Comment tenir Israël pour responsable du crime d’apartheid

Par Alaa Tartir, le 17 mars 2017

Photo: Alaa Tartir

 

Un nouveau rapport de l’ONU conclut qu’Israël est coupable de politiques qui relèvent de l’apartheid et, par conséquent, de crimes contre l’humanité. Il est désormais temps d’agir

Alors que l’administration américaine s’engage dans la conception et la mise en œuvre de sa « solution régionale » au conflit israélo-arabe et que la communauté internationale « célèbre et se remémore » les anniversaires de la Déclaration Balfour de 1917, de la Nakba de 1948 et de l’occupation israélienne des territoires palestiniens restants survenue en 1967, ces acteurs devraient remettre en question la nature de la « réalité à un seul État » qui existe en Palestine-Israël.

Toute solution ou analyse doit partir de la réalité à un seul État – à ne pas confondre avec la solution à un seul État –, de sa nature et ses politiques, de ses structures et de son régime relevant de l’apartheid, et de son projet colonial en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.

Il s’agit d’une délibération cruciale, dans la mesure où les échecs du cadre vieux d’un quart de siècle des accords d’Oslo révèlent où résident les problèmes et dévoilent les limites et les déficiences structurelles d’une approche qui écarte les causes profondes du « conflit » et soutient la normalité de la domination, de la colonisation et de l’apartheid.

Par conséquent, ni les anciens outils, ni les cadres actuels ne peuvent servir de catalyseur pour un changement futur positif. Outrepasser les cycles d’échec et d’impasse exige un engagement sérieux à créer un nouveau cadre opérationnel et conceptuel du « conflit » qui érige la responsabilisation, la justice et l’égalité en principes fondamentaux, plutôt que la stabilité, une sécurité biaisée et une paix insaisissable.

L’ONU et ses différents organes, en tant qu’institutions de gouvernance mondiale, sont particulièrement responsables du respect de ces principes, en dépit de leur incapacité flagrante à mettre en œuvre – de manière efficace et juste – leurs propres résolutions lorsqu’il est question de la Palestine et d’Israël.

Ils demeurent pourtant des acteurs clés des systèmes et des structures de gouvernance mondiale et leur importance, notamment lorsque ceux-ci sont réformés et réinventés, est particulièrement pertinente dans le nouvel ordre mondial qui se développe actuellement dans l’« ère Trump » et vis-à-vis de ses conséquences pour la question israélo-palestinienne.

Au-delà de tout doute raisonnable

Dans ce contexte, la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (CESAO) vient de publier un rapport d’une grande importance sur l’apartheid israélien qui vise à « promouvoir le respect du droit international relatif aux droits de l’homme, à maintenir et à renforcer le droit pénal international et à veiller à ce que les responsabilités collectives de l’Organisation des Nations unies et de ses États membres en matière de crimes contre l’humanité soient remplies ».

Le rapport, intitulé « Les pratiques israéliennes envers le peuple palestinien et la question de l’apartheid » (« Israeli Practices towards the Palestinian People and the Question of Apartheid »), rédigé par Richard Falk et Virginia Tilley, deux professeurs et chercheurs engagés et influents, offre à la communauté internationale et aux États membres de l’ONU une conclusion très concise et claire : « Israël est un régime d’apartheid qui domine le peuple palestinien dans son ensemble. »

Le rapport conclut également que les éléments de preuve disponibles permettent d’établir au-delà de tout doute raisonnable qu’Israël est « coupable de politiques et de pratiques qui relèvent du crime d’apartheid tel que défini juridiquement dans les instruments du droit international ». Cela équivaut à « un crime contre l’humanité ».

Le crime d’apartheid, ancré dans le même ensemble de lois et de principes internationaux relatifs aux droits de l’homme que ceux qui rejettent l’antisémitisme et les autres idéologies racialement discriminatoires, désigne les « actes inhumains […] commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ».

Une fragmentation stratégique

La domination raciale est le mieux illustrée dans la doctrine de l’État juif telle que reflétée par la loi et la conception des institutions d’Israël.

La politique foncière montre par exemple comment la loi israélienne rend illégale l’opposition à la domination raciale. L’ingénierie démographique et l’identification des personnes opprimées en tant que membres de « groupes raciaux » particuliers constituent d’autres illustrations des objectifs fondamentaux de garantie de la judaïté de l’État, selon le rapport.

Le rapport montre que la principale méthode employée par Israël pour imposer son régime d’apartheid passe par la fragmentation stratégique du peuple palestinien. Cette fragmentation stratégique vise à stabiliser le régime israélien de domination raciale sur les Palestiniens et entrave leur capacité à résister aux politiques de l’apartheid israélien.

La population palestinienne fragmentée réside dans quatre lieux et domaines différents et quatre ensembles de lois différents leur sont appliqués : le droit civil assorti de restrictions qui régit les Palestiniens qui sont des citoyens d’Israël, le droit en matière de résidence permanente qui régit les Palestiniens de Jérusalem, le droit militaire qui régit les Palestiniens de la Cisjordanie occupée et de Gaza et, enfin, le refus du droit au retour pour les Palestiniens en exil.

Par conséquent, les Palestiniens à l’intérieur d’Israël peuvent acquérir la « citoyenneté » mais pas la « nationalité », cette dernière étant exclusivement réservée aux juifs. Les Palestiniens de Jérusalem-Est, en tant que résidents permanents, n’ont pas de statut juridique pour contester la loi israélienne. Les politiques par le biais desquelles Israël occupe et gouverne la Cisjordanie et Gaza répondent pleinement à la définition de l’apartheid dans le cadre de la Convention contre l’apartheid. Le langage raciste direct qu’Israël utilise pour décrire le droit au retour des réfugiés palestiniens, qu’il voit comme une « menace démographique », est un autre outil permettant le maintien du régime d’apartheid.

Le rapport démystifie également les nombreux contre-arguments avancés par Israël et les partisans de ses politiques qui nient l’applicabilité de la Convention contre l’apartheid à la question israélo-palestinienne. Aucun de ces contre-arguments ne résiste à l’examen, comme l’illustre de manière éloquente le rapport de la CESAO.

Un devoir collectif

Par conséquent, et conformément aux conclusions et aux recommandations du rapport, les États ont un devoir collectif : ne pas reconnaître un régime d’apartheid comme étant respectueux de la loi, ne pas aider ou assister un État dans le maintien d’un régime d’apartheid et coopérer avec les Nations unies et les autres États pour mettre fin aux régimes d’apartheid.

Cependant, pour ce faire, seule une décision rendue par un tribunal international conférerait à l’évaluation du crime d’apartheid une véritable autorité. Garantir la prise d’une telle décision par un tribunal international doit constituer un devoir ultime pour les Palestiniens, leurs partisans et les institutions de gouvernance mondiale, qui doivent dans le même temps maintenir leurs actes de résistance en vue de démanteler le régime colonial israélien et l’occupation militaire.

Les éléments clés d’un plan d’action visant à tenir Israël pour responsable du crime d’apartheid dont il se rend coupable sont clairement énoncés dans le rapport. L’ensemble des recommandations adressées à l’ONU, aux gouvernements nationaux et aux États membres, ainsi qu’à la société civile mondiale et aux acteurs du secteur privé, préconise une coopération internationale pour mettre fin au régime d’apartheid israélien.

Conformément aux appels de la société civile palestinienne, le rapport recommande que  « les gouvernements nationaux [soutiennent] les activités de boycott, désinvestissement et sanctions et [réagissent] positivement aux appels en faveur de telles initiatives » et que « des efforts [soient] déployés pour élargir le soutien aux initiatives de boycott, désinvestissement et sanctions des acteurs de la société civile ». Il est de la plus haute importance que les différents acteurs se préoccupent de l’accomplissement de leurs obligations légales en vertu du droit international.

Ces recommandations nécessitent un ensemble de mécanismes opérationnels et de responsabilisation pour tenir Israël et les autres acteurs pour responsables et assurer une mise en œuvre efficace du plan d’action visant à mettre fin à l’apartheid israélien. Le chemin à parcourir avant que l’apartheid israélien n’appartienne qu’à l’histoire reste long, mais avec des institutions de gouvernance mondiale fonctionnelles, efficaces et responsables, le chemin sera plus court et la paix dans le monde sera plus proche.

 

– Alaa Tartir est directeur de programme à Al-Shabaka: The Palestinian Policy Network, chercheur postdoctoral au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP) et chargé de recherche invité au Centre on Conflict, Development and Peacebuilding (CCDP) de l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID), situé à Genève (Suisse).Vous pouvez le suivre sur Twitter : @alaatartir. Vous pouvez consulter sa publication sur le site www.alaatartir.com

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des moutons paissent du côté palestinien de la barrière de séparation israélienne entre la ville cisjordanienne de Bethléem et Jérusalem, le 17 janvier 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Source: Middleeasteye.net

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