En photos : Gaza abandonné à ses souffrances dans l’obscurité

 

Par Mousa Tawfiq et Mohammed Asad, le 12 juin 2017

 La rue de la Plage dans Gaza ville, artère animée qui relie les zones sud et nord de la Bande, est souvent dans l’obscurité totale. Pendant les coupures de courant, les lumières s’éteignent le long des rues les plus animées de Gaza, plongeant les routes dans l’obscurité et provoquant des accidents.

Les Palestiniens de la Bande de Gaza occupée subissent une crise chronique de l’alimentation électrique depuis qu’Israël a imposé il y a dix ans un blocus économique sur le territoire.

L’infrastructure électrique du territoire a été ciblée et endommagée au cours des offensives militaires successives, et les restrictions israéliennes sur l’importation ont entravé les réparations.

Les mesures de répression de l’Egypte sur les tunnels, par lesquels du fuel moins cher pénétrait en fraude à Gaza, ont aggravé la situation en 2013.

Les coupures de courant continues durent maintenant 20 heures par jour après que la seule centrale électrique de Gaza se soit arrêtée quand elle a épuisé ses réserves de fuel à la mi-avril. La réalimentation a été repoussée à cause d’un litige qui dure entre l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie et le Hamas à Gaza sur les taxes élevées sur le diesel et le recouvrement des factures d’électricité des consommateurs.

Actuellement, il n’y a que quatre heures d’électricité par jour à Gaza, durée qui s’apprête à décroître puisque Israël se prépare à diminuer de 40 % sa fourniture d’électricité à ce territoire.

Les hôpitaux sont maintenant dépendants de générateurs et de sources d’électricité solaire qui permettent de faire fonctionner pendant quelques heures les équipements vitaux quand il n’y a pas d’électricité.

Les coupures de courant interrompent le travail des pompes à eau et des puits, l’alimentation en eau des ménages ne fonctionnant actuellement que quatre à huit heures tous les quatre ou cinq jours.

Les usines de traitement des eaux usées ont été obligées de réduire les cycles de traitement, provoquant le déversement quotidien dans l’eau de la Méditerranée de 120 millions de litres d’eau polluée non traitée.

La crise a amené le Comité International de la Croix Rouge à avertir que Gaza est au bord d’un « effondrement systémique ».

Reportage de Mousa Tawfiq, journaliste basé à Gaza, et photos de Mohammed Asad, photojournaliste basé à Gaza.

Mahmoud Banat, 47 ans, dirigeait un des plus grands magasins d’appareils dans le camp de réfugiés de la Plage à Gaza ville. « Je suis entré dans cette profession après mon père. J’ai fait de mon mieux pour m’équiper avec les nouvelles technologies et les améliorations quotidiennes dans ce domaine. »

Banat a dit que les coupures chroniques de courant à Gaza ont provoqué des dégâts sur son matériel, et certains résidents ont acheté des appareils pour protéger leur matériel de possibles dommages causés par les coupures.

« Comme vous pouvez le voir, ma boutique est pleine de télévisions cassées et hors d’usage et de matériel électrique. Les gens souffrent et perdent beaucoup d’argent pour réparer leur matériel. Les gens préfèrent des télévisions à faible consommation qu’on peut alimenter avec des générateurs et des batteries. Certains types de télévisions consomment beaucoup d’énergie et ne sont pas souvent utilisés ces temps-ci. »

L’affaire de Banat n’a pas profité de la situation.

« Quand la crise électrique a démarré en 2006, j’ai commencé à faire face à des difficultés dans mon magasin puisque je ne pouvais pas travailler pendant les coupures de courant », a-t-il dit. Il a vendu son magasin et a déménagé dans un plus petit, où il ne fait actuellement que des réparations, mais ne vend plus d’appareils.

« C’est une situation désastreuse. Ma vie est complètement détruite et j’ai cinq enfants ; d’eux d’entre eux sont à l’université. »

En plus de faire du tort à l’affaire de Mahmoud, la situation électrique a mis sa femme Najwa Banat, 42 ans, sous pression.

« Nous souffrons d’une crise de l’eau car il n’y a pas d’électricité pour faire fonctionner les pompes à eau dans les maisons », a-t-elle dit en préparant une tasse de thé.

« Je ne peux pas entretenir ma maison. Je dois me lever après minuit pour laver les vêtements et nettoyer la maison. Je m’assure que les bougies ne sont pas à la portée des enfants. Je suis tout le temps stressée et je ne me sens pas bien. Nous vivons une situation très difficile, de privations et de défis quotidiens. »

En 2010, Ahmad Rajab, 26 ans, a ouvert son salon de coiffure pour hommes à Gaza ville.

« Il y a huit ans, lorsque j’ai terminé ma scolarité, ma famille n’avait pas assez d’argent pour payer les frais pour l’université. Certains de mes proches m’ont conseillé d’apprendre un métier simple dont les gens ont toujours besoin. J’ai décidé d’apprendre le métier de barbier et j’ai obtenu un diplôme d’un centre d’apprentissage certifié. »

Dès les premier jour, Rajab a dû se battre avec la crise de l’électricité.

« Au début, j’ai acheté un petit générateur pour l’utiliser pendant les coupures de courant. Quand nous utilisions le fuel égyptien, j’avais besoin simplement de 6 $ par jour pour le fuel. Maintenant, avec le fuel israélien qui est trois fois plus cher, j’ai besoin de 18 $. Je ne crois pas avoir gagné plus de 20 $ par jour. »

« J’ai acheté ces réservoirs à piles pour 100 $. Ils ne sont pas donnés, mais c’était mon seul choix pour continuer à travailler. »

« J’espère que demain sera meilleur et que cette crise sera résolue. Nous avons commencé à croire que c’est notre destin de ne pas avoir de vie meilleure. C’est comme un cauchemar sans fin. »

Hussam al-Sousi, 24 ans, a emmené sa mère et ses deux sœurs à la corniche de Gaza ville pour échapper à l’obscurité et à l’ennui. Ils ont découvert que la corniche était plus sombre que leur maison.

« Nous sommes venus ici pour un peu de répit, mais c’est la même chose. Nous avons beaucoup de chance d’avoir les phares de la voiture », a-t-il dit.

Hussam, diplômé d’une école de droit, travaille dans l’usine de confection de son père.

« Même notre activité est touchée. Nous avions l’habitude de travailler le matin. Maintenant, nous organisons notre travail selon l’électricité. Parfois, nous devons travailler après minuit en utilisant les générateurs avec du fuel très cher. »

Pour la mère de Hussam, Sanaa al-Sousi, 45 ans, les coupures de courant provoquent d’autres malheurs : « Les examens semestriels de mes filles avaient lieu la semaine dernière. Elles devaient se lever très tôt pour étudier [quand l’électricité fonctionnait]. Etudier à la lueur des bougies donnait des maux de tête à ma plus jeune fille Leila. Je ne sais pas ce que nous allons faire si cette crise dure jusqu’à la fin des examens. »

Pour Leila, 8 ans, il y a encore d’autres conséquences : « Il n’y a plus de glaces dans les boutiques. Je ne sais pas ce que je vais manger cet été. »

« Je vends du maïs grillé et du maïs bouilli sur la plage. Je travaille là pendant l’été parce que la plage est couverte de monde, tandis qu’en hiver, je vends des légumes dans une petite baraque sur le marché, a dit Mahmoud Ghanim, 26 ans. « J’ai deux fils et ma femme est enceinte d’une fille. Je n’ai pas d’autre choix que de travailler dur. »

Ghanim, qui vit dans le camp de réfugiés de la Plage, a dit qu’il avait dû quitter l’école à 15 ans pour travailler avec son père comme pêcheur. Le métier familial a été gravement affecté par le blocus naval israélien et la violence continuelle des forces israéliennes contre les pêcheurs de Gaza.

« Ce ne fut pas un choix facile, mais je ne pouvais pas risquer ma vie pour un travail qui pouvait à peine nourrir mes enfants », a-t-il dit.

Ghanim a trouvé sa propre solution pour pouvoir travailler pendant les nuits noires – solution qui lui coûte l’équivalent d’une semaine de gains.

« Avant la crise actuelle, je n’affrontais aucun problème la nuit parce que la rue de la Plage était toujours éclairée, mais maintenant, nous sommes dans l’obscurité. J’ai payé 40 $ pour acheter une batterie, un chargeur et des lampes économiques que j’utilise quand il n’y a pas d’électricité. »

Suha Ashour, 68 ans, va à l’hôpital al-Shifa de Gaza ville pour un traitement par dialyse depuis dix ans.

« En 2007, j’ai eu une crise cardiaque. Le traitement médical et les conséquences de l’attaque ont touché mes reins. J’ai dû aller à l’hôpital trois fois par semaine pour des séances de dialyse. »

Ashour, mère de six enfants, a dit que les séances de quatre heures étaient épuisantes, surtout en été.

« Après les séances lorsque je reviens chez moi, je suffoque et je ne peux pas me tenir dans la chaleur. Mes fils m’ont apporté un climatiseur, mais la plupart du temps, il n’y a pas d’électricité et il m’est très difficile à cet âge de résister à de telles conditions. »

Ashour a dit que l’équipe de l’hôpital l’avait avertie ainsi que d’autres patients que leur traitement par dialyse pouvait être interrompu par les coupures de courant.

En 2012, l’unité néonatale de l’hôpital pour enfants al-Nasr a installé un système à d’énergie solaire pour assurer le fonctionnement de leur équipement. Cette unité reçoit 100 à 200 patients par mois et toute coupure de courant peut mettre la vie des nouveaux-nés en danger, selon sa coordinatrice le Dr. Shireen Abed.

« Nous avons affaire à des cas très délicats de bébés âgés de zéro à 28 jours. Notre unité reçoit trois à cinq patients par jour et tout l’équipement marche à l’électricité : incubateurs, appareils de contrôle et ventilateurs », a-t-elle dit.

Quand le système à énergie solaire nécessite une maintenance périodique, la situation devient catastrophique. Nous transférons les nouveaux-nés dans d’autres unités pour les brancher aux appareils nécessaires. Les coupures de courant sont un réel danger pour la vie de nos enfants dans l’unité, mais le système à énergie solaire nous fournit le courant nécessaire. »

« Je ne peux imaginer la situation sans ce système à énergie solaire », a-t-elle ajouté.

Les Palestiniens de Gaza ont utilisé des générateurs de secours pour pourvoir en électricité leurs maisons et leurs magasins. Mais le prix élevé du fuel israélien, 2 $ le litre, est hors de portée pour beaucoup de gens dans ce territoire où les taux de chômage sont les plus élevés au monde.

« Les gens n’utilisaient pas des batteries ou des cellules solaires chez eux avant 2014. Ils se servaient de générateurs », a dit Ziad al-Rayashi, 32 ans, propriétaire d’un magasin de batteries et de cellules solaires à Gaza ville. « Utiliser le générateur pendant huit heures tous les jours coûte plus de 480 $ par mois à une famille moyenne. Personne ne peut se le permettre. »

Al-Rayashi vend des alternatives qui ne nécessitent pas de fuel.

« Des ingénieurs ont inventé de nouvelles méthodes. Nous utilisons les batteries des voitures pour produire de l’électricité en chargeant la batterie et en l’utilisant pour s’éclairer et regarder la télévision. »

Un système de recharge de batterie de voiture coûtait 1.200 $ il y a un an, selon al-Rayashi. Ce prix était largement hors de portée du résident moyen de Gaza – surtout après les dernières restrictions sur les salaires des fonctionnaires par l’Autorité Palestinienne de Cisjordanie occupée – aussi les détaillants ont-ils cassé les prix pour accroître la demande. Il vend maintenant le système pour 650 $.

Malgré la baisse des prix, les gens préfèrent de plus petits systèmes de recharge de batterie dont ils ne se servent que pour l’éclairage et la Wi-Fi. « Ce système plus simple coûte 40 $ et il peut à peine éclairer une pièce, mais les gens ne peuvent pas s’offrir le lus grand », a dit al-Rayashi.

« Nous faisons de notre mieux pour procurer à notre population les appareils les moins chers, malgré toutes les difficultés auxquelles nous faisons face. Nous payons quantités de taxes aux Israéliens pour obtenir nos marchandises depuis leurs ports et leurs passages. »

Bien que Gaza bénéficie de sa bonne part de soleil, l’utilisation de l’énergie solaire est très limitée.

« C’est plus propre et meilleur, mais très cher. Le système à énergie solaire le plus simple coûte 1.700 $ juste pour l’éclairage et la télévision. La classe supérieure est la seule à pouvoir s’offrir ce système », a dit al-Rayashi.

L’étudiant Khalid Mahdi, 19 ans, et son ami Hussam al-Khatib, 20 ans, jouent au billard dans une petite boutique de Gaza ville.

« Nous avons fui le triste éclairage LED de chez nous pour trouver le même éclairage dans la salle de billard », a dit Mahdi.

« Jouer au billard est un passe-temps favori et nous faisons de notre mieux pour y jouer régulièrement, mais nous voyons à peine les boules avec ces lumières », a-t-il ajouté. « Tous les Gazaouis ont ces lumières chez eux et se plaignent de leur mauvaise qualité. Mais nous n’avons pas d’autre choix. »

« Nous sommes des étudiants. Nous ne pouvons pas étudier avec ce mauvais éclairage et nous ne pouvons pas pratiquer le billard pour la même raison », a dit al-Khatib.

La plupart des bâtiments et des ateliers ont de gros générateurs généralement entreposés dans la rue, provoquant une nuisance sonore. Néanmoins, même les tours ont cessé de les utiliser à cause des longues heures de coupures de courant et du prix du fuel nécessaire pour alimenter les générateurs.

L’officier de police Ahmad Musallim, 42 ans, vit au huitième étage de la tour de la Mer à Gaza ville.

« Le générateur fonctionne 10 minutes toutes les deux heures pour l’ascenseur et de 18 heures à 21 heures tous les jours. Si quelqu’un a besoin de l’ascenseur [en dehors de la période fixée], il doit payer 5 shekels [approximativement 1,50 $] pour allumer le générateur. »

« Mes enfants vont à l’école. Après 6 heures de cours, ils doivent monter huit étages. Je voudrais tellement faire quelque chose pour les aider. »

« Les coupures de courant font maintenant partie de notre vie. Nous nous sommes déjà adaptés à une vie avec de longues heures d’obscurité », a dit Fatima Qudaih, 42 ans, de Khan Younis au sud de Gaza.

« Les longues coupures de courant nous empêchent d’utiliser les pompes à eau. C’est le cauchemar de toutes les maîtresses de maison ici à Gaza. Nous ne pouvons pas laver les vêtements ni la vaisselle. »

« Mon fils prend quelques bidons et va les remplir à un poste voisin d’approvisionnement en eau. C’est plus cher et beaucoup plus compliqué à l’usage », a-t-elle ajouté.

Wafaa al-Najjar, 63 ans, et sa sœur Samiha, 60 ans, utilisent un four en argile pour faire cuire et cuisiner chez elles à Khan Younis.

« Nous avions l’habitude d’utiliser l’électricité pour faire la cuisine, mais maintenant nous utilisons ce four, surtout depuis que le gaz pour la cuisine est si cher », a dit Wafaa.

Les sœurs utilisent trois branches de leur ferme pour le feu. « Nous vivons dans une zone rurale. Les femmes de ces régions sont fortes et comptent sur elles mêmes. Nous savons que notre vie est difficile, mais nous faisons de notre mieux pour continuer à avancer. Nous n’avons tout simplement pas d’autre choix », a dit Wafaa.

D’après Samiha, le pain cuit sur l’électricité est meilleur, mais celui fait dans le four d’argile leur rappelle leur mère.

Ahmad al-Jahjouh, 52 ans, charpentier à Gaza ville, a dit que son travail est « paralysé » par seulement quatre heures d’électricité par jour.

« Parfois, les quatre heures d’électricité arrivent pendant la nuit. Au début, j’allais à ma boutique avec mes ouvriers et nous travaillions après minuit. Mais les voisins se sont plaints à cause du bruit, ce que je comprends parfaitement. »

« J’avais 20 ouvriers dans le magasin. Maintenant, il n’y a plus que moi et mes deux fils. Nous ne produisons rien. Et même quand nous utilisons le générateur, notre profit est négligeable. »

« Je n’ai rien à dire. Je ne dors pas et je suis très fatigué. Nous souffrons de puis des années et notre patience est épuisée. »

Traduction : J. Ch. Pour l’Agence Média Palestine

Source : Electronic Intifada

Retour haut de page