Il n’y a pas d’antisémitisme endémique sur les campus universitaires

Par Barry Trachtenberg

Barry Trachtenberg est professeur associé d’histoire à l’Université Wake Forest. Il est président de la chaire Michael R. et Deborah K. Rubin d’histoire juive.

 

 

Ce texte est préparé par le Professeur Barry Trachtenberg pour son témoignage devant la Commission des questions judiciaires du 7 novembre 2017, lors d’une audience consacrée à « l’examen de l’antisémitisme sur les campus universitaires ».

 

Je vous remercie, Président Goodlatte, Monsieur Conyers, Ranking Member, et les membres de la Commission. C’est un honneur d’être ici aujourd’hui pour témoigner sur la question de l’antisémitisme sur les campus universitaires. Je vous suis reconnaissant de solliciter un large éventail de voix sur ce sujet important, à l’heure où les tentatives de limiter la parole sur le campus mettent en jeu le droit des étudiants et du personnel enseignant d’exprimer diverses positions

Il est devenu de plus en plus habituel d’entendre parler d’un « nouvel antisémitisme », menaçant de mettre en danger les Juifs à un niveau jamais atteint depuis la seconde guerre mondiale et l’holocauste. Des études de plusieurs organisations juives majeures ont sonné l’alarme sur l’antisémitisme donné comme « danger évident et présent »1 tandis qu’un grand nombre de commentateurs ont avancé qu’une autre « guerre contre les Juifs » est sur nos têtes2. Cependant, ces signaux sont moins motivés par une véritable menace pesant sur les juifs d’Amérique et du reste du monde que par une campagne persistante, cruciale pour l’Etat d’Israël, visant à empêcher les débats, la recherche universitaire et le militantisme politique.

En vérité, le « vieil antisémitisme » – tel que nous le vîmes à Charlottesville cet été, où des marcheurs brandissant des torches portaient des drapeaux nazis et confédéraux, scandaient « Vous/Juifs ne nous remplacerez pas » et tuèrent un manifestant – est toujours vivant aux États Unis et exige une vigilance et une résistance tenace. La législation telle que la loi H.R.6421 de 2016 pour la vigilance contre l’antisémitisme n’est pas une démarche permettant de lutter véritablement contre l’antisémitisme actuel ; il faut plutôt la comprendre comme un moyen d’étouffer ce qui relève, en fait, de prises de parole protégées, vitales et nécessaires aux missions scientifiques des institutions d’enseignement et au fonctionnement des sociétés démocratiques.

La caractérisation des campus des États Unis comme foyers d’un nouvel antisémitisme est une distorsion des faits. Une étude récente de chercheurs de l’Université de Stanford a montré que des rapports sur un antisémitisme endémique tiennent une grande place dans la presse, alors qu’ils ne représentent pas la réalité que vivent les étudiants juifs au niveau des campus3. Ils ont découvert que la vie sur les campus n’est ni menaçante ni alarmante. En général, les étudiants ont dit se sentir à l’aise sur leurs campus et, plus particulièrement se sentir à l’aise en tant que juifs sur leurs campus.

La plupart de ce que vous entendrez comme témoignages aujourd’hui est susceptible de défendre l’idée que l’antisémitisme est à un niveau de crise. Je vous incite au scepticisme face à de telles allégations. Tout d’abord, nombre d’histoires circulant largement contiennent des éléments qui tordent la réalité et sont mal présentés dans les media. Ensuite, beaucoup d’études reposent sur une définition qui, de fait, définit la critique d’Israël comme antisémite.

Les étudiants qui prennent la parole de façon critique sur la politique israélienne sont largement motivés par leur préoccupation pour les droits humains des Palestiniens. Ils ne sont pas motivés par une haine antisémite mais au contraire par un désir de mettre fin aux discriminations raciales et religieuses de toutes sortes.

Il est très difficile d’instaurer une définition de l’antisémitisme à des fins de législation. À la racine des débats actuels sur l’antisémitisme, on trouve un problème apparemment insoluble, comment critiquer le pouvoir collectif juif sans qu’il y ait de résonnance immédiate dans la longue histoire de l’antisémitisme. Au cours du dernier millier d’années de l’histoire européenne, les Juifs ont été régulièrement présentés comme un élément incomparable et exceptionnel cherchant à saper l’ordre établi tant religieux que politique et économique. Pendant tout ce temps, les Juifs ont été imaginés comme un groupe uni possédant pouvoir et autorité sans commune mesure avec leur nombre effectif.

Pour autant, en 1948, avec la fondation d’Israël comme solution à l’antisémitisme, la situation a radicalement changé. Pour la première fois, un nombre significatif de Juifs ont acquis un pouvoir réel et non imaginaire. Aujourd’hui l’État d’Israël a des frontières, une police, des tribunaux, une armée, un arsenal nucléaire, des partis politiques et un système de gouvernement représentatif en grande partie et d’une certaine manière, démocratique.

Comme pour tous les autres États, il doit être permis que ses actions soient matière à débat public et à commentaires, à la fois dans la communauté juive et en dehors d’elle. Cependant, le problème est que le discours critique sur Israël continue à heurter beaucoup de gens comme intrinsèquement antisémite. Le problème est que nous sommes encore en train d’apprendre comment parler du pouvoir politique effectif d’Israël de façon à ne pas faire écho à des représentations bien plus anciennes et antisémites d’un pouvoir juif imaginaire. Ce n’est pas uniquement dû à la longue histoire de la haine antijuive de l’occident. C’est aussi parce que, comme nous le voyons dans des initiatives législatives telle celle-ci, le fait de présenter tout discours critique d’Israël comme intrinsèquement antisémite a été un outil hautement efficace entre les mains de ceux qui soutiennent inconditionnellement toute action d’Israël et cherchent à stigmatiser toutes les critiques.

Le Congrès serait malvenu d’exercer son autorité juridique sur une définition de l’antisémitisme qui est aussi profondément contestée. Insister sur l’impossibilité de protester contre Israël ou de lui opposer des objections, stipuler que le pouvoir collectif juif ne peut être analysé ni débattu, ou conclure que les Juifs, parce qu’ils ont été un jour victimes d’un des pires crimes de génocide de l’humanité, sont en quelque sorte immunisés contre la possibilité de perpétrer des actes de violence contre d’autres peuples, ne ferait que renforcer la croyance antisémite selon laquelle les Juifs sont un peuple fondamentalement différent. Le plus dangereux de tout : les tentatives d’élargissement de la définition de l’antisémitisme pour y inclure des phénomènes qui, clairement, ne sont pas antijuifs, peuvent seulement rendre plus difficile de reconnaître, d’isoler et de s’opposer à la véritable haine antisémite quand elle apparaît effectivement.

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1 Dr. Harold Brackman, “Anti-Semitism on Campus: A Clear-and-Present Danger,” Report of the Simon Wiesenthal Center (2015).

2 Par exemple, Phyllis Chesler, The New Anti-Semitism (2015).

3 Ari K. Kelman et al, Safe on the Sidelines: Jewish Students and the Israel-Palestine Conflict on Campus (September, 2017), https://stanford.app.box.com/v/SafeandontheSidelinesReport. L’étude est fondée sur une enquête auprès d’étudiants juifs de premier cycle sur cinq campus de Californie, dont SFSU, l’Université d’État de Californie de San Francisco. L’étude a mis en évidence que les interlocuteurs se sentaient en grande majorité en sécurité, avaient peu expérimenté l’antisémitisme et n’avaient pas de mal à différencier l’antisémitisme du débat politique concernant Israël-Palestine.

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

Source: History News Network

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