Ne classez pas dans l’histoire la déclaration Balfour : le passé est encore le présent des Palestiniens

Par Yara Hawari, le 27 juin 2017

Le remous politique au Royaume Uni après la réélection de la Première ministre Theresa May avec une majorité réduite et précaire et les implications dans les négociations du Royaume Uni pour quitter l’Union Européenne ont éclipsé les autres inquiétudes britanniques de politique étrangère. Parmi d’autres répercussions, il jette le doute sur la façon dont le Royaume Uni célébrera le centenaire de la Déclaration Balfour plus tard cette année. Comme on le sait bien, la lettre fatidique, signée par le Secrétaire aux Affaires étrangères Arthur Balfour le 2 novembre 1917, promettait le soutien britannique à une patrie juive en Palestine, ignorant totalement les droits souverains du peuple palestinien qui y vivait.

 

Avant les élections, May avait parlé de la déclaration comme « l’une des lettres les plus importantes de l’histoire » lors d’un meeting des Amis conservateurs d’Israël et avait dit que c’était « un anniversaire que nous célébrerons avec fierté ».Les commentaires de May laissaient entendre que l’ambassade britannique de Tel Aviv accueillerait une vaste célébration pour fêter l’occasion. En plus, le président Reuven Rivlin a invité la famille royale pour une visite d’État officielle qui coïnciderait avec cet anniversaire. Bien qu’il y ait très peu de chance pour que la reine se déplace, le prince Charles pourrait y assister.

 

Maintenant, la question est ouverte de savoir si May – ou en réalité le parti Conservateur – peut rester au pouvoir. Ceci offre aux Palestiniens une opportunité pour regrouper leurs efforts, jusqu’ici infructueux, d’utiliser le centenaire de Balfour pour aborder le centenaire de mauvais traitements britanniques envers les Palestiniens.1

 

Cette réflexion fait suite au traitement de la Palestine et des Palestiniens par les Britanniques depuis la lettre de Balfour, faisant preuve d’une posture tout à fait constante en faveur d’Israël au cours des décennies. Il traite ensuite des conséquences que le Brexit et les récentes élections peuvent avoir sur la cause palestinienne, et conclut avec des recommandations sur le genre d’excuses que les Palestiniens devraient exiger des Britanniques à la lumière de ce passé et des événements actuels.

 

 

Cent ans de parti pris

 

La flagornerie de Theresa May envers les Amis Conservateurs d’Israël n’a surpris personne. L’implication de la Grande Bretagne en Israël et Palestine a consisté en un soutien presque constant au projet sioniste depuis son début colonial. Malgré ses déclarations d’engagement dans la paix, la Grande Bretagne a montré qu’elle est l’alliée d’Israël d’abord et avant tout. On peut le constater dans la continuité de son commerce des armes avec Israël, malgré la complicité qu’il implique avec les crimes de guerre d’Israël. La Grande Bretagne n’a pas non plus réussi à sanctionner Israël pour la construction continue de colonies en Cisjordanie, qui a doublé depuis les Accords d’Oslo, avec plus d’un demi million de colons dans les zones qui devraient constituer un État palestinien. Par ailleurs, le gouvernement britannique continue à diaboliser le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), campagne populaire non-violente mondiale pour les droits des Palestiniens.2

 

Malgré ses déclarations d’engagement pour la paix, la Grande Bretagne a prouvé qu’elle était l’alliée d’Israël.

 

Il y a un siècle, l’idéologie chrétienne sioniste, qui cherchait à faciliter le retour des Juifs en Terre Sainte pour remplir une prophétie biblique, a guidé l’élite politique britannique. On trouvait parmi eux le premier ministre Lloyd George qui dirigeait le gouvernement de coalition. A peine un peu plus d’un mois après la Déclaration Balfour, le général Edmund Allenby a pris Jérusalem aux forces ottomanes, marquant le début du pouvoir colonial britannique en Palestine. Bien que ce pouvoir ait pris fin à la création de l’État d’Israël en mai 1948 et avec le déplacement forcé et le déni de retour de la majorité de la population palestinienne, l’interférence britannique a continué grâce à l’engagement indéfectible des Britanniques avec le sionisme.

 

Le sionisme a trouvé un soutien dans le parti Travailliste britannique, qui avait de la sympathie envers un mouvement qu’il voyait comme un projet de libération juif socialiste. Il n’est donc pas surprenant que le parti ait soutenu publiquement la Déclaration Balfour. Cependant, après l’occupation en 1967 de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et des Hauteurs du Golan, davantage de voix critiques ont commencé à émerger. Ceci a coïncidé avec la reconnaissance internationale de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et le glissement d’Israël vers la droite.

 

Sous le « New Labour » (nouveau parti travailliste) rebaptisé par Tony Blair, le parti a renouvelé son soutien à Israël. En réalité, le défenseur le plus ardent dans la récente politique britannique, c’est Blair qui, du tout début de sa carrière politique jusqu’au commencement des années 1980, a été membre du lobby pro-israélien des Amis Travaillistes d’Israël (LFI). Pendant son mandat de premier ministre, il est allé plusieurs fois en Israël et comptait Lord Michael Levy, fervent sioniste, parmi ses plus proches conseillers et plus grands collecteurs de fonds.

 

Sous le successeur de Blair, Gordon Brown, les militants des droits de l’Homme ont attiré l’attention sur les relations de la Grande Bretagne avec Israël, et particulièrement sur le commerce des armes pendant l’offensive Plomb Durci de 2008-2009 sur Gaza. Un rapport parlementaire de 2014 a confirmé que l’armée israélienne a utilisé dans ses attaques des armes venues du Royaume Uni qui ont tué plus de 1.400 Palestiniens, pour la plupart des civils. Cependant, des appels de militants qui réclamaient que le Royaume Uni arrête son commerce d’armes avec Israël n’ont abouti à rien et les relations entre la Grande Bretagne et Israël se poursuivent allègrement.

 

Le chef actuel des Travaillistes, Jeremy Corbyn, a une position différente envers la Palestine. Il a été harcelé pour ses dizaines d’années de soutien à la cause palestinienne, particulièrement pour son adhésion à la Campagne de Solidarité avec la Palestine. Les critiques l’ont qualifié de supporter du Hamas et d’antisémite. Après son élection, le parti a subi une campagne de calomnies pour antisémitisme qui a vu la suspension de plusieurs membres du parti, dont le militant juif Jackie Walker qui, dans un post sur Facebook, faisait référence au commerce des esclaves africains comme à un holocauste. Corbyn a alors lancé une enquête menée par l’avocat et défenseur des droits de l’Homme Shami Chakrabarti. L’enquête a publié son rapport en juin 2016 et a confirmé que, en dépit de ces déclarations, le parti travailliste n’est pas infesté par l’antisémitisme. Beaucoup ont vu dans ces calomnies une partie des tentatives continues de personnalités pro-Israël et pro-Blair pour affaiblir et ébranler Corbyn. Avant tout, cela démontre à quel point il est grave, pour une importante personnalité politique britannique, de prendre position pour la Palestine. Le parti conservateur a particulièrement encouragé les attaques contre Corbyn.

 

 

Politique étrangère britannique à propos de la Palestine : Quelle est la prochaine étape ?

 

A la suite de la tentative échouée de May pour élargir sa majorité, la forme que va prendre le Brexit n’est pas claire pour l’instant. Mais si la Grande Bretagne quitte l’Union Européenne comme prévu en 2019, certains avancent que les Palestiniens pourraient en profiter. Ilan Pappe par exemple suggère que le Brexit pourrait offrir un « moment opportun pour faire progresser la liberté des Palestiniens » par le fait qu’Israël perdrait son défenseur dans l’UE. Par exemple, les pays de l’UE pourraient mettre en avant davantage d’initiatives pour défendre les droits des Palestiniens sans être bloqués par une Grande Bretagne constamment pro-israélienne. Deux mois avant le referendum sur le Brexit, le premier ministre David Cameron s’était servi de cet argument pour défendre une position anti-Brexit alors qu’il s’adressait à un organisme de bienfaisance juif : « Quand l’Europe discute de son attitude envers Israël, voulez-vous que la Grande Bretagne – la plus grande amie d’Israël – s’oppose à ce sujet aux boycotts, s’oppose à la campagne pour le désinvestissement et les sanctions, ou voulez-vous que nous restions hors jeu, sans pouvoir agir dans la discussion qui prend place ? »

 

En promettant de combattre BDS à l’intérieur de l’UE, Cameron a satisfait les associations pro-israéliennes dont la peur du militantisme palestinien s’est accru en 2015 après que la Commission européenne a émis sa note interprétative comme quoi les produits fabriqués dans les colonies israéliennes et destinés à l’UE doivent être étiquetés comme tels. La position du Royaume Uni contre le BDS contraste avec celle de pays européens tels que la Suède, l’Irlande et la Hollande qui ont affirmé que BDS est un exemple juridique de liberté d’expression politique.

 

Tandis que l’UE sans la Grande Bretagne aurait la possibilité de fonctionner plus librement dans son soutien aux Palestiniens (Israël peut encore compter sur un soutien solide des pays d’Europe centrale et orientale pour bloquer les initiatives pour une juste paix), l’inverse est également vrai : « la plus grande amie » d’Israël subirait moins de freins de la part des pays européens qui défendent les droits des Palestiniens. Cela pourrait permettre à la Grande Bretagne d’imposer des restrictions draconiennes à ceux qui, dans le pays, soutiennent la cause palestinienne, particulièrement ceux qui sont engagés dans BDS.

 

 

Le genre d’excuses dont les Palestiniens ont besoin et qu’ils méritent

 

La Déclaration Balfour a façonné l’expérience palestinienne. La cession de la Palestine à une entreprise coloniale de peuplement européenne et le mépris pour les droits du peuple autochtone est l’essence de la condition palestinienne. Ce mépris se poursuit aujourd’hui et se manifeste dans la farce du « processus de paix » qui permet à Israël de continuer son expropriation de la terre palestinienne et l’expansion de l’État juif tout en prétendant simultanément qu’il recherche « la paix ».

 

Quand le passé infiltre le présent, exiger l’oubli est impossible.

 

Les responsables britanniques utilisent le même refrain quand ils parlent de Balfour et de la Nakba de 1948 : Ils déclarent souvent que les Palestiniens devraient cesser de parler du passé et au contraire regarder vers le futur. Cet appel pour oublier les événements passés comme révolus est une tactique souvent invoquée par ceux qui ont des positions de force dans les discussions du processus de paix à travers le monde, particulièrement dans le contexte du colonialisme et du colonialisme de peuplement. Pourtant, quand le passé infiltre le présent, comme c’est le cas pour tout Palestinien, qu’il soit à Ramallah, à Haïfa, dans le camp de réfugiés de Bourj Al Barajneh au Liban, ou dans la plus vaste diaspora, exiger l’oubli est impossible.

 

Les Palestiniens désirent à juste titre des excuses des Britanniques pour la lettre qui a aidé à la naissance de cette oppression incessante. Cependant, les initiatives dans la recherche de ce but doivent se méfier de plusieurs écueils. Tout d’abord, utiliser un discours, comme le font certains Palestiniens, qui souligne que la Déclaration Balfour n’a pas rempli ses obligations envers le peuple palestinien, est problématique, car cela suggère que ce document détient une légitimité. La déclaration était un document colonial qui a donné sa légitimité à un projet colonial de peuplement et donc, les Palestiniens ne devraient pas l’utiliser pour faire avancer leur lutte ou pour réclamer leurs droits fondamentaux.

 

Déclarer que Balfour n’a pas rempli ses obligations envers les Palestiniens est problématique.

 

Deuxièmement, bien que des excuses soient importantes, elles ne doivent pas être faites comme un geste vide et symbolique, comme c’est arrivé dans maints autres contextes coloniaux. En fait, des universitaires ont écrit des textes sur les limites des excuses d’un État colonial, démontrant que, dans la plupart des cas, ces excuses neutralisent le récit historique tout en ignorant simultanément la relation d’oppression continue entre l’État et la population autochtone.3 Par conséquent, des excuses doivent se faire en reconnaissant que le passé n’est pas dans le passé, que le projet colonial de peuplement se poursuit et que la Grande Bretagne continue d’être complice des souffrances des Palestiniens à travers ses relations diplomatiques et commerciales avec Israël.

 

En tant que telle, toute campagne d’excuses doit aussi exiger des changements dans la politique britannique qui sanctionneraient Israël et le tiendraient pour responsable pour ses violations internationales des droits de l’Homme. De cette façon, la Déclaration Balfour ne serait pas historicisée comme un élément du passé, mais serait présentée comme un document dont l’héritage continue d’avoir des conséquences drastiques et dévastatrices pour le peuple palestinien. Tant que le gouvernement britannique n’aura pas reconsidéré sa position largement défectueuse et pris l’engagement de changer réellement de politique, il continuera à propager la décision destructrice et répressive prise il y a un siècle.

 

 

Notes :

 

Ces efforts comportent un plan pour poursuivre le gouvernement britannique pour la déclaration annoncée par le ministre palestinien des Affaires étrangères Riad Malki l’année dernière au sommet de la Ligue Arabe et une pétition exigeant des excuses pour la lettre, à laquelle le gouvernement a répondu en redéfinissant largement sa position.

 

La Campagne de Solidarité avec la Palestine a gagné une victoire juridique majeure contre ce genre de tentative de diabolisation de BDS dans un tribunal le 22 juin 2017.

 

Jeff Corntassel et Cindy Holder : « Qui Regrette Maintenant ? Excuses Gouvernementales, Commissions Vérité et Autodétermination Indigène en Australie, auCanada, au Guatemala et au Pérou », Human Rights Review 9 (E) : 465-489.

 

 

Yara Hawari

Membre politique d’Al-Shabaka, Yara Hawari est une universitaire militante anglo-palestinienne, dont les écrits continuent à être alimentés par sont engagement dans la décolonisation. Originaire de Galilée, Yara a passé sa vie entre la Palestine et le Royaume Uni. Elle est actuellement en dernière année de doctorat au Centre Européen pour les Études palestiniennes à l’université d’Exeter. Sa thèse se consacre aux projets et initiatives d’histoire orale en Galilée et, plus largement, à la tradition orale en tant que forme indigène de production de connaissance. Yara est également professeur adjoint de troisième cycle et travaille comme journaliste indépendante pour des médias en ligne, dont The Electronic Intifada et The Independent.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Al-Shabaka

Retour haut de page