Les étudiants en français à Gaza prennent les choses en main

Mousa Tawfiq – 8 mars 2017

Ahmad Kraira a lancé un club de  langue française qui se réunit chaque semaine. (Mohammed Asad)

Ahmad Kraira est un francophile autodéclaré.
Motivé par le football – c’est un fan de l’équipe nationale de France et de l’ancien international Zinedine Zidane , il a décidé d’étudier la littérature française à 18 ans. C’était un « choix risqué » dit-il.

« Je n’avais jamais étudié le français, mais je n’ai pu m’empêcher d’en apprendre plus sur la culture et le pays » dit Kraira, aujourd’hui âgé de 21 ans et dans sa dernière année à l’université Al-Azhar de Gaza.

Apprendre le français est inhabituel pour les Palestiniens de Gaza. Il n’y a que deux universités à proposer des cours : celle d’Al-Azhar, qui regroupe la littérature anglaise et française en une matière principale unique, et l’université Al-Aqsa, qui enseigne le français dans le cadre des cours de sa faculté d’éducation.

Seule, une partie des écoles secondaires gérées par le gouvernement propose le français en option, mais l’accent est mis particulièrement sur l’anglais, laissant des options limitées pour des gens comme Kraira.

Non seulement les options éducatives sont minces pour ceux qui veulent apprendre le français, mais les Palestiniens de Gaza souffrent aussi des restrictions habituelles, qui vont de l’incapacité à voyager pour bénéficier des bourses d’études, à un manque chronique de fonds et de ressources.

En outre, la politique s’est également manifestée pour rendre les choses plus compliquées.

Les professeurs de Kraira l’ont exhorté à aller quérir de l’aide à l’Institut français. L’Institut français – l’institution culturelle officielle de l’échange et de la langue, associée aux ambassades françaises dans le monde – offre aux étudiants de Gaza qui veulent apprendre le français l’occasion d’élargir leurs options et leurs contacts avec des francophones, ainsi qu’une bibliothèque remplie de livres et de films français.

Mais le temps passé là s’est révélé étonnamment risqué.

En 2014, l’Institut a subi deux attaques, une en octobre et une en décembre. Jund Ansar Allah, un petit groupe djihadiste, les a revendiquées, citant la participation française dans les frappes aériennes sur le groupe de l’État islamique en Iraq et en Syrie. Les attaques n’ont causé que peu de dégâts, mais elles ont réussi à fermer l’Institut.

« La fermeture de l’Institut a particulièrement affecté nos étudiants » dit Ihab Abumallouh, directeur du département de français à l’université Al-Azhar.

Les étudiants ont été privés, explique-t-il, de l’une des rares ressources dont ils disposaient en dehors de leurs cours d’université.

Autonomie
Comme dans pratiquement tout ce qu’il se passe à Gaza, la nécessité s’est révélée un stimulant pour l’innovation. Dépouillés du moyen évident pour pratiquer et se perfectionner, les étudiants ont commencé par créer leur propre environnement pédagogique.

« Nous n’avions pas le choix, nous devions inventer nos propres méthodes » dit Kraira.

Un groupe de dix étudiants, tous d’Al-Azhar, a créé un groupe Facebook pour discuter de questions académiques et non académiques en français. Ils ont commencé par se réunir avant et après les conférences pour une conversation ou pour échanger des livres et des films.

Bientôt est venue l’idée d’un club de français, et les étudiants se sont rapprochés de Gaza Sky Geeks, un accélérateur de démarrage et groupe tech-hub à Gaza ville.

« Ils ont généreusement accepté de nous donner une salle de réunion une fois par semaine » dit Kraira. « Nous n’étions que dix étudiants. Nous avons essayé de nous concentrer sur les questions académiques liées à la langue et à l’université ».

Puis, en avril dernier, l’Institut français a rouvert ses portes. Les étudiants se sont réinscrits et les participants au club de français ont décidé que l’Institut serait un « meilleur cadre » pour leurs activités. Le club s’est donc déplacé à la bibliothèque de l’Institut et a commencé d’attirer de nouveaux étudiants.

Abdulrahman Abu Khussa, étudiant de troisième année à l’université Al-Azhar, a été l’un des premiers étudiants à rejoindre le club. Ce jeune de 20 ans parle déjà le russe et l’arabe, et il possède un bon anglais. Guide touristique en herbe, le choix pour lui s’est trouvé entre l’allemand et le français.

« J’ai choisi le français parce que la France est pleine d’attractions touristiques. Et puis j’aime les chansons de Charles Aznavour ».

Abu Khussa a expérimenté le club – club qui compte maintenant plus de 25 membres – comme un lieu de parlotte éclectique.

« Nous choisissons nos sujets, qui sont très variés maintenant, et nous distribuons les tâches sur Facebook » avant nos réunions de deux heures, qui se tiennent en français. « Il s’agit d’améliorer nos capacités à converser ».

L’emplacement de la bibliothèque de l’Institut français nous aide aussi d’autres manières. Quand le club se réunit, le lundi, c’est aussi l’occasion de parler avec des francophones, ceux qui travaillent pour des organisations internationales et le consulat.

Des discussions sur la vie quotidienne et les différences culturelles entre Gaza et la France s’ensuivent. Un échange fructueux se produit alors dans lequel les invités corrigent les erreurs et profitent d’une interaction culturelle, tandis que les étudiants bénéficient de « l’expérience de parler avec des Français », comme Inas Mekki, 21 ans, étudiante de troisième année à l’université Al-Aqsa.

Le succès est durement gagné
Même si beaucoup d’étudiants ont pris leur sort en main, il reste encore certaines difficultés hors de leur contrôle.

Chaque année, selon un responsable de l’Institut français, entre trois et sept bourses sont proposées à des étudiants de Gaza pour aller étudier en France. Avec les restrictions existantes sur les voyages, cependant, il est difficile d’en profiter, même avec une bourse en main.

Mahmoud al-Banna en est un exemple. Ce jeune de 24 ans a travaillé dur pour obtenir une bourse afin de poursuivre ses études de théâtre en France.

« J’ai été très actif sur les médias sociaux, surtout pendant les agressions israéliennes contre Gaza. Le fait de poster et de twitter en français m’a permis de créer des amitiés avec des francophones. Ces relations m’ont aidé en retour à améliorer ma langue, et à améliorer ma compréhension de la société française ».

Mais son rêve de venir étudier en France a failli s’aigrir. Le passage frontalier de Rafah, contrôlé par l’Égypte, est ouvert seulement de façon intermittente, pendant qu’il est très difficile d’obtenir une autorisation pour voyager en passant par le check-point d’Erez, contrôlé par les Israéliens.

Comme Rula Mattar – qui attendait une bourse d’études supérieures en gestion des affaires internationales à l’université Paris-Est de Créteil, UPEC – al-Banna a vu passer la date du semestre, qui commence en septembre, sans pouvoir quitter Gaza.

Mattar, 24 ans, a décrit cette période comme une période où sa vie « s’est complètement arrêtée… J’ai dû refuser du travail alors que j’avais une bourse. En même temps, je ne savais pas quand ni comment je pourrai quitter Gaza » a-t-elle dit à The Electronic Intifada.

Finalement, l’occasion de quitter Gaza s’est matérialisée pour Mattar, et pour al-Banna.

Si al-Banna s’est retrouvé avec près de deux mois de retard pour ses études, il est bien déterminé à rattraper le temps perdu à l’université de Franche-Comté, à Besançon.

Al-Banna a saisi l’occasion après coup. « Avec mes amis et mes collègues français, j’ai recueilli des récits auprès de personnes que je connaissais à Gaza (durant la guerre de 2014). Et de ces récits, nous allons faire des scènes de théâtre » a-t-il dit.

Mousa Tawfiq est journaliste, basé à Gaza.

Traduction : JPP pour l’Agence Media Palestine.
Source: Electronic Intifada

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