En Cisjordanie, Israël « remplace un vol de terre par un autre »

Par Charlotte Silver – 19 décembre 2016

Maryam Hamad, du village de Silwan en Cisjordanie avec, en arrière-plan, la colonie israélienne d’Ofra. Elle est l’un des propriétaires de la terre sur laquelle l’avant-poste Amona s’est monté. Selon la décision de la Haute Cour israélienne, les colons doivent l’évacuer ce mois-ci. (Keren Manor/ActiveStills)

Le jour de Noël est la date limite fixée par la Cour pour l’évacuation des 330 colons environ de l’avant-poste d’Amona. Cette colonie a été construite sur des terres agricoles de familles palestiniennes qui vivent toujours à proximité, au nord de Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Maryam Hamad, 80 ans, qui vit dans le village palestinien voisin de Silwan, possède six acres de terre (2,4 ha) à cet endroit, où autrefois elle cultivait du blé.
Cela fait 20 ans qu’elle ne peut plus se rendre sur sa terre, depuis qu’Amona s’y est monté dans le milieu des années 1990. Elle compte y retourner quand les colons seront partis.
Si l’évacuation est exécutée, les Palestiniens risquent de subir la vengeance des colons.
Après avoir d’abord refusé d’évacuer pacifiquement, les colons d’Amona ont cédé après que le Premier ministre Netanyahu eut posté une vidéo sur Facebook où il leur promettait de prendre des mesures énergiques contre ce qu’il appelle une construction illégale dans les quartiers palestiniens dans l’actuel Israël.
Le gouvernement prépare un budget de 36 millions de dollars pour l’évacuation de l’avant-poste et pour indemniser, généreusement, les colons de leur déménagement.
Le groupe anti-colonisation la Paix Maintenant rapporte que chaque famille d’Amona va toucher environ 260 000 dollars (près de 250 000 €).
Pour le groupe, cette indemnisation envoie un message clair : que « le crime et les menaces paient ».

« Prêt à piétiner des droits fondamentaux »
Hamad a dit à Haaretz : « Ce que je ressens pour la terre, c’est quelque chose que, seuls, des agriculteurs peuvent comprendre. Je rêve du jour où je pourrai y retourner. Je n’échangerai pas cette terre pour tout son pesant d’or ».
Mais Amona – un parmi la centaine d’avant-postes non autorisés – semble pouvoir constituer l’exception.
Le gouvernement israélien est actuellement en train de faire voter un projet de loi dit de Régulation, une loi qui légalisera rétroactivement tous les avant-postes israéliens sur des terres privées palestiniennes.
Mais les 41 familles d’Amona n’auront pas à aller loin : le gouvernement israélien propose de leur attribuer une nouvelle terre, toujours en Cisjordanie occupée, une terre qui appartient elle aussi à des familles palestiniennes.
« Le gouvernement israélien remplace un vol de terre par un autre », dit la Paix Maintenant. « Il est prêt à piétiner les droits fondamentaux des Palestiniens, à travestir la législation israélienne et à violer le droit international – tout cela pour satisfaire 41 familles qui se sont installées sciemment sur des terres privées palestiniennes ».
Le projet de loi de Régulation a été accueilli par des déclarations réprobatrices venant des Nations-Unies, de l’Union européenne et de responsables politiques israéliens de partis dits d’opposition.
Tous préviennent que le projet de loi sonne le glas de la solution à deux États. Mais ces déclarations apocalyptiques éclipsent un processus, celui lancé depuis des années par le gouvernement et qui vise à faire entrer les avant-postes dans le cadre de la légitimité israélienne.

« Légaliser » les avant-postes
Depuis le milieu des années 1990, après la signature des Accords d’Oslo, Israël n’a plus implanté, officiellement, de nouvelles colonies, mais il a commencé à financer et à soutenir les groupes de colons qui colonisaient des hauts de collines en Cisjordanie sous prétexte d’agrandir les colonies existantes.
En 1998, le ministre des Affaires étrangères d’alors, Ariel Sharon, a appelé les Israéliens « à se ruer et s’installer sur autant de hauts de collines (palestiniennes) que possible pour agrandir les colonies (juives), car tout ce que nous prendrons aujourd’hui restera nôtre… Tout ce que nous ne prendrons pas ira à eux ».
Bien que ces « avant-postes » soient présentés comme voyous, le gouvernement israélien était essentiel à leur survie. Le statut juridique des « avant-postes » et celui des « colonies » ne présentent aucune distinction à l’extérieur d’Israël : toutes les colonies d’Israël en Cisjordanie sont illégales au regard du droit international.
En 2005, le gouvernement a chargé Talia Sasson, l’ancien procureur général israélien, d’enquêter sur les avant-postes.
Sasson constatait alors qu’au moins 102 de ces avant-postes avaient été montés « en violation flagrante de la législation » et elle documentait comment des responsables du gouvernement, dans les ministères du Logement et d’autres, avaient aidé à les installer.
Le gouvernement israélien n’a pas fait que fournir un soutien matériel à ces avant-postes, il a également commencé à défendre leur légalité.
En août dernier, avant que la coalition gouvernementale d’Israël introduise le projet de loi de Régulation, le New York Times révélait que pour le tiers, ces avant-postes avaient déjà été légalisés rétroactivement, ou étaient sur le point de l’être.
« Le gouvernement de Netanyahu en 2011 avait déjà initié ce qu’il appelait une nouvelle ’politique combinée’ », rapporte le New York Times.
« L’idée était qu’Israël retirerait les structures des colonies construites sur des terres privées palestiniennes mais que, dans les zones qu’Israël avait déclarées terre d’État, il ‘réglementerait un statut d’urbanisme’ – soit, en d’autres termes, qu’il légaliserait les constructions après coup ».
Selon la Paix Maintenant, dans leur grande majorité les avant-postes se sont montés sur des terres palestiniennes privées.
Cette politique a été doucement annoncée à travers les réactions de l’État devant les recours déposés contre les colonies devant les tribunaux. En fait, les colons ont reconnu que ces procédures anti-colonisation avaient poussé le gouvernement à s’engager à soutenir les avant-postes.
Mais, à l’exception de quelques cas très médiatisés, le gouvernement a laissé la plupart des avant-postes sur les terres privées, et dans le cas d’Amona, il a défendu leur droit à y rester.

Saisie de la terre
Il y a deux ans, le gouvernement israélien a perdu son ultime bataille devant la Haute Cour pour maintenir les colons d’Amona sur la terre des Palestiniens. La Haute Cour a ordonné que les colonies ne pouvaient pas se trouver sur des terres privées palestiniennes, et elle a donné deux ans aux colons pour partir.
Dans des affaires antérieures, la Cour a statué que les colonies israéliennes pouvaient être construites sur une « terre d’État ». La distinction entre terre d’État et terre privée – comme la distinction entre avant-postes et colonies – est une invention de la législation israélienne pour permettre la colonisation de la Cisjordanie.
En conséquence, Israël a récemment reclassé de manière agressive des terres privées palestiniennes en Cisjordanie occupée comme « terres d’État ».
L’échec du gouvernement dans le cas d’Amona en 2014 avait peut-être déçu le gouvernement israélien, mais il n’a pas fait dérailler le processus qu’il avait initié plusieurs années auparavant : pour la légalisation rétroactive des avant-postes en Cisjordanie.
Sa défaite devant la Cour pourrait même avoir aidé au projet de loi de Régulation en mobilisant le parlement contre le pouvoir judiciaire. Le 14 novembre, lendemain du jour où la Haute Cour rejetait la requête du gouvernement pour remettre à plus tard l’évacuation d’Amona, les ministres approuvaient, à l’unanimité, le projet de loi.
La Paix Maintenant ne croit pas que le moment choisi était un hasard.
Bezalel Smotrich, membre de la Knesset, de l’extrême droite, qui a coparrainé le projet, a déclaré que « le terrorisme juridique des organisations de gauche contre la colonisation de la terre arrivait à son terme ».
Le projet de loi doit encore passer par trois lectures devant le parlement d’Israël, et le procureur général d’Israël a déclaré qu’il violait le droit international et que lui ne serait pas en mesure de le défendre devant la Haute Cour.
Le gouvernement a annoncé que les dernières lectures n’auraient lieu qu’après l’investiture du nouveau Président des États-Unis, Donald Trump, fin janvier.
Mais avec ou sans projet de loi, il n’y aura probablement aucun apaisement pour les Palestiniens forcés de quitter leur terre et terrorisés par les colons et par l’armée qui les protège.

https://electronicintifada.net/blogs/charlotte-silver/west-bank-israel-replacing-one-land-theft-another
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

 

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