Célébrations de Balfour, un rappel que le passé colonial n’est pas passé

Lord Arthur James Balfour, ancien premier ministre du Royaume Uni (George Grantham Bain/Wikipedia)

Par Ben White, le 30 octobre 2017

Le 100ème anniversaire de la Déclaration Balfour représente beaucoup de choses, mais il ne devrait pas se passer sans que l’on observe comment, en 2017, les amis d’Israël continuent à justifier le projet sioniste avec le même lexique colonial que 100 ans plus tôt.

La semaine dernière, un débat a eu lieu au Parlement sur le « Centenaire de la Déclaration Balfour », proposé par Matthew Offord, député conservateur de Hendon.

Pendant la discussion, son collègue député Tory Jonathan Djanogly (Huntingdon) s’émerveilla du fait que l’État d’Israël « soit sorti du désert » ; Offord répliqua avec enthousiasme que les exploits scientifiques d’Israël sont en effet « réalisés dans un endroit qui, il n’y a pas si longtemps, n’était qu’un désert, comme le dit mon honorable ami »

(Le mérite revient à la députée SNP Joanna Cherry d’avoir spécifiquement réfuté le commentaire d’Offord : « La population palestinienne… représentait près de 90 % de la population de la Palestine en 1917. La terre n’était pas, comme l’a dit l’honorable député de Hendon, déserte…. Il y avait des villes et des villages… »)

Il y a une longue tradition de description de la Palestine comme étant « vide », tradition maintenue au parlement comme partout ailleurs (et peut-être encore plus). Les Sionistes « ont transformé le désert en vergers » ; a dit Lord Mitchell dans un débat en 2014 ; ils « ont fait fleurir le désert », comme l’a dit la baronne Deech en 2015.

Des remarques de ce genre n’auraient pas été déplacées un siècle auparavant, dans les premières années de l’occupation britannique. En 1922, Winston Churchill a dit au Parlement que « quiconque est récemment allé en Palestine doit avoir vu combien de portions du désert ont été changées en jardins ».

Et il a ajouté : « Laissés à eux mêmes, les Arabes de Palestine n’auraient pas en mille ans pris des mesures efficaces pour irriguer et électrifier la Palestine », mais auraient plutôt « été très contents de rester… dans des plaines dévastées brûlées par le soleil ».

Le 25 janvier 1937, eut lieu la seconde lecture du Projet de loi de Colonisation de l’Empire, concernant le soutien à l’émigration vers les « dominions » britanniques – Canada, Australie, Afrique du Sud et autres.

Le débat est en soi une diversion intéressante : un député a exhorté à « une reprise de l’émigration en Australie », dont les colons « savent que… entre eux et nous, il y a les grouillants millions d’Asie ».

Il a poursuivi : « Ils ont adopté une politique pour une ‘Australie Blanche’ parce qu’ils réalisent que, si jamais ils ouvraient la porte à une immigration de couleur, ils seraient complètement noyés. Ils ont reconnu que la politique d’une ‘Australie Blanche’ est la seule alternative à une extinction raciale. »

Mais retour à la Palestine, dont un député a suggéré qu’elle était un exemple qui méritait d’être rappelé.

« Il y avait un pays qui était absolument dépeuplé », a-t-il dit. « En tout cas, n’y vivaient que peu de membres de la race juive mais, conséquence de la Déclaration Balfour et de sa transformation en foyer pour les Juifs, la Palestine a prospéré ces quelques dernières années. »

On ne peut oublier la signification précise du fameux slogan « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Le militant sioniste Israël Zangwill, par exemple, a reconnu qu’il était « littéralement inexact » de décrire « la Palestine comme un pays sans peuple ».

Des Palestiniens tiennent des banderoles au cours d’une manifestation contre la Déclaration Balfour pour son 100ème anniversaire, devant le Centre Culturel britannique à Ramallah, Cisjordanie, le 18 octobre 2017 [Issam Rimawi/Anadolu Agency]

 

Cependant, a-t-il continué, agir ainsi était « essentiellement correct, car il n’y a pas de peuple arabe vivant en fusion intime avec le pays, utilisant ses ressources et y imprimant une marque caractéristique : il y a au mieux un campement arabe ».

Ces façons de voir étaient d’une parfaite banalité chez les sionistes et les fonctionnaires britanniques. Aaron David Gordon, cofondateur de Hapoel Hatzair (« Le Jeune Travailleur »), a écrit en 1918 :

« Notre terre où, au temps passé, ‘coulaient le lait et le miel’… est devenue plus pauvre, désolée et abandonnée que tout autre pays civilisé, et elle est presque inhabitable. C’est une sorte de confirmation de notre droit à la terre, une suggestion que la terre nous attend. »

 

Edward Saïd a placé ce genre de points de vue dans le contexte du colonialisme européen. « Parmi les différences juridiques supposées entre peuples civilisés et non civilisés », a-t-il écrit, « il y avait un comportement envers la terre, presque une doxologie à propos de la terre, dont les peuples non civilisés étaient supposés manquer. »

« Un homme civilisé, croyait-on, pouvait cultiver la terre parce qu’elle signifiait quelque chose pour lui ; il y faisait par conséquent naître des arts et des métiers utiles, il créait, il accomplissait, il construisait. Pour quelqu’un de non civilisé, la terre était soit mal cultivée (c’est-à-dire inefficacement selon les standards occidentaux), soit laissée à l’abandon. »

Selon cet « enchaînement d’opinions », poursuivait Saïd, « toutes les sociétés autochtones qui vivaient sur les territoires américain, africain et asiatique depuis des siècles n’avaient soudain aucun droit de vivre sur ces terres ».

Le témoignage de Churchill devant la Commission Peel en 1937 relie tout cela de façon très instructive. Le sionisme était une force en faveur du bien, a-t-il dit, puisque la Palestine « ne sera jamais cultivée par les Arabes ».

 Il a poursuivi : « Je n’admets pas, par exemple, qu’un grand tort ait été fait aux Peaux Rouges d’Amérique ou à la population noire d’Australie. Je n’admets pas qu’un tort ait été fait à ces gens par le fait qu’une race plus forte… soit venue et ait pris leur place. »

 Dans une récente interview, l’actuel Comte Balfour nous a fourni une expression remarquablement explicite de la vision coloniale du monde qui a façonné la déclaration de son ancêtre et ses justifications contemporaines.

 « Vous devez regarder la Palestine telle qu’elle était alors », a-t-il dit à un journaliste israélien. « C’était un désert, un marécage infesté de moustiques. Globalement, les Palestiniens gardaient leurs chèvres et leurs moutons. »

Après une brève et maladroite reconnaissance qu’il y avait manifestement peu de résistance de la part des Palestiniens indigènes », le Comte revint à un terrain plus confortable: « Mais quand vous regardez, il y avait juste une immense terre inhabitée. »

Pour les Palestiniens, les célébrations de Matthew Offord et du Comte Balfour sont un rappel – non qu’ils en aient besoin – de la façon, pour adapter la fameuse phrase de Faulkner, dont le passé colonial n’est pas passé.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

 Source : Middle East Monitor

 

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