Une amitié à Gaza

Moussa Tawfiq et Mohamed Asad- 16 Janvier 2017


Adli (à droite) et Mansour (à gauche) en haut de la colline de al-Muntar, le point culminant de la bande de Gaza, près de laquelle Mansour a été blessé par une frappe israélienne.

Quand Adli Beid est allé récupérer sa voiture réparée dans un garage de Shoujaiya, une localité proche de la ville de Gaza, en février 2010, il n’avait pas idée qu’il se ferait un nouvel ami dont la vie serait profondément mêlée à la sienne.

« J’ai entendu parler d’un électricien automobile qualifié dans le quartier. Je suis allé chez lui pour faire réparer ma voiture et j’ai rencontré Mansour pour la première fois » a dit Adli.

Mansour al-Qirim, l’électricien, « était un jeune homme très énergique, poli, au large sourire. Nous nous sommes rapprochés l’un de l’autre jusqu’à devenir bons amis ».

Ils en vinrent à compter l’un sur l’autre, après qu’ils furent gravement  blessés dans deux attaques israéliennes distinctes l’année suivante.

Mansour et Adli vont ensemble acheter des chaussures, Adli porte le pied droit tandis que Mansour essaie le pied gauche.

« Nous n’avions pas d’autre choix que de penser qu’ensemble nous pourrions faire face à notre nouveau sort » dit Adli qui a maintenant 25 ans.

Adli a été le premier des deux à être blessé.

« Je marchais près d’un groupe d’enfants qui jouaient au foot dans la rue al-Mansoura en mars 2011. Soudain ils ont été visés par une frappe aérienne israélienne » dit Adli. « J’ai essayé de les aider mais un autre missile a frappé le secteur, causant de graves blessures ».

Adli a été blessé lors d’une semaine de frappes aériennes et de bombardements intensifs de la part des Israéliens, en même temps que des tirs de roquettes depuis Gaza augmentaient. Quatorze Palestiniens, dont six civils, ont été tués et 52 autres – civils en majorité, dont 19 enfants, ont été blessés.

Adli a perdu conscience pendant le transport à l’hôpital et les médecins urgentistes  pensaient qu’il était mort. Il a été emmené à la morgue et laissé là jusqu’à ce que son père vienne reconnaître son fils.

Le père d’Adli perçut la respiration d’Adli.

« Je ressentais tout mais ne pouvais rien faire jusqu’à ce que j’entende les cris de mon père » se souvient Adli.


“Malgré notre infirmité nous faisons tout pour aller au gymnase pour nous maintenir en forme » dit Adli.

Après trois jours à l’unité de soins intensifs de l’hôpital al-Shifa de Gaza, Adli reprit conscience pour découvrir qu’il avait perdu la jambe gauche.

« Au début j’ai été choqué, mais avec le temps j’ai accepté la réalité et me suis tourné vers l’avenir » dit-il.
Adli est finalement allé en Égypte pour une opération qui a amélioré son état. À son retour à Gaza, son ami Mansour l’attendait.

Mansour a régulièrement rendu visite à Adli et l’a encouragé  à avoir foi et patience. « Il était très pénible de voir mon ami dans cette situation » dit Mansour. « Je ne savais pas que j’allais bientôt connaître le même sort ».
Mansour eut besoin des mêmes conseils que ceux qu’il avait donnés à son ami.

« En 2011, je m’orientais fermement vers la vie dont j’avais rêvé. J’avais mon propre atelier après avoir maîtrisé la technique d’électricien automobile », dit Mansour, qui a maintenant 23 ans. « J’étais un jeune homme de 18 ans ambitieux et qui réussissait ».

Tout a basculé en août cette année-là.

« Je passais devant la maison de voisins, près de la colline de al-Muntar, lorsqu’ils ont été directement touchés » par une frappe aérienne israélienne, se souvient Mansour. « Je suis resté dans le coma pendant  10 jours et quand j’en suis sorti, j’ai réalisé ce qui était arrivé à ma jambe, en plus d’avoir perdu deux doigts ».

Mansour a été blessé lorsque Israël a mené approximativement 30 frappes aériennes du 19 au 21 août, tuant sept Palestiniens et en blessant trente. Les tirs  palestiniens depuis Gaza ont tué un civil israélien et blessé six. Un enfant palestinien a aussi été tué et six autres blessés lorsqu’une roquette tirée depuis Gaza a raté sa cible.

Après des mois de traitement, Mansour est sorti de l’hôpital.

« J’ai suivi une physiothérapie qui m’a aidé à retrouver la flexibilité musculaire, en particulier après le coma », a-t-il expliqué. « De plus, j’ai subi quelques interventions chirurgicales sur la jambe et sur la tête où j’avais reçu un éclat d’obus ».


Adli, sur la gauche, conduit la moto tandis que Mansour, sur la droite, maintient l’équilibre.

Les deux amis ont décidé de rester ensemble, face à leur nouvelle réalité.

« Nous savions que tout serait plus facile tant que nous serions ensemble » dit Mansour. « Je fais pratiquement tout avec Adli ».

Adli dit : « par chance nous avons la même pointure et les mêmes goûts pour les chaussures. Lorsque nous achetons une paire de chaussures, je prends le pied droit et Mansour le gauche. Et nous partageons le coût ».

« En plus, nous conduisons une moto ensemble pour aller au marché, au gymnase ou même sur la corniche ».
Leur fardeau leur pèse toujours, mais leur amitié le rend plus supportable.

« Cela nous a pris quelques mois de croire que nous pouvions vivre de nouveau une vie normale » a expliqué Adli. « J’ai tenté de reprendre mon ancien travail de vendeur de vêtement, mais je ne pouvais pas rester debout dans le magasin pendant de longues heures. J’ai cherché un autre emploi ».

En Cisjordanie occupée, l’Autorité Palestinienne donne une pension mensuelle aux Palestiniens gravement blessés par Israël. Mais, selon Adli, « elle est insuffisante, notamment parce que j’ai charge de famille ».


Adli, au centre, avec son épouse, Jumana,  lors d’une cérémonie de mariage groupé dans la ville de  Gaza, organisée pour les Palestiniens blessés par Israël.

Pour Mansour, qui ne peut plus travailler comme électricien automobile, fournir des opportunités d’emploi pour les handicapés est un devoir national et humanitaire.

« Personne ne va nous embaucher, même si l’emploi est dans nos capacités. Nous ne vaincrons pas nos invalidités. En fait tout ce que nous voulons c’est avoir une participation positive à la société ».

Les amis n’ont pu acquérir des jambes artificielles. Il y a une forte demande de prothèses à Gaza et la liste d’attente pour les essayages est longue à cause des attaques répétées d’Israël sur le territoire.

« Nous attendons une occasion d’aller en Égypte pour être équipés en jambes artificielles, malgré leur prix élevé », dit Mansour.

“Nous ne pensions pas que nous allions nous marier et me voici en train de féliciter mon ami pour son mariage » dit.

Mais il y a des joies nouvelles que les amis peuvent partager, en même temps que de nouveaux défis.

Sur insistance de ses parents Mansour s’est marié en août et leur premier enfant, à lui et à se femme, est arrivé.

« Ma superbe fille, Zeina, est ce qui m’est arrivé de plus étonnant. En me levant chaque matin, je vois son sourire et je prie qu’elle ait de meilleurs lendemains » dit-il.

Adli, qui s’est aussi marié récemment et dont la femme attend son premier enfant, se tourne vers l’avenir, sans oublier le passé.

« Il y a cinq ans, j’étais donné pour mort à la morgue. Aujourd’hui j’ai une famille et des rêves à réaliser. Je ne pourrais jamais être ici si Mansour n’était pas à mes côtés ».

Texte de Mousa Tawfiq, journaliste basé à Gaza et photos de Mohammed Asad, photojournaliste basé à Gaza.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Electronic Intifada

Retour haut de page