Des heures d’affronts pour quelques minutes avec mon frère : mon voyage mensuel dans une prison israélienne

 

Dr Inas Abad – 12 mai 2017 – Middle East Eye

Le frère d’Inas Abbad est en grève de la faim dans la prison de Gilboa. Ici, elle raconte son calvaire pour arracher une visite de 45 minutes.

Le frère d’Inas Abbad, Mohammed Abbad, est en prison depuis 16 ans et il est l’un des 1500 Palestiniens en grève de la faim pour protester contre l’absence de droits fondamentaux dans les prisons. Sa famille a 45 minutes, chaque mois, pour le voir. Ci-dessous, elle raconte comment se passe le jour de la visite, les heures d’attente, les fouilles rigoureuses, et les humiliations subies par tous.

Je me réveille à 4 h du matin, sachant que je n’ai pas bien dormi, comme chaque nuit qui précède ma visite à mon frère dans la prison, tout au long de ces 16 années passées. J’ai passé la plus grande partie de la nuit à réfléchir à comment lui donner des nouvelles des enfants, de ses amis et de la famille, sur ce que je dirai et sur ce que je ne dois pas dire. Je ne dors pas.

Comment va se passer la rencontre ? Que vais-je lui dire ? Dois-je parler, ou simplement écouter ?

Mais cette visite est différente. Mon frère, Mohammed Abbad, m’a dit lors d’une visite précédente que les prisonniers projetaient de faire une grève de la faim pour exiger leurs droits légaux. Bien que ce ne soit pas la première grève à laquelle mon frère participera, il y a des circonstances particulières qu’il faut prendre en compte.

Mon frère va bientôt avoir 40 ans, et il souffre de maladies des suites de ses longues années d’emprisonnement et de mauvaise alimentation, en plus du manque des soins élémentaires qui sont censés être garantis aux prisonniers selon la législation internationale. Déjà, mon frère a besoin de médicaments, d’un traitement prolongé et d’eau. Alors, une grève de la faim ne peut qu’aggraver sa maladie et affaiblir son corps déjà maigre.

Il n’a pas réussi à dire au revoir à notre père avant sa mort. Avant que celui-ci ne soit cloué au lit, il a essayé, en vain, d’entendre son fils : il n’a pas pu entendre sa voix, et pourtant il avait réussi à se traîner jusqu’à la prison.

C’est une expérience commune à tous les prisonniers. Walid Daqqa, par exemple, n’a pas été autorisé à contacter son père qui était à l’agonie depuis deux mois, avant sa mort en 1997. Walid en a eu le cœur brisé. Houssam Shaheen n’a pas été autorisé à faire ses adieux à son père avant qu’il ne meure en 2016.


Embarquement dans le bus pour la prison, en début de matinée. (MEE/Dr Inas Abbad)

 

Le trajet commence

Je passe prendre ma mère et nous nous rendons là où le bus de la Croix-Rouge est garé, sur la route d’al-Zahra. Les boutiques sont fermées car il est très tôt, et les seules personnes qui sont ici attendent le bus – des enfants, des femmes, des personnes âgées, certaines en fauteuil roulant, tous attendent.

Tahany Margha, l’épouse d’Adnan Margha, emmène ses deux enfants, Hisham et Joory, pour qu’ils voient leur père. Il n’a pas assisté à leur naissance, ni entendu leur premiers mots, et il ne les a pas vu grandir. Adnan est l’un des prisonniers qui ont été libérés lors de l’accord pour l’échange du prisonnier Gilad Shalit en 2011, mais il a été ré-arrêté quelques mois plus tard après son mariage, et alors que son épouse attendait les jumeaux.

Le bus part à 5 h 50 pour une heure et 40 minutes de trajet jusqu’à Gilboa. Quand il arrive, les visiteurs se mettent en file devant la porte de la prison, puis une autre heure passe à attendre, dans le froid et sous la pluie.

Pendant les fouilles approfondies, les hurlements, les plaintes et les traitements dégradants par le personnel pénitentiaire, une seule personne autorisée à franchir la porte toutes les cinq à dix minutes. Elles sont conduites dans une pièce, sans fenêtres, où des planches servent de bancs, recouvertes de couvertures rongées par l’usure.

À 10 h 30, les cartes d’identité sont contrôlées et les visiteurs sont dirigés vers une autre pièce, où tout simplement, renvoyés. Cela arrive souvent – la famille de Houssam Shaheen, qui a été arrêté en janvier 2004, n’a pas été autorisée à le voir pendant plus de cinq ans, sauf dans les tribunaux militaires. Israël n’a jamais expliqué pourquoi il empêchait ces visites.

Après l’appel des noms, nous entrons dans une autre pièce et nous sommes inspectés à fond avec un dispositif électronique d’alarme. Quand il sonne, comme il le fait souvent, nous sommes forcés de retirer certains de nos vêtements pour une autre inspection, plus poussée, dégradante.

Ensuite, nous pénétrons dans une nouvelle pièce, celle-ci aussi sans fenêtres, et sans ventilation, bondée de personnes voulant voir, père, fils ou frère.

Toute cette attente, est-ce pour punir leurs familles ? Est-ce pour cela qu’ils les persécutent, les oppriment et les humilient ?

« Papa, reviens vers nous »

Nous descendons par un couloir étroit couvert de barbelés. Chaque prisonnier est assis derrière une fenêtre et nous en sommes séparés par une vitre épaisse et souvent sale, de sorte que nous ne pouvons pas les voir nettement. Nous nous servons de deux téléphones pour communiquer, et parfois, il y en a un qui ne marche pas. Nous sommes assis sur ce qui ressemble plus à des planches qu’à des bancs.

La visite mensuelle avec mon frère est censée durer 45 minutes. Celle-ci commence sans parler. Ma mère se met à pleurer, et les enfants d’Adnan Margha commencent à crier : « Papa reviens, papa reviens ».

Son épouse commence par leur dire que papa n’est pas autorisé à sortir de la prison, mais ils ne comprennent pas et ils ne veulent pas comprendre. Tous, ce qu’ils veulent à ce moment-là, c’est être dans les bras de leur père.

Certains pourraient se demander pourquoi le prisonnier Yigal Amir, qui a tué le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, est autorisé, lui, à rester seul avec son épouse et sa famille, et à les prendre dans ses bras lors de leurs visites, alors que Walid Daka, qui a 56 ans et est en prison depuis 31 ans, n’est pas autorisé à voir son épouse Sana âgée de 47 ans.

L’épouse d’Yigal Amir a accouché pendant qu’il était en prison, tandis que Sana Daka s’est battue pendant plus de 12 ans devant les tribunaux israéliens pour avoir l’autorisation de visites conjugales avec son époux, dans l’espoir d’avoir un enfant.

Le paradoxe est que le cas de Walid Daka est le même que pour les 14 citoyens palestiniens d’Israël qui ont la citoyenneté israélienne et qui sont détenus en prison. Quand il y a un accord politique, ou un accord d’échange, ils ne sont pas pris en compte parce qu’ils ont la citoyenneté israélienne. Quand ils demandent leurs droits de citoyenneté, ils sont considérés comme des « terroristes palestiniens ».

Où est la justice ?

 

Mon frère nous dit ceci : « Je voudrais vous informer que la grève va continuer jusqu’à ce que nous obtenions ce que nous demandons, et que peut-être, on vous dira que j’ai été déplacé et peut-être, que je suis en isolement, je veux que vous soyez forts ».

« Nous pouvons mourir durant la grève, mais, maman, je préfère mourir plutôt que de ne pas serrer ma sœur et son petit garçon contre moi, qui écrit combien cela lui manque d’être dans mes bras et de jouer avec moi ».

Mes enfants Houssam, 21 ans, Lin, 18 ans, Hala, 14 ans, et Rami, 10 ans, n’ont pas vu leur oncle depuis 16 ans et les plus jeunes, eux, ne l’ont jamais vu. Ma fille aînée veut voir son oncle, comme un cadeau pour la fin de sa scolarité. Lors des congés de l’Aïd, Houssam dit toujours à sa grand-mère : « Mon oncle Mohammed manque à la table du déjeuner ».

« Notre voisin est décédé la semaine dernière », dis-je à mon frère. « La dernière fois que je l’ai vu, il t’a envoyé ses salutations et espérait ta liberté. Ta tante Maimana espère te voir avant de mourir ».

Pourquoi notre tante, âgé de 71 ans, n’est-elle pas autorisée à lui rendre visite ? N’est-ce pas en soi une persécution ?

 

Quinze heures pour 45 minutes

La visite se termine et les larmes de l’oppression remplissent les yeux de ma mère. Elle se souvient de la mort de mon père, que son âme repose en paix, pendant qu’elle rend visite à son fils.

« Je ne peux pas oublier que je n’ai pas pu faire mes adieux à l’homme que j’aimais, l’homme que j’aimais et à qui j’ai été mariée pendant 45 ans après une histoire d’amour qui a duré 5 ans » dit-elle.

Nous saluons les autres prisonniers que nous connaissons dans nos derniers instants dans cette pièce. Mais, 45 minutes par mois, ce n’est pas assez – ce ne serait pas assez même toutes les deux semaines.

Nous quittons la pièce de la même manière que nous y sommes entrés, et nous retrouvons notre identité à la dernière porte de la prison. Là, nous prenons le bus de la Croix-Rouge et nous attendons pendant quatre heures, sous le soleil en été, et sous la pluie et dans le froid en hiver, que toutes les visites soient terminées.

Dans le bus, les parents parlent de leurs fils, et de leurs histoires de maladies et de privations : Adnan Margha a été deux fois à l’hôpital avec de graves douleurs ; Walid est en isolement, il a perdu 15 kg, et sa santé ne cesse d’empirer. Le prisonnier Barghouti avait été transféré de Hadarim à Gilboa, mais ils l’ont ramené à Hadarim.

 Nous arrivons à Jérusalem, juste avant le coucher du soleil. La mère d’un prisonnier est partie de chez elle avant le lever du soleil, et elle revient à la maison après que 15 heures se soient écoulées, pour pouvoir voir son fils pendant 45 minutes.

Nous sommes tous partis de chez nous, emportant tant de tristesse et de peine, mais aussi d’impatience. Et nous rentrons avec les mêmes questions : pourquoi la punition collective ? Pourquoi la discrimination raciale ? Combien de temps va durer cette persécution des prisonniers et de leurs familles ?

 Source : Middle East Eye

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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