Comment Israël sabote les enquêtes sur les crimes de guerre à Gaza

Par Charlotte Silver, le 5 avril 2017

Le nombre de personnes autorisées par Israël à utiliser le passage d’Erez avec Gaza a représenté, en moyenne mensuelle en 2016, deux pour cent de ce qu’il était en septembre 2000. (Anne Paq / ActiveStills)

D’après un nouveau rapport de Human Rights Watch, Israël refuse systématiquement aux défenseurs des droits de l’Homme l’entrée dans la Bande de Gaza occupée.

L’association dit que l’interdiction de circuler, qui s’est aggravée depuis bientôt dix ans, a grandement entravé le travail des associations internationales palestiniennes et israéliennes de droits de l’Homme qui collectent de la documentation sur les violations par l’armée israélienne et les groupes armés palestiniens.

Le gouvernement israélien a dit à Human Rights Watch que les restrictions de circulation leur sont imposées pour des raisons de sécurité. Il informe régulièrement les demandeurs d’autorisation de voyager que le gouvernement israélien ne peut accorder le passage que dans « des circonstances humanitaires exceptionnelles ».

Depuis qu’Israël a retiré son armée et ses colonies de Gaza en 2005, il a affirmé qu’il n’occupe plus ce territoire et qu’il n’est donc plus soumis à la législation sur l’occupation qui l’oblige à autoriser la circulation.

Mais cette position a été rejetée par les Nations Unies, le Comité international de la Croix Rouge, les Etats Unis et l’Union Européenne qui tous affirment que Gaza reste occupée parce qu’Israël exerce toujours un « contrôle effectif » sur le territoire en dépit du redéploiement de ses forces sur le pourtour.

Sur Twitter, Emmanuel Nahshon, porte-parole du ministère israélien des Affaires Etrangères, a réagi au rapport de Human Rights Watch en disant : « Etant donné le nombre de terroristes utilisés par les organisations internationales, c’est de bonne politique !! »

Enquêtes embarrassantes

En février, sur avis du ministère des Affaires Etrangères, le ministère israélien de l’Intérieur a refusé d’accorder au nouveau directeur pour la Palestine de Human Rights Watch, Omar Shakir, un permis de travail, disant que cette organisation fabrique de la « propagande palestinienne ».

Les bureaucrates de l’armée israélienne qui gèrent l’occupation, connus sous l’acronyme COGAT, ont nié toute interdiction générale imposée aux défenseurs des droits de l’Homme, prétendant qu’ils coordonnent le passage des associations de défense des droits, en citant comme exemple Médecins sans Frontières.

Mais Human Rights Watch dit que les restrictions de circulation jettent un doute supplémentaire sur la crédibilité des enquêtes internes d’Israël sur les crimes supposés, mécanisme dont Israël espère qu’il le protégera contre le fait d’avoir à rendre compte à l’international.

La Cour Criminelle Internationale doit déterminer si Israël mène des enquêtes crédibles qui satisfont les normes du tribunal avant d’ouvrir une enquête officielle pour de possibles crimes de guerre.

Les restrictions du gouvernement israélien contre les associations de droits de l’Homme soulèvent des questions sur sa capacité et sa volonté d’enquêter sur des crimes potentiellement graves.

Alors qu ‘il déclare qu’il mène des enquêtes approfondies, Israël dit qu’il s’appuie sur les informations que lui fournissent ces même associations de droits de l’Homme auxquelles il impose de sévères restrictions..

Le rapport déclare : « Ces restrictions entravent ce qui, de l’aveu même du gouvernement israélien, est une importante source d’informations et de preuves sur les violations potentielles [du droit humanitaire international], soulevant des doutes, non seulement sur la capacité des autorités israéliennes d’enquêter sur de potentielles violations des lois de la guerre, mais aussi sur leur volonté de le faire. »

Human Rights Watch, qui n’a eu qu’une seule fois l’autorisation d’entrer à Gaza depuis 2008, recommande que la Cour Criminelle Internationale ouvre immédiatement une enquête officielle sur la situation en Palestine.

La cour a ouvert son enquête préliminaire en 2015, et la mener à bien pourrait prendre des années.

L’aide humanitaire, pas les droits fondamentaux

Le refus de laisser les défenseurs des droits de l’Homme entrer et sortir de Gaza fait partie du large blocus infligé par Israël sur tous les mouvements liés à ce petit territoire qui héberge deux millions de Palestiniens.

Ces restrictions ont été renforcées par l’Egypte qui a gardé le passage de Rafah presque toujours fermé depuis juillet 2013 quand le président égyptien Mohammed Morsi a été renversé par un coup d’état militaire.

En 2012, Israël a déclaré que sa dite « politique de séparation » était mise en place pour empêcher le transfert d’un « réseau terroriste » de Gaza en Cisjordanie, où vivent des colons israéliens.

Pourtant, il y a de notables exceptions.

Israël autorise des centaines de marchands, certains malades et des employés d’organisations humanitaires à quitter Gaza.

Il accorde aussi le droit de circuler à des employés d’organisations humanitaires ou de l’ONU, mais jamais à ceux qui travaillent pour des associations de droits de l’Homme.

Israël a défendu cette politique devant la justice en expliquant que ces associations humanitaires aident Israël à remplir son engagement « de ne pas porter atteinte au minimum humanitaire dont les résidents de la Bande ont besoin – y compris en accordant des autorisations de voyager dans des circonstances humanitaires pertinentes ».

Sabotage du travail

Les associations palestiniennes de droits de l’Homme disent que l’interdiction de voyager les isole et affaiblit leur travail.

Jaber Wishah, directeur adjoint du Centre palestinien pour les droits de l’Homme (PCHR), dit que ces limitations peuvent coûter cher, à la fois financièrement et pour permettre la mise en évidence de leur travail à l’international.

Le Personnel du PCHR et du Centre Al Mezan pour les droits de l’Homme se voient systématiquement interdits de quitter Gaza pour profiter de formations, d’ateliers de travail et de conférences avec des collègues actuellement en Israël et en Cisjordanie occupée.

Amnesty International n’a pas été autorisée à entrer à Gaza depuis juin 2012. Human Rights Watch a eu cette autorisation, pour la première fois de puis 2008, en septembre 2016, exceptionnellement et pour une seule fois pour défendre les Israéliens détenus par des groupes palestiniens de Gaza.

Même si ces associations ont embauché des enquêteurs locaux à Gaza pour rechercher des preuves, ils n’ont pas pu embaucher un expert indépendant en armements pour pleinement évaluer les preuves après l’attaque israélienne de 2014 sur Gaza.

Israël a commencé à limiter la circulation des Palestiniens de Gaza au milieu des années 1990, mais ont mis en place des restrictions dramatiques en 2007 lorsque le  Hamas a pris le contrôle de Gaza après que ce parti ait gagné les élections palestiniennes de 2006.

En 2016, le nombre moyen de passages de Gaza en Israël ou en Cisjordanie occupée était d’environ 12.000 par mois. Comparé au demi-million de passages en septembre 2000, à la veille de la deuxième intifada, soulèvement palestinien contre l’occupation militaire israélienne – c’est une chute d’environ 98 pour cent.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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