Les athlètes palestiniens confrontés aux obstacles israéliens

Mousa Tawfiq – The Electronic Intifada – Gaza, le 10 novembre 2016

c2

Le stade al-Zeitoun de Gaza, bombardé par Israël l’été 2014, et photographié en octobre de la même année. Mohammed Asad.

Il est passé, dit Sami al-Daour, de la vie d’un rêve à la négociation d’un cauchemar.

« Ma vie a été bouleversée » dit ce joueur de football, 28 ans, alors qu’il se promène dans l’enceinte de son nouveau club à Gaza.

Al-Daour, aujourd’hui milieu de terrain avec al-Ahli, à Gaza ville, pratique le jeu qu’il aime. Mais sa carrière professionnelle naissante a couru la tête la première dans le régime des restrictions imposées par Israël aux mouvements des Palestiniens, et ses progrès dans le jeu s’en sont trouvés bloqués.

« En août 2014, je m’étais rendu en Cisjordanie et je jouais pour Shabab al-Khalil à Hébron. Mais les autorités israéliennes ne m’avaient pas donné le permis complet pour me déplacer librement entre les villes et les villages de la Cisjordanie. »

Al-Daour est venu à Hébron avec un permis médical de courte durée, mais après quelques mois, il change d’équipe et signe pour venir jouer pour al-Samoor. Ce club lui obtient un permis complet et il y joue pendant 18 mois, dit-il.

« Signer pour al-Samoor a été un tournant. J’ai obtenu un permis, un bon salaire et j’avais devant moi un avenir prometteur. »

Puis, en mars, les soldats israéliens font irruption à son domicile, dans le centre d’Hébron. Il est arrêté et conduit à la prison d’Ashkelon, dans le sud de ce qui est actuellement Israël. Deux autres joueurs de football palestinien sont également arrêtés au cours du même mois.

« Ma famille m’avait envoyé mon ordinateur portable de Gaza, donc je pouvais jouer à des jeux vidéo pendant mon temps libre » se rappelle Daour. « Puis un jour, 50 soldats ont investi ma maison. J’étais en train de jouer un match de football sur l’ordinateur à ce moment-là. Ils ont pris mon ordinateur, et ils m’ont arrêté. »

Al-Daour subit trois jours d’interrogatoires et passa sept jours à la prison d’Ashkelon, dit-il, avant d’être renvoyé à Gaza.

« Les Israéliens m’accusaient d’avoir des informations sur mon ordinateur qui menaçaient la sécurité de l’État d’Israël. Bien qu’ils n’y aient rien trouvé, j’ai été expulsé vers Gaza, et j’ai tenté depuis de revenir (à Hébron). »

Bloqué à Gaza

Israël a depuis rendu l’ordinateur au côté palestinien, mais al-Daour n’en a toujours pas repris possession. Le jeune homme, qui a maintenant signé avec le club al-Ahli, dit que le déplacement s’avère être une mesure de retrait pour lui, sur le plan du jeu qu’il aime.

« C’est incomparable. Il existe une vraie ligue professionnelle en Cisjordanie. Les matchs sont diffusés à la télévision et les joueurs travaillent dur pour monter en équipe nationale. En plus de meilleures conditions de vie – électricité, eau potable et liberté de mouvements -, j’étais payé plus de 2000 dollars par mois. À Gaza, j’en reçois à peine 400. »

« J’ai un diplôme en comptabilité, et je n’ai jamais été dans un mouvement politique ou militaire. J’ai choisi de suivre mon talent et ma passion. En tant que footballeur, je vais prendre ma retraite dans quelques années – si je n’ai pas de blessures graves qui mettent fin auparavant à ma vie professionnelle. Avec ce salaire, mon avenir est en réel danger. » dit-il.

« Mon dossier a été envoyé à la FIFA (la Fédération internationale de football) et j’attends une réponse. Avec l’aide de la Fédération de Palestine de football, j’espère retourner à mon club de Cisjordanie ».

Selon Muhammad al-Amasi, secrétaire général adjoint de la Fédération de Palestine de football et du Comité olympique de Palestine, le sport a été « dramatiquement affecté » par une occupation militaire par Israël de plusieurs décennies. Al-Amasi dit bien connaître le cas d’al-Daour, mais qu’il n’est pas unique.

Avec les guerres successives sur Gaza et la division politique entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, dit-il, les athlètes sont incapables de se mesurer en compétition et les ligues nationales communes se révèlent impossibles.

« Notre plus gros problème est la difficulté de sortir de la bande de Gaza pour aller en Cisjordanie, ou dans d’autres pays. »

Selon al-Amasi, les athlètes de Gaza sont régulièrement invités à des évènements locaux, régionaux et internationaux, mais Israël leur refuse systématiquement le permis de voyager.

« La Palestine est le seul pays à avoir deux ligues et deux équipes nationales à cause de la difficulté de se déplacer. Par exemple, quand une équipe de 11 joueurs veut quitter Gaza pour un match ou un camp d’entraînement à l’extérieur, seuls trois ou quatre joueurs obtiennent l’autorisation, et le voyage tout entier est annulé ».

Des vies et une infrastructure dévastées

Les officiels souffrent des mêmes problèmes. Début août, trois représentants olympiques palestiniens de Gaza, dont le directeur de l’équipe, Issam Qishta, furent empêchés de quitter la bande côtière et de rejoindre l’équipe palestinienne aux Jeux Olympiques de Rio.

« Chaque année, la Confédération asiatique de football et la FIFA envoient des équipements aux clubs sportifs de Gaza » dit al-Amasi. « En plus, des spécialistes et des conférenciers viennent à Gaza pour former nos athlètes. Mais même si les experts peuvent entrer, l’équipement est généralement retenu dans des ports israéliens, de sorte qu’il nous faut payer des taxes supplémentaires pour le faire venir. »

Al-Amasi affirme que les répercussions psychologiques de ces restrictions israéliennes sont énormes.

« Les athlètes se préparent et s’entraînent pendant des mois, et quand ils sont refusés, pour des raisons illogiques, juste avant le tournoi pour lequel ils se sont préparés, alors ils sont extrêmement déçus et au désespoir. Nous essayons de changer la situation, mais sans l’aide de la FIFA et de la communauté internationale, rien ne changera ».

Peut-être que le cas le plus notoire d’un athlète palestinien luttant contre la répression israélienne est celui de Mahmoud Sarsak, un ancien membre de l’équipe nationale palestinienne de football.

Sarsak, habitant de Gaza, va être placé en détention alors qu’il se trouve au check-point d’Erez en 2009, se rendant en Cisjordanie pour une séance d’entraînement. Il va passer trois ans dans une prison israélienne, sans accusation ni procès. Sa famille n’est pas autorisée à lui rendre visite durant tout le temps de sa détention.

Sarsak est finalement libéré en juillet 2012, après avoir refusé pendant 90 jours de se nourrir, pour protester contre sa détention.

Depuis, il fait campagne pour dénoncer l’impact de la politique d’Israël sur les sportifs palestiniens.

Les restrictions sur les mouvements et la détention arbitraire ne sont pas les seuls obstacles israéliens auxquels sont confrontés les athlètes palestiniens de Gaza.

Durant l’offensive israélienne de 2014, une importante infrastructure sportive de Gaza fut lourdement endommagée, selon al-Amasi, notamment le club sportif Shabab d’al-Maghazi, le club sportif d’al-Shams et le bâtiment de la Fédération de Palestine de football à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza. Des athlètes comptent parmi les plus de 2200 personnes tuées et les dizaines de milliers blessées.

« Trente athlètes ont été tués et 17 grièvement blessés dans les 51 jours de guerre » dit al-Amasi. « Le siège de la Fédération de Palestine de football, 20 clubs sportifs et 10 terrains ont été pris pour cible par les attaques aériennes israéliennes ».

Touché à 11 reprises

Les athlètes en Cisjordanie subissent la violence des forces d’occupation israéliennes.

En janvier 2014, les cousins Jawhar Nasser Jawhar, 19 ans, et Adam Abd al-Raouf Halabiya, 17 ans, rentrent chez eux après une séance d’entraînement de football dans le stade Faisal al-Husseini à al-Ram, une ville proche de Ramallah.

En chemin, ils sont pris en embuscade.

« Nous étions sur le point d’entrer dans l’équipe nationale de football à l’époque. Mon cousin, Adam, a voulu allumer une cigarette, et tout s’est passé dans un éclair » dit Jawhar.

D’abord, Adam est touché dans les jambes. Quand Jawhar tente de le porter et d’appeler à l’aide, il subit les tirs à son tour : sept balles dans le pied gauche, trois dans le droit, et une dans la main gauche.

L’attaque est perpétrée par une unité de l’armée israélienne. « Après avoir tiré sur nous, ils ont lâché un chien policier avant de nous traîner à terre. Ils ont cassé une jambe à Adam alors même qu’ils l’avaient atteinte d’une balle ».

Selon Nasser Jawhar, le père de Jawhar, après les interventions de la FIFA et de médias internationaux, et avec l’aide du Prince de Jordanie, Ali ben Hussein, président de la Fédération de football de son pays et candidat en 2015 à la direction de la FIFA, Jawhar et Adam sont transférés au Centre médical Roi Hussein à Amman.

Mais leur avenir de football s’arrête là, et depuis Amman, la famille se prépare à poursuivre en justice le gouvernement israélien.

« Nous avons passé deux mois à Amman. Nous avions l’intention d’engager une procédure en justice après avoir compris qu’Adam et Jawhar n’étaient plus en capacité de jouer à nouveau », déclare Nasser à The Electronic Intifada au téléphone.

« Alors, sur le chemin du retour, ils ont arrêtés nos enfants et essayé de conclure un marché avec nous ». « Ils nous ont présenté deux options », dit Nasser. « Soit nous retirions la procédure et nous avions nos enfants dans les 50 jours, soit nous nous en tenions à notre décision mais alors sans en connaître les conséquences ».

Les conséquences auraient pu être dramatiques, car la famille comprend que l’armée s’apprête à prétendre que l’un des garçons a essayé de lancer une bombe sur les soldats. La famille décide alors de renoncer, afin de protéger l’avenir de ses fils.

Aujourd’hui, Jawhar enseigne à des enfants, et il sera, cette année, diplômé de la faculté de droit de l’université Al-Quds. Adam étudie l’administration des affaires dans la même institution.

« Ils ne joueront plus, mais heureusement, une vie brillante les attend » dit Nasser Jawhar.

Al-Daour, pour sa part, continue de jouer. Mais son enthousiasme décline.

« Même si je pratique le jeu que j’aime, je perds ma passion. Pourtant je vais continuer à jouer au football, et je crois en mes chances d’un avenir meilleur ».

Mousa Tawfiq est journaliste, basé à Gaza.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

Retour haut de page