« Espionner ou mourir »


Par Hamza Abu Eltarabesh, The Electronic Intifada 5 avril 2017

Ahmad, le fils d’Amal Shubeir, né avec une déficience cardiaque, s’est vu refuser un permis de circuler pour traitement médical après que sa famille ait refusé de collaborer avec les renseignements israéliens. Il est mort en janvier. (photo autorisée par la famille Shubeir)

Quand vous entrez par la porte principale, la première chose que vous voyez, c’est une grande photographie d’un adolescent souriant. C’est simple et chaleureux, le genre de chose que vous trouveriez dans une maison heureuse.

Mais ce n’est pas une maison heureuse.

La maison appartient à l’avocat Hasan Shubeir, 54 ans, et la photographie est celle de son fils Ahmad, qui est mort d’une défaillance cardiaque en janvier à l’âge de 17 ans. Mais ceci, dit son père, ne dit qu’une fraction de l’histoire. Ahmad avait peut-être une affection cardiaque mais, en réalité, il a été victime d’un chantage israélien.

Des histoires comme celle d’Ahmad Shubeir ne sont pas rares à Gaza. Coupés du reste du monde et avec des équipements de santé délabrés, les Palestiniens de Gaza qui ont besoin de soins médicaux importants et spécialisés doivent pouvoir compter sur des soins de santé à l’extérieur.

Ceci signifie essentiellement aller en Israël ou en Cisjordanie, ce qui requiert l’autorisation de l’armée israélienne qui a mis en place un régime de permis hautement restreint depuis 2003. Par conséquent, disent les militants des droits de l’Homme et les familles, les patients et leurs proches sont susceptibles de subir chantage et pressions pour qu’ils espionnent pour Israël.

Ce n’est pas un phénomène nouveau et l’association Médecins pour les Droits de l’Homme-Israël a surveillé ce genre de coercition, surtout en ce qui concerne Gaza. D’après son dernier rapport, les malades palestiniens sont confrontés à une tendance vers des « interrogatoires soutenus », exacerbée par une « croissance déconcertante » du nombre de demandes de permis médicaux rejetées en 2016.


Assez vieux pour collaborer

C’est ce qui est arrivé à Ahmad, a dit son père à The Electronic Intifada.

Ahmad est né avec une déficience cardiaque congénitale qui nécessitait un traitement régulier en Israël. Il y est allé quelque 40 fois durant sa courte vie, selon sa famille.

Décembre 2015, dit la famille, a représenté la première tentative des fonctionnaires de l’Agence de Sécurité israélienne – l’agence nationale de renseignements d’Israël, également connue comme la Shabak ou le Shin Bet – pour faire pression sur l’enfant et sa mère, Amal 40 ans, qui l’accompagnait au checkpoint d’Erez, pour qu’ils espionnent pour Israël. Manifestement, pense la famille, il avait grandi et on voyait en lui un collaborateur potentiel.

Tout au long de 2016, même alors que son état empirait, la pression s’intensifia. Les permis d’entrer en Israël, que l’enfant avait toujours pu obtenir, ont soudain cessé d’être délivrés. Ahmad et sa mère sont allés pour une dernière fois en visite à l’hôpital Tel Hashomer de Tel Aviv en avril 2016 pour le préparer à l’opération à coeur ouvert programmée pour septembre. Mais ce fut la dernière fois qu’il eut le droit de passer.

On lui refusa les autorisations de voyager pour l’opération. Par contre, la famille a reçu une assignation à comparaître pour interrogatoire par l’Agence de Sécurité israélienne au checkpoint d’Erez.

Amal a raconté son histoire à B’Tselem, organisation israélienne de droits de l’Homme. Amal et son mari ont tous deux expliqué que, en novembre 2016, Ahmad et son père étaient allés tôt dans la matinée au checkpoint d’Erez où ils avaient dû subir un « interrogatoire » pendant 12 heures, selon les mots de Hassan, dans l’intention de les transformer, l’un ou tous les deux, en espions pour Israël.

Ils ont tous les deux refusé. « Nous aimons notre pays et notre peuple plus que vous ne le faites », c’est ce que Hasan dit avoir dit au fonctionnaire du renseignement.

Ahmad n’a plus jamais eu de permis, même alors que des rendez-vous successifs lui ont été donnés par l’hôpital Tel Hashomer. Alors, le 14 janvier 2017, Ahmad s’est réveillé de bonne heure et a aidé sa mère dans des tâches ménagères. Fatigué, il est parti se recoucher.

« Il a fermé les yeux et ne les a jamais plus ouverts », a dit sa mère. « Il est mort, juste comme ça. »


Cruel, inhumain, dégradant

Ce système de permis et le contrôle d’Israël sur la circulation des personnes fait du checkpoint d’Erez un « piège » pour les patients vulnérables et leurs parents, selon Issam Younis, directeur du Centre Al Mezan pour les Droits de l’Homme.

En 2016, au checkpoint d’Erez, Al Mezan a décompté 44 arrestations, dont quatre malades, selon Younis, tandis que des centaines se voyaient simplement refuser l’autorisation de passer pour « raison de sécurité ».

En décembre B’Tselem a expliqué que le nombre de patients pressentis convoqués pour interrogatoire au checkpoint d’Erez s’était dramatiquement accru l’année dernière, avec 601 demandeurs de permis retenus pour interrogatoire en 2016, comparés aux 146 en 2015 et aux 179 en 2014.

Au même moment, Médecins pour les Droits de l’Homme a dénoncé une « augmentation troublante » du nombre de demandeurs de permis refoulés, calculant que le taux de délivrance de permis avait chuté d’environ 13 pour cent, comparé à celui de 2015.

Al Mezan a trouvé une baisse encore plus marquée de presque 17 pour cent dans le taux de permis délivrés et définit le traitement des patients à Erez comme « cruel, inhumain et dégradant ».

L’association de droits de l’Homme a demandé une enquête indépendante sur la mort d’Ahmad et d’autres cas similaires.

Deux cas semblables sont ceux de Nirmeen Abu Yousif et de Zein al-Deen Samour.

En 2014, Abu Yousif, mère de deux enfants, a perdu connaissance. Puis cela s’est répété. Quand ces pertes de conscience devinrent récurrentes, elle est allée à l’hôpital. Les médecins diagnostiquèrent une maladie du foie avancée causée par une hépatite C et décidèrent qu’elle avait besoin d’une transplantation d’urgence. Après beaucoup de retard à Erez, elle a d’abord été dirigée sur l’hôpital national universitaire An-Najah de Naplouse, où les médecins n’ont rien pu faire pour elle.

Après quelques atermoiements – son mari est membre du Hamas – le bureau du leader de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas a finalement facilité son transfert à l’hôpital Hadassah de Jérusalem. Mais une fois là, elle a dépéri tandis que sa sœur Samira, pressentie pour le don d’organe, n’a pas pu obtenir un permis pour se rendre à Jérusalem.

C’est alors, a dit son mari Luay Qufaisha 35 ans, qu’il a commencé à recevoir des appels téléphoniques venant d’un bureau de renseignements israélien.

Qufaisha avait été l’un des prisonniers libérés dans un accord de 2011 et avait été transféré de force à Gaza. Ses 10 années de prison – il avait été déclaré coupable de l’assassinat d’un prétendu espion israélien dans sa ville natale d’Hébron en Cisjordanie – l’avaient habitué aux échanges avec les enquêteurs, mais il était encore sous le choc d’avoir à subir un chantage impliquant la santé de sa femme.

« Il marchandait avec moi en se servant de la vie de ma femme pour que je devienne un espion », a dit Qufaisha à The Electronic Intifada, tout en feuilletant un album de photos de sa défunte femme.

Le marchandage a échoué. Êt même si le père d’Abu Yousif a pu, en passant par le bureau du Premier ministre Rami Hamdallah à Ramallah, assurer le passage de Nirmeen pour être traitée en Turquie, c’était trop tard. Elle est morte après être arrivée en Turquie en février 2016.

Samira aide maintenant à prendre soin des deux enfants, Nafez 4 ans et Eileen 2 ans.

« Elle me manque. Et mon coeur se brise chaque fois que les enfants la réclament et demandent quand elle va revenir. »


La longue route vers la justice

Zein al-Deen Samour est né avec une malformation cardiaque congénitale qui a amené les médecins de Gaza à l’envoyer immédiatement pour être traité en Israël. En janvier 2013, Hidaya al-Tattar, 28 ans, la mère de Zein al-Deen, a emmené le bébé à l’hôpital Tel Hashomer de Tel Aviv où il a reçu ce qui était supposé être le premier stade d’une série de processus sur son coeur.

On l’a renvoyée chez elle avec instructions de ramener l’enfant dans deux ans. Huit mois après cette visite, a dit Hidaya à The Electronic Intifada, elle a reçu un appel d’une femme qui disait qu’elle travaillait au checkpoint d’Erez.

Hidaya a eu immédiatement des soupçons. La femme était au courant du problème cardiaque de Zein al-Deen et proposait son aide. A une condition : « Aidez nous et nous vous aiderons », c’est la formulation qu’Hidaya a retenue.

Hidaya n’a pas accepté. Mais lorsqu’elle a à nouveau essayé d’obtenir un permis pour Zein al-Deen, on le lui a refusé. Sa seule option était de chercher un traitement ailleurs, mais la seule autre sortie de Gaza, c’est Rafah, passage vers l’Egypte qui n’est ouvert que de façon intermittente.

Mais, avant qu’Hidaya et Zein al-Deen réussissent à passer, du temps s’était écoulé. Le garçon est mort en février 2016 en Turquie, pendant une suite de processus qui arrivait trop tard.

« Ils m’ont demandé de vendre ma patrie et mon peuple contre la vie de mon bébé », a dit Hadaya.

Son mari, Sharif 35 ans, a dit : » Je tiens Israël pour responsable. Je veux que ceux qui sont responsables soient jugés dans un tribunal international. Il s’agit de crimes contre l’humanité. »

Que la famille ait jamais l’occasion de voir ce genre d’enquête est cependant hautement improbable. Israël allègue régulièrement des risques sécuritaires pour justifier l’empêchement pour des patients de recevoir leurs traitements, risques sécuritaires que le droit israélien ne contraint pas l’armée à expliciter.

Mais pour les Palestiniens, les pressions et les exactions infligées aux personnes vulnérables sont clairement une violation des normes concernant les droits de l’Homme, a dit Ramy Abu du Contrôle Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme.

« Israël a exploité le siège étouffant et les besoins des Palestiniens de Gaza de partir pour leur travail, leurs études ou leurs traitements médicaux », a-t-il dit à The Eectronic Intifada.

Et c’est une accusation dont Médecins pour les Droits de l’Homme-Israël se fait l’écho. Dans son dernier rapport sur le contrôle par Israël de la circulation des personnes à Gaza, l’organisation critique le « comportement problématique » dans des endroits comme le checkpoint d’Erez, comportement qui découle de la politique du gouvernement israélien.

« Cette politique comprend le piétinement constant des droits fondamentaux des habitants palestiniens qui vivent sous contrôle israélien, et spécialement leur droit à la santé, à la vie et à la dignité. »

Hamza Abu Eltarabesh est une journaliste de Gaza.


Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine


Source : The Electronic Intifada

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