridiquement défini dans les appareils du droit international. »

2. Un cas récent a été la tentative d’éviction en 2014 de la famille Ghaith-Sub Laban, qui vivait chez elle dans la Vieille Ville de Jérusalem depuis 60 ans.

 

Yara Hawari

Yara Hawari est membre politique pour la Palestine d’Al-Shabaka : Réseau Politique Palestinien. C’est une militante universitaire britannique palestinienne, dont les écrits continuent d’être informés par son engagement dans la décolonisation. Originaire de Galilée, Yara a passé sa vie entre la Palestine et le Royaume Uni. Elle est actuellement en dernière année de Doctorat au Centre Européen d’Etudes Palestiniennes à l’université d’Exeter. Sa thèse se concentre sur les projets et les initiatives de la tradition orale en Galilée et, plus largement, sur la tradition orale en tant que forme autochtone de production de connaissance. Yara est également professeure assistante doctorante et travaille comme journaliste indépendante pour divers médias, dont The Electronic Intifada et The Independent.

 

Source : Al-Shabaka

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

 

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