Israël craint que le statut de patrimoine mondial en péril n’entrave sa prise de contrôle sur Hébron

Par Charlotte Silver, le 3 juillet 2017

25 février 2014: les Palestiniens visitent la mosquée Ibrahimi dans la ville d’Hébron en Cisjordanie occupée, 20 ans après qu’un colon juif américain y a ouvert le feu, tuant 29 fidèles. Issam Rimawi APA images

Israël refuse d’accorder des visas à une équipe d’enquêteurs de l’UNESCO qui avaient prévu de visiter la Vieille Ville d’Hébron en Cisjordanie occupée.

La visite devait avoir lieu avant que l’organisation des Nations-Unies pour l’éducation et la culture ne vote, en juillet, sur le fait d’inscrire la Vieille Ville sur la liste des sites du patrimoine mondial en péril.

Parlant d’un geste « de principe et stratégique », l’ambassadeur d’Israël à l’UNESCO, Carmel Shama Hacohen, a déclaré que la visite du groupe des Nations Unies était fondée « sur des mensonges complotant contre Israël ».

L’équipe de l’UNESCO devait fournir les résultats de son enquête au Conseil international sur les monuments et les sites, l’organisme qui décide quels sites doivent être placés sur la liste des patrimoines mondiaux en péril.

Hacohen a déclaré que le groupe s’était vu refuser l’entrée d’Israël parce que dans le passé, l’UNESCO avait rejeté les recommandations du Conseil qui déconseillait de placer des sites de la Cisjordanie occupée sur la liste des patrimoines en péril. Ce serait pour l’équipe « une honte de gaspiller du temps et de l’argent », a déclaré Hacohen, en allant à Hébron.

Après que l’UNESCO a accordé à la Palestine le plein statut de membre en 2011, l’Autorité palestinienne a postulé auprès de l’agence pour que celle-ci reconnaisse l’Église de la Nativité à Bethléem comme site du patrimoine mondial en péril.

En 2014, l’UNESCO a reconnu les terrasses de Battir en Cisjordanie occupée comme site du patrimoine mondial, aidant ainsi à protéger l’ancien paysage agricole et la culture du village des plans israéliens pour construire son mur de séparation en plein milieu.

Hacohen a décrit la mission programmée de l’UNESCO à Hébron comme une campagne plus large de « mensonges complotant contre l’État d’Israël ainsi que contre l’histoire et la connexion du peuple juif à cet important lieu saint ».

Une violente prise de contrôle

La Vieille Ville d’Hébron est le site de la mosquée Ibrahimi, connu des Juifs comme Caveau des Patriarches. Musulmans et Juifs maintiennent que c’est l’endroit où le prophète Abraham est enterré.

Il s’agit de l’une des 35 additions potentielles de par le monde que le Comité du patrimoine mondial doit discuter lorsqu’il se réunira en Pologne plus tard en juillet.

Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon juif américain de Brooklyn était entré dans la mosquée pendant les prières du Ramadan et y avait ouvert le feu, tuant 29 garçons et hommes palestiniens et en blessant des douzaines d’autres, avant que ces victimes ne le maîtrisent et ne le battent à mort.

Dans les jours qui avaient suivi le massacre, Israël avait pris des mesures non contre les colons, mais contre les Palestiniens : les forces israéliennes avaient tué et blessé des douzaines d’autres Palestiniens non armés protestant contre le massacre de la mosquée en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Cela donna le ton : Israël avait augmenté sa répression des Palestiniens, permettant peu à peu aux colons de prendre de plus en plus le contrôle sur la ville.

La mosquée Ibrahimi avait été divisée entre les colons et les Palestiniens. En 1997, les colons avaient été encore davantage récompensés du massacre de Goldstein lorsque l’Autorité palestinienne avait accepté d’autoriser Israël à diviser Hébron même en deux zones : “H1” et “H2.”

H1 est nominalement administrée par l’Autorité palestinienne et héberge plus de 120000 Palestiniens. H2, sous plein régime militaire israélien, inclut la Vieille Ville historique d’Hébron ainsi que la mosquée Ibrahimi.

Les forces d’occupation israélienne restreignent sévèrement les déplacements de milliers de Palestiniens dans la zone H2 alors qu’environ 800 colons israéliens au coeur de la cité se déplacent librement sous protection militaire, notamment sur des routes réservées.

Des tirs aux checkpoints

Selon le site israélien d’actualités en ligne Ynet, Israël craint que placer la Vieille Ville sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO n’impose des limites aux constructions israéliennes et ne protège la mosquée Ibrahimi et ses environs de nouveaux aménagements.

L’inclusion sur la liste pourrait aussi augmenter la surveillance d’Israël lors de l’apparition de nouveaux checkpoints dans la Vieille Ville ou lors de la réalisation de travaux qui endommageraient le site.

Au cours des deux dernières années, les checkpoints au cœur d’Hébron ont été le théâtre de nombreux assassinats de civils palestiniens par les forces israéliennes d’occupation : Amnesty International a demandé avec insistance qu’une enquête soit menée sur plusieurs d’entre eux en tant que meurtres extrajudiciaires de personnes qui ne faisaient peser aucune menace sur les soldats.

C’est près d’un de ces checkpoints qu’en mars 2016 Elor Azarya a visé à la tête et tué Abd al-Fattah al-Sharif, un Palestinien blessé et neutralisé, au cours d’une exécution filmée pour laquelle l’infirmier militaire israélien ne reçut qu’une tape sur les doigts.

Ynet rapporte également qu’Israël s’acharnait à trouver les sept pays dont les voix seraient nécessaires pour bloquer la résolution de l’UNESCO, incluant aussi une clause rejetant la revendication de souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est occupé.

En avril, The Times of Israel a rapporté que l’administration de Trump avait chargé les diplomates américains d’exercer des pressions sur les délégations de l’UNESCO afin d’aider Israël à s’assurer assez de voix contre une résolution critiquant les actions d’Israël à Hébron et Bethléem.

Bloquer les représentants des Nations-Unis

En attendant, Israël continue à empêcher l’entrée dans les territoires palestiniens occupés du rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits humains.

Selon le Conseil des organisations sur les droits humains palestiniens, Israël n’a répondu à aucune des requêtes de Michael Lynk  afin de mener une enquête officielle. Lynk a été nommé en 2016. Israël a empêché l’entrée de tous les rapporteurs spéciaux des Nations Unies depuis 2008, selon les groupes de défense des droits humains.

Israël est obligé selon la charte des Nations Unies de permettre aux officiels des Nations Unies d’accéder à son territoire.

Le prédécesseur de Lynk, Makarim Wibisono, avait démissionné pour protester contre le refus d’Israël de lui permettre d’entrer dans les territoires palestiniens occupés.

Charlotte Silver est une journaliste indépendante. Elle écrit régulièrement pour The Electronic Intifada. Elle est basée à Oakland en Californie et écrit sur la Palestine depuis 2010. On peut la suivre sur Twitter @CharESilver.  

Traduction: Catherine G. pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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