Le Houmous israélien est un vol et non une appropriation

Steven Salaita, 4 septembre 2017

 

 

Évoquer une attitude défensive de la part d’Arabes sur les plats traditionnels sans mentionner la colonisation ou le nettoyage ethnique, c’est du blanchiment, écrit Steven Salaita.

 

Rien ne peut produire de désaccord inutile comme l’expression « appropriation culturelle ».

Il s’en faut de peu qu’un embrasement local sur l’habillement ou la cuisine ne devienne une histoire nationale, qui devient vite un prétexte pour que des experts sentencieux tournent en ridicule des générations gâchées et des gens de couleur hypersensibles.

 

Il est rare que le débat débouche sur quoi que ce soit ; les antagonistes égrènent des arguments éculés qui ont la cohérence d’une autoroute inter-États dans le Middle West. Les médias du pouvoir entretiennent la  » guéguerre » à la marge de problèmes plus importants du capitalisme et du colonialisme. Il est probablement temps de retirer cette expression.

 

Nous ne devrions cependant pas cesser de critiquer la race et la représentation. L’essentiel des disputes au sujet de l’appropriation culturelle vient de différences de langage et de sens, ce qui est particulièrement vrai dans le cas de la nourriture. Le débat public, tel qu’arbitré par des sites très fréquentés, donne dans le cru et le sensationnel. Il en résulte une dominante d’incompréhension.

 

De trop nombreux travaux de réflexion pérorent sur le multiculturalisme inhérent à tous les plats, même ceux qui sont vus comme sacrosaints (par exemple les pâtes italiennes sont maintenant chinoises ou les pommes de terre irlandaises importées du Nouveau Monde).

 

En réalité, l’idée que les gens ne peuvent pas apprécier des mets étrangers ou transcender une notion atavique de possession culturelle n’est pas communément partagée. Tandis que certains argumentent malheureusement en faveur d’une sorte de nationalisme gastronomique, l’opposition à l’appropriation de la nourriture est plus complexe (que cette opposition soit justifiée ou non dépend des spécificités de chaque situation).

 

La complexité se perd souvent dans une rugosité rhétorique, et ce problème est exacerbé par les connotations rigides de termes tels que « appropriation ».

 

Le problème n’est pas de savoir qui cuisine ou mange mais qui contrôle l’image et le profit de la nourriture. La cuisine n’est pas un simple marqueur ethnique ; c’est aussi un produit de valeur.

 

Quand des chefs célèbres mettent un effet gourmet sur des plats paysans, cela peut donner une impression de bâtardise culturelle, un sentiment aggravé par la longue expérience du racisme et de la dépossession.

 

La politique alimentaire n’est pas une affaire de choix personnel ; c’est un rituel antagonique de production et de consommation. Donner une image exotique et authentique est lié à des économies considérables; dans un système où les ressources sont limitées, un conflit sur des atouts abstraits mais tangibles ne devrait pas surprendre.

 

Pour autant, les experts insistent pour réduire des phénomènes socioéconomiques (et rhétoriques) compliqués à de l’ignorance personnelle et à de l’intolérance, une approche paresseuse que trop d’éditeurs récompensent. Prenez un édito récent de Bari Weiss dans le New York Times, où elle s’essaie à la rationalité mais ne réussit qu’à réciter des platitudes  et des clichés (complétés par une référence injustifiée et anhistorique à Martin Luther King, Jr, l’astuce favorite d’une personne blanche indignée).

 

La discussion ouverte par Weiss sur la cuisine palestinienne est d’un grand intérêt. Elle écrit : « Considérez le simple fait de manger un repas dans une ère de pureté culturelle. Ce week-end, j’ai dîné à Bay Bridge, à Brooklyn : le repas était préparé par une Palestinienne élevée en Israël où son frère était parlementaire. Pourtant son restaurant est étiqueté libanais. Et elle accentue ses plats traditionnels avec des herbes, coriandre, basilic, qu’on ne trouverait jamais dans un plat du Levant. Mais si on laissait faire les tenants de la pureté culturelle, j’aurais passé la soirée coincée dans l’Upper West Side à regarder « Yentl » et à manger du Gefilte fish ». Weiss est soit incroyablement paumée, soit effrontément malhonnête. Elle implique – parce que son papier est truffé de méchanceté maquillée en incrédulité relevant du sens commun – que des hordes en ligne (de Palestiniens sans doute) seraient furieuses qu’une Juive fréquente Tanoreen, un restaurant moyen-oriental.

(Ignorez la suggestion mesquine et passivement agressive de Weiss selon laquelle la cheffe de Tanoreen, Rawia Bishara, s’approprie la cuisine libanaise).

 

Weiss sait, ou devrait savoir, que la controverse sur l’appropriation par Israël de l’alimentation palestinienne – le plus infâme étant sa revendication du houmous, un produit lucratif en Europe et en Amérique du Nord – n’a rien à voir avec le fait que des Juifs mangent des mets arabes. En fait cela n’a rien à voir avec les Juifs. Cette idée grotesque n’est possible que parce que les sionistes confondent de façon agressive la judéité avec Israël.

 

Au contraire, cela a tout à fait à voir avec un programme délibéré, vieux de dizaines d’années visant à faire disparaître les Palestiniens. Évoquer une attitude défensive de la part d’Arabes sur les plats traditionnels sans mentionner la colonisation ou le nettoyage ethnique, c’est du blanchiment.

 

Weiss apporte un exemple typique de mépris sioniste progressiste qui se présente comme un attachement au multiculturel. Les Palestiniens sont familiers de cette arnaque.

 

Nous n’avons pas besoin de faire confiance à l’intuition pour arriver à cette conclusion. Weiss nous enferme en glissant Israël dans l’équation. Le frère de la cheffe Bishara, après tout, a siégé à la Knesset et cela introduit un enjeu israélien dans les choix de dîners de Weiss, mais ce n’est qu’une information triviale. Il aurait pu être utile à Weiss de mentionner que pendant des années Israël a persécuté le frère, Azmi, avant de l’expulser du pays.

 

Quand des sionistes (ou leurs collaborateurs ignorants) revendiquent de la nourriture arabe comme israélienne, il ne s’agit pas d’un parangon d’harmonie interculturelle mais de la destruction méthodique de la culture palestinienne. On peut atténuer l’ambiguïté en évitant le mot « appropriation »,  qui ne saisit pas de façon adéquate la dynamique de la voracité d’Israël pour tout ce qui peut avoir la marque « indigène » dont il a besoin pour consolider une légitimité déjà ténue.

 

« Vol » est plus exact. Et supérieur du point de vue rhétorique. Les discours de la modernité exaltent les échanges culturels, mais aucun bon libéral ne soutient la piraterie.

 

Il faudrait se rappeler qu’alors que les chefs, les commerçants et les propagandistes valident le vol, le principal coupable est le gouvernement israélien, qui fait du falafel «l’encas national » et fait la publicité de pléthore de plats levantins comme authentiquement israéliens dans les campagnes Brand Israël de mauvais goût.

 

L’implication de l’État dans le vol de la cuisine palestinienne montre qu’il ne faudrait pas réduire le problème à la consommation individuelle. Il y a là un effort systématique pour valider la colonisation de peuplement.

 

On n’est pas choqué, donc, que les Palestiniens et leurs voisins l’aient mauvaise chaque fois qu’ils entendent parler du « houmous israélien ». L’usage des mets palestiniens comme symbole de l’identité sioniste donne les vivres du quotidien des autochtones au colonisateur. C’est un projet d’effacement, un présage de non-existence, une promesse de génocide.

Aucun État qui détruit les oliveraies et empoisonne l’environnement n’a le droit de revendiquer les biens de subsistance récoltés depuis des siècles par d’autres.

Je n’ai jamais rencontré un Palestinien en colère du fait qu’un non-Arabe consomme de la nourriture levantine. En fait, la grande majorité est ravie lorsque des étrangers partagent la culture.

Les Palestiniens, comme leurs voisins libanais, jordaniens et syriens, ne sont pas peu fiers de leur alimentation (tous les quatre se disputent, avec aussi les Grecs et les Turcs sur la provenance régionale de certains plats – Israël n’a rien à voir dans ces disputes  qui sont bien antérieurs à la naissance de Théodore Herzl.

 

Le problème se pose quand quelqu’un appelle ces plats « israéliens ».

 

Le principal argument en faveur de la nourriture « israélienne » est que les Juifs préparaient et mangeaient des aliments de base en Irak, au Maroc, au Yémen et en Palestine. C’est incontestable. L’ancrage de Juifs dans le monde arabe devrait être reconnu, étudié et célébré.

 

Mais ces Juifs ne mangeaient pas de la nourriture israélienne. Le prétendre aujourd’hui avilit l’histoire des Mizrahi en suggérant une incapacité à partager leur propre environnement ; c’est un autre exemple de la façon dont le sionisme impose une conception étroite de l’identité.

 

Voilà ce qu’on peut attendre d’une idéologie définie par un appétit féroce de ce que possèdent d’autres peuples. Le couscous, le falafel, le chawarma, le fattouch, la mjuddera et le knafeh israéliens, comme l’État qui tire à jamais une gloire de sa duperie, n’est qu’un fantasme désossé nourri par un régime glouton vide de calories.

 

Steven Salaita est un universitaire américain, auteur and conférencier. Son dernier livre (non traduit) est intitulé  Rites incivils: La Palestine et les limites de la liberté académique. Twitter: @stevesalaita

 

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source : ALARABY

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