Détruire la vie des Palestiniens ne doit rien coûter à Israël

Maureen Clare Murphy  – 13 mars 2017

Atta Sabah avait peu d’espoir en la justice après qu’un soldat israélien lui ait tiré dessus pendant qu’il essayait de récupérer son cartable dans un champ derrière son école.

« Je ne m’attendais pas à ce qu’il arrive quoi que ce soit (au soldat qui a tiré sur moi), a dit Atta, aussitôt après les faits, en mai 2013, dans le camp de réfugiés de Jalazone, près de Ramallah, en Cisjordanie occupée.

L’école d’Atta, tenue par l’UNRWA, agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens, n’est qu’à 200 mètres de la colonie de Beit El. Les soldats qui gardent la colonie harcellent constamment les enfants du camp, même quand ils sont dans leur école.
Soit dit en passant, c’est un gros financier de Beit El qui devrait être confirmé comme ambassadeur des États-Unis en Israël.

Toutes les colonies de peuplement israéliennes en terre occupée sont illégales en vertu du droit international. Le transfert d’une population civile de la puissance occupante vers le territoire qu’elle occupe est une violation de la Quatrième Convention de Genève et donc, un crime de guerre.

Les coûts
La balle du soldat qui a touché Atta l’a paralysé des pieds jusqu’à la taille. Atta a été soigné pendant des mois dans des hôpitaux israéliens et il a dû lutter pour s’adapter à sa nouvelle situation quand il est rentré à la maison.
Son père l’a inscrit dans une école accessible aux personnes handicapées. Se trouvant à quelques miles du camp de Jalazone, le coût quotidien pour sa famille est de 35 dollars (plus de 32 €), soit le prix du taxi qu’Atta doit prendre chaque jour pour aller et revenir de l’école.

Il reçoit des soins médicaux financés par l’Autorité palestinienne, et ses parents ont échangé leur appartement contre celui d’un oncle d’Atta, de sorte que leur espace de vie puisse être équipé d’un ascenseur, permettant à Atta une plus grande mobilité. Faire installer cet ascenseur a coûté environ 10 500 dollars (9716 €), dont le tiers seulement a été couvert par une aide humanitaire.

Le père d’Atta paie de sa poche les médicaments, et ceux-ci s’élèvent chaque mois à plus de 250 dollars (231 €). Atta devra prendre ces médicaments tout le reste de sa vie.
Les parents d’Atta n’ont pu travailler pendant quatre mois, du fait de la blessure de leur fils.

« Je veux savoir, qui paie pour cela ? » demande Muhammad Sabah, le père d’Atta et de huit autres enfants, dans une récente vidéo produite par B’Tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme.
Mumhammad, ouvrier, dit percevoir un traitement mensuel de moins de 370 dollars (342 €) de l’Autorité palestinienne, qui ne suffit pas pour couvrir tous les frais causés par la blessure d’Atta.

Un État Immunisé contre les indemnisations
La famille de Sabah est loin d’être la seule à se battre pour faire face aux coûts des dommages causés par les forces israéliennes.

Des amendements à la loi israélienne et une exemption étendue par les tribunaux d’avoir à payer des indemnisations, s’ajoutant à des règles plus strictes concernant les preuves qui transfèrent le fardeau de la preuve de l’État sur le plaignant, tout cela fait que les Palestiniens ne peuvent pas obtenir d’indemnisations.

« L’obligation d’accorder une indemnisation est prévue par le droit international et découle directement du droit de toute personne à la vie, à la sécurité et à la propriété » déclare B’Tselem dans un nouveau rapport sur le refus d’Israël d’indemniser les Palestiniens qui ont subi un préjudice du fait de ses forces armées.

« Verser une indemnisation aux personnes qui ont subi des dommages sur leur propre personne ou sur leurs biens n’est pas un acte de charité – c’est une obligation de l’État relevant du droit international », affirme B’Tselem.

La loi israélienne « dispense l’État de verser une indemnisation pour des actes commis durant ‘une activité de guerre’ », et pendant des années, cette interprétation de cette exemption a dominé dans les tribunaux pour statuer sur les cas individuels.
Une série d’amendements à la législation entre 2002 et 2012 a abouti à une définition étendue de « l’activité de guerre », laquelle, selon B’Tselem, « englobe en réalité toute action des forces de sécurité israéliennes dans les territoires occupés ».

Une autre modification à la loi a exonéré l’Etat de sa responsabilité envers les nationaux ennemis et « pour les dommages causés dans une zone de conflit, suite à un acte de ses forces de sécurité ».

Ceci a permis au ministre de la Défense israélien de « déclarer la plus grande partie de la Cisjordanie comme zone de conflit durant la plus grande partie de la Deuxième Intifada », le soulèvement palestinien commencé en septembre 2000, selon B’Tselem.
De même, toute la bande de Gaza a été déclarée « territoire ennemi » en septembre 2005, après le retrait unilatéral par Israël de ses colonies et le redéploiement de ses forces d’occupation vers le périmètre du territoire.

Pendant ce temps, les restrictions procédurales ont elles aussi, protégé l’État contre les versements d’indemnités aux Palestiniens.

Cela comprend la réduction du délai pendant lequel une réclamation peut être déposée, et l’augmentation des frais de dépôt et des garanties que doivent déposer les plaignants, et qui peuvent s’élever à des dizaines de milliers de dollars.

Un transfert du fardeau de la preuve
Israël affirme en outre éprouver des difficultés à réunir des éléments de preuve pour se défendre contre les allégations des Palestiniens, notamment pour examiner lieux où les incidents se sont produits, vérifier les documents médicaux, et retrouver et convoquer les témoins au tribunal.

Un amendement à sa loi « interdit le transfert du fardeau de la preuve à l’État », affirme B’Tselem. « Avec comme conséquences que les plaignants sont tenus de prouver des choses qu’ils n’ont aucun moyen de connaître, tels que les ordres que les soldats ont reçus, ou quelles sont les armes qu’ils utilisaient ».

L’État israélien fait valoir qu’il ne peut pas traiter correctement les réclamations à son encontre dans les dossiers d’indemnisations, mais il se donne beaucoup de mal pour faire croire que son armée possède un mécanisme d’investigation interne robuste.
« Quand il lui semble dans son meilleur intérêt d’agir ainsi, l’État se vante du professionnalisme de son application de la loi militaire pour enquêter avec efficacité sur les cas de dommages à des Palestiniens causés par ses forces de sécurité ; mais quand il lui semble avantageux d’argumenter autrement, il dit alors qu’il ne peut accomplir la même tâche » déclare B’Tselem.

Bien que les procès en indemnisation puissent mettre des années avant d’aboutir, B’Tselem dit qu’avec les changements apportés à la législation et à la jurisprudence, il y a eu bien moins de demandes de déposées devant les tribunaux.
De 2002 à 2006, il y a eu une moyenne annuelle de 300 nouveaux procès. De 2012 à 2016, la moyenne annuelle a été de 18 réclamations – « à peine 6 % de la moyenne de la décennie antérieure », selon B’Tselem.
Et dans le même temps, Israël verse des indemnités nettement moins importantes quand il indemnise les Palestiniens.

De 1997 à 2001, l’État a payé une moyenne annuelle d’environ 5,7 millions de dollars (5,2 millions €) en dédommagements, alors que de 2012 à 2016, la moyenne annuelle tournait autour d’un million de dollars – « un recul de plus de 80 % par rapport aux sommes versées une décennie plus tôt ».

L’occupation militaire israélienne, qui entre maintenant dans sa sixième décennie, n’est pas moins nuisible pour les Palestiniens qu’il y a dix ans. L’année dernière a été la plus meurtrière dans plus d’une décennie pour les enfants palestiniens de Cisjordanie.
Et plus d’un pour mille des 1,8 millions d’habitants de Gaza ont été tués, durant les 51 jours de l’attaque d’Israël en 2014.
Dans le camp de réfugiés de Jalazone, Atta a dit récemment à B’Tselem « qu’il assume sa nouvelle réalité ».

Ses bilans se sont améliorés et il dit : « j’ai réussi à surmonter ma frustration et la dépression, grâce au soutien de mes parents et de mes amis ».

Il a rejoint une équipe de basket-ball et s’est impliqué dans une action pour faire avancer les droits des personnes handicapées.

Quant à son rêve de devenir vétérinaire : « il a été brisé par le sniper israélien qui m’a paralysé ».

Aujourd’hui, il « pense à étudier pour devenir avocat, alors il pourra défendre les Palestiniens contre l’exploitation et la violation de leurs droits par les Israéliens ».

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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