« Pourquoi nous sommes en grève de la faim dans les prisons israéliennes »

Par Marwan Barghouti, le lundi 17 avril 2017

PRISON HADARIM, Israël – Ayant passé les 15 dernières années dans une prison israélienne, j’ai été à la fois un témoin et une victime du système illégal israélien d’arrestations arbitraires massives et de mauvais traitements des prisonniers palestiniens. Après avoir épuisé toutes les autres options, j’ai décidé qu’il n’y avait pas d’autre choix que de résister à ces atteintes en entamant une grève de la faim.

Quelques 1.000 prisonniers palestiniens ont décidé de prendre part à cette grève de la faim qui commence aujourd’hui, jour que nous considérons ici comme la Journée des Prisonniers. Faire la grève de la faim est la forme la plus pacifique de résistance à notre disposition. Elle ne fait souffrir que ceux qui y participent et leurs êtres chers, avec l’espoir que leurs estomacs vides et leur sacrifice aideront leur message à avoir un écho au-delà des limites de leurs sombres cellules.

Des décennies d’expérience ont prouvé que le système inhumain d’occupation coloniale et militaire par Israël a pour but de briser le moral des prisonniers et de la nation à laquelle ils appartiennent en leur infligeant des souffrances corporelles, en les séparant de leurs familles et de leurs communautés, en utilisant des mesures humiliantes pour les contraindre à la soumission. Malgré ces mauvais traitements, nous ne céderons pas.

Israël, puissance occupante, viole le droit international de multiples façons depuis presque 79 ans et a pourtant bénéficié de l’impunité pour ses actions. Il a commis de graves infractions aux Conventions de Genève contre le peuple palestinien ; les prisonniers, hommes, femmes et enfants, ne font pas exception à la règle.

Suite de la présentation du récit principal

Je n’avais que 15 ans quand j’ai été emprisonné pour la première fois. J’en avais à peine 18 quand un enquêteur israélien m’a obligé à écarter les jambes alors que je me tenais nu dans la salle d’interrogatoire, avant qu’il ne frappe mes parties génitales Je me suis évanoui de douleur et ma chute m’a laissé une cicatrice indélébile sur le front. L’enquêteur s’est ensuite moqué de moi, disant que je ne pourrais jamais me reproduire parce que des gens comme moi ne pouvaient donner naissance qu’à des terroristes et des meurtriers.

Quelques années plus tard, j’étais à nouveau dans une prison israélienne, menant une grève de la faim, quand mon premier fils est né. Au lieu des bonbons que nous distribuons habituellement pour célébrer ce genre d’événement, j’ai donné du sel aux autres prisonniers. Lorsqu’il venait d’avoir 18 ans, il a été arrêté à son tour et a passé quatre ans dans les prisons israéliennes.

L’aîné de mes quatre enfants est maintenant un homme de 31 ans. Et pourtant, je suis toujours là, poursuivant ce combat pour la liberté avec des milliers de prisonniers, des millions de Palestiniens et le soutien de tant de gens autour du monde. Qu’est-ce qui, avec l’arrogance de l’occupant et oppresseur et de ses soutiens, le rend sourd à cette simple vérité : nos chaînes seront brisées avant nous, parce que c’est dans la nature humaine de répondre à l’appel de la liberté quel qu’en soit le prix.

Israël a construit la presque totalité de ses prisons à l’intérieur d’Israël plutôt que sur le territoire occupé. Ce faisant, il a déporté de force et illégalement en captivité des civils palestiniens et il a utilisé cette situation pour restreindre les visites des familles et pour infliger aux prisonniers des souffrances dues aux longs trajets dans des conditions cruelles. Il a détourné les droits fondamentaux qui devraient être garantis selon le droit international – y compris certains douloureusement acquis grâce aux grèves de la faim précédentes – en privilèges que le système carcéral décide de nous accorder ou de nous retirer.

Les prisonniers et détenus palestiniens ont souffert de torture, de traitements inhumains et dégradants et de négligence médicale. Certains ont été tués pendant leur détention. D’après le dernier décompte du Club des Prisonniers Palestiniens, environ 200 prisonniers palestiniens sont morts depuis 1967 à cause de ces mauvais traitements. Les prisonniers palestiniens et leurs familles demeurent aussi la cible prioritaire de la politique israélienne qui consiste à imposer des punitions collectives.

Par notre grève de la faim, nous cherchons à mettre fin à ces abus.

Au cours des 50 dernières années, selon l’association des droits de l’Homme Addameer, plus de 800.000 Palestiniens ont été emprisonnés ou détenus par Israël – l’équivalent d’environ 40 % de la population masculine du territoire palestinien. Aujourd’hui, environ 6.500 sont encore en prison, dont certains ont le triste privilège de détenir le record mondial du temps de détention le plus long pour des prisonniers politiques. On trouve difficilement en Palestine une famille qui n’a pas enduré les souffrances causées par l’emprisonnement de l’un ou de plusieurs de ses membres.

Comment rendre compte de cet incroyable état des choses ?

Israël a mis en place un double régime juridique, une sorte d’apartheid judiciaire, qui procure une impunité virtuelle aux Israéliens qui commettent des crimes contre les Palestiniens, tandis qu’il criminalise la présence et la résistance des Palestiniens. Les tribunaux israéliens, clairement instrumentalisés par l’occupation coloniale militaire, offrent une sorte de parodie de justice. Selon le Département d’État, le taux decondamnation des Palestiniens dans les tribunaux militaires avoisine les 90%.

Parmi les centaines de milliers de Palestiniens qu’Israël a détenus en captivité, il y a des enfants, des femmes, des députés, des militants, des journalistes, des défenseurs des droits, des universitaires, des personnalités politiques, des activistes, des passants, des membres des familles des prisonniers. Et tous dans un seul but : enterrer les aspirations légitimes de toute une nation.

Au contraire cependant, les prisons israéliennes sont devenues le berceau d’un mouvement durable vers l’autodétermination des Palestiniens. Cette nouvelle grève de la faim va une fois de plus démontrer que le mouvement des prisonniers est la boussole qui mène notre lutte, la lutte pour la Liberté et la Dignité, nom que nous avons choisi pour cette nouvelle étape de notre longue marche vers la liberté.

Les autorités israéliennes et leur système carcéral ont détourné les droits fondamentaux qui devraient être garantis selon le droit international – y compris certains douloureusement acquis grâce aux grèves de la faim précédentes – en privilèges dont ils décident de nous les accorder ou de nous en priver. Israël a essayé de tous nous marquer au fer rouge comme terroristes pour légitimer ses violations, dont les arrestations arbitraires massives, la torture, les mesures punitives et de sévères restrictions. Dans le cadre de cet effort d’Israël pour saper la lutte des Palestiniens pour leur liberté, un tribunal israélien m’a condamné à cinq fois la perpétuité et à 40 ans de prison dans un simulacre de procès politique qui a été dénoncé par les observateurs internationaux.

Israël n’est pas le premier occupant ou pouvoir colonial à recourir à ce genre d’expédients. Tout mouvement de libération nationale dans l’histoire peut se souvenir de pratiques similaires. C’est pourquoi tant de gens qui se sont battus contre l’oppression, le colonialisme et l’apartheid se tiennent à nos côtés. La Campagne Internationale pour la Libération de Marwan Barghouti et de Tous les Prisonniers Palestiniens, que l’icône de l’anti-apartheid Ahmed Kathrada et ma femme Fadwa ont inaugurée en 2013 depuis l’ancienne prison de Nelson Mandela à Robben Island, a bénéficié du soutien de huit lauréats du Prix Nobel de la Paix, de 120 gouvernements et de centaines de leaders, de députés, d’artistes et d’universitaires à travers le monde.

Leur solidarité met en évidence l’échec moral et politique d’Israël. Les droits ne sont pas octroyés par un oppresseur. La liberté et la dignité sont des droits universels inhérents à l’humanité, dont toute nation et tout être humain doit jouir. Les Palestiniens ne seront pas une exception. Seule la fin de l’occupation mettra fin à cette injustice et indiquera la naissance de la paix.

Marwan Barghouti est un leader et député palestinien.

Une version de cette lettre d’opinion est parue dans l’édition du 17 avril 2017 de The International New York Times.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : New York Times 

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