Rencontre Trump-Abbas : une célébration d’egos

 

Par Alaa Tartir, jeudi 4 mai 2017

Ni Trump et Abbas, ni Netanyahu ne veulent aller plus loin que la signature d’un document et vraiment travailler à une paix juste et durable.

Dans ses remarques préliminaires à la conférence de presse de Washington avec Mahmoud Abbas, Donald Trump a félicité le président palestinien pour avoir courageusement signé la Déclaration de Principes (DoP) – nom officiel des Accords d’Oslo – il y a 24 ans sur la pelouse de la Maison Blanche.

Selon Trump, la DoP « a établi les fondements de la paix entre Israéliens et Palestiniens ». Tout aussi important, il a dit à Abbas : «  Vous avez signé de votre nom le premier accord de paix israélo-palestinien. » Trump a soutenu Abbas pour « être le dirigeant palestinien qui signe de son nom le plus important accord de paix final qui procure sécurité, stabilité et prospérité aux deux peuples et à la région ».

Conférence de presse du président Trump et du président Abbas le 03.05.2017

Cela a chanté aux oreilles d’Abbas qui souhaitait cette reconnaissance depuis longtemps. Abbas se plaint depuis longtemps de ne pas être suffisamment reconnu pour son rôle historique dans la signature de ce « très important » document, alors que tout le crédit en est revenu à feu le chef de l’OLP Yasser Arafat, y compris le prix Nobel.

Sans aucun doute, l’introduction de Trump a survolté l’ego d’Abbas à un moment où il souffre d’une profonde crise de légitimité chez lui, critiqué par le peuple palestinien pour faire entrer la politique palestinienne dans l’autoritarisme – principalement en sous-traitant la répression – et pour consolider la fondation d’un Etat policier en Palestine sous occupation israélienne armée.

Des dirigeants dans le déni

On rapporte cependant que l’accueil manifestement chaleureux de Trump a inquiété et troublé les Israéliens. A son tour, Abbas a repris ce « Trumpisme » du discours et de la célébration des egos en disant à Trump : « Maintenant, Monsieur le président, avec vous nous reprenons espoir. » Plus tôt dans ses remarques, Abbas avait dit à Trump : « Votre courageuse gestion et votre sagesse, ainsi que votre grande capacité à négocier » vont certainement conduire à la paix.

Cette rhétorique incandescente, l’hypocrisie et l’égotisme ont empêché les yeux et les esprits des deux présidents de reconnaître l’échec absolu de la DoP de procurer la paix et la sécurité des deux côtés, aux Palestiniens et aux Israéliens.

En réalité, cet accord d’Oslo a permis à Israël d’étendre ses colonies juives illégales en Cisjordanie occupée et à Jérusalem et de continuer sa colonisation des terres palestiniennes. L’échec de cette DoP et de son cadre ainsi célébrés a signifié qu’Israël se retranchait dans sa politique, ses pratiques et ses structures d’apartheid.

En substance, cette DoP n’était qu’un arrangement sécuritaire entre le colonisé et le colonisateur pour mettre à l’abri ce dernier, ce qui est très loin de représenter un accord de paix, au détriment de la vie et des ressources du peuple palestinien.

Un partenariat douteux

La condition préalable des arrangements sécuritaires et du contre-terrorisme étaient au coeur des commentaires de Trump, ce qui est dans la ligne des exigences israéliennes et de la doctrine sécuritaire de l’Autorité Palestinienne (AP) imposée par le donateur.

Trump a déclaré clairement : « Nous devons continuer à construire notre partenariat avec les forces de sécurité palestiniennes pour contrer et battre le terrorisme. » Trump a ajouté : « Ils [les personnels palestiniens et israéliens de sécurité] s’entendent incroyablement bien… Ils travaillent merveilleusement ensemble » – déclaration qui a outragé beaucoup de Palestiniens.

Sans surprise, Abbas a opiné du chef en signe d’assentiment tout au long de la conférence de presse car il considère la coordination sécuritaire comme un « intérêt national palestinien » et comme une doctrine « sacrée ».

Les forces de l’Autorité Palestinienne se heurtent à des manifestants devant le palais de justice de Ramallah en mars 2017. (MEE/Elia Ghorbiah)

Pourtant, dans la réalité, ceci se traduit par un partenariat qui vise à criminaliser la résistance palestinienne à l’occupation israélienne. C’est un partenariat dont le but est de renforcer la prédominance des personnels et des forces de sécurité de l’AP, les positionnant comme des corps répressifs qui dominent le peuple palestinien et leur combat pour l’autodétermination.

Ce partenariat se manifeste en plus dans le parrainage des transformations autoritaires qui ont accompagné le projet palestinien d’édification d’un Etat, en particulier au cours de la dernière décennie.

La majorité de la population palestinienne rejette cette coordination sécuritaire « sacrée » entre l’AP et Israël, qui a contribué de façon significative à l’élargissement de l’écart de légitimité entre le peuple palestinien et l’élite politique et sécuritaire.

Mais ni Abbas ni Trump ne se soucient suffisamment des aspirations et des exigences du peuple palestinien. Les deux présidents n’arrivent pas à comprendre que, avant toutes choses, une paix authentique et durable n’est pas possible sans l’approbation et l’adhésion de la population. Arriver à la paix, contrairement à ce que proclament Trump et Abbas, est plus complexe que la simple signature en bas d’un « document ».

La paix ne s’achète pas

Comme la plupart des administrations américaines précédentes, Trump conçoit le « gros problème final » principalement à travers des objectifs sécuritaires et économiques. En conséquence, il emprunte un sentier battu et renforce le paradigme raté de l’approche d’une paix sécurisée et d’une paix économique.

Trump refuse de reconnaître que l’assistance économique ne peut pas acheter la paix politique. L’administration actuelle n’a qu’à regarder l’échec de l’approche de paix économique de l’administration Obama pour en tirer des conclusions évidentes.

Même un bref examen de l’Initiative Economique Palestinienne (PEI) de l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry fournit des quantités d’exemples et de leçons sur pourquoi « de nouvelles opportunités économiques », comme dictées par les Américains et dans leur cadre et leur compréhension d’une approche de la paix et du « gros problème », ne conduira pas à la paix. En réalité, c’est exactement le contraire qui est vrai : il soutient et se retranche dans un statu quo qui nie les droits fondamentaux, l’égalité et la liberté.

Trump a conclu la rencontre en déclarant : « Nous allons entamer un processus qui, nous l’espérons, conduira à la paix. » Il n’a défini ni le processus ni ses paramètres, ni n’a fait aucune mention de l’Etat palestinien ou de la solution à deux Etats qu’Abbas a recherché tout au long de sa carrière politique. Abbas a simplement dit « D’accord ».Il a approuvé « le démarrage d’un processus » et il a accepté d’entamer un voyage vers la paix sous la conduite de Trump.

Pour Trump, comme pour la plupart des administrations américaines précédentes, la paix veut dire la sécurité pour Israël et la stabilité politique. Pour les dirigeants politiques d’Israël, la paix veut dire annexion, colonisation et apartheid. Pour la représentation non élue et non représentative de l’AP, la paix veut dire se retrancher dans ses privilèges économiques et la perception (réelle ou imaginaire) de son pouvoir et de son autorité.

Abbas, ses conseillers et la direction politique palestinienne sont incapables de profiter de la leçon toute simple de ces dix dernières années corroborée par une preuve évidente : l’Amérique est un mauvais courtier de la paix.

Pour parvenir réellement à la paix, il faudrait décoloniser et démanteler le régime israélien d’apartheid et mettre fin à l’occupation israélienne armée illégale : voilà la première étape.

Mais ni l’administration américaine, ni Abbas ou Netanyahu ne veulent emprunter ce chemin. Ils pourraient s’engager dans un processus qui satisferait leurs egos et leurs caprices idéologiques, mais qui n’assurerait certainement pas une paix juste et durable. Ce travail reviendra à la prochaine génération de dirigeants.

Dr. Alaa Tartir est le directeur de programme d’Al-Shabaka, le Réseau Politique palestinien, un chercheur post-doctorant au Centre de Genève pour la Politique de Sécurité (GCSP) et un chercheur associé invité au Centre des Conflits, du Développement et de la Réconciliation, l’Institut des Hautes Etudes Internationales du Développement (IHEID), Genève, Suisse. Suivez Alaa Tartir sur Twitter @alaatartir et lisez sa publication sur www.alaatartir.com

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de « Middle East Eye »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Middle East Eye

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