« Je crois aux miracles »: le rêve olympique d’un sprinter palestinien

Par Daniel A. Medina 

HOUSTON – Dans une rencontre d’athlétisme amateur le mois dernier à la Rice University de Houston, un groupe éclectique de coureurs, depuis de jeunes enfants jusqu’à des personnes d’un certain âge, s’est retrouvé pour concourir dans leurs épreuves respectives.

Dans la moiteur éprouvante du Texas, la dite rencontre ouverte – la plus démocratique des compétitions d’athlétisme, où tout le monde peut concourir quelque soit son âge et son niveau – était particulièrement animée en ce pesant jeudi soir.

Dans le groupe, il y avait une poignée de sprinters d’élite et de coureurs de fond à la recherche d’une rare opportunité d’échapper au circuit professionnel national. Un athlète cependant se retrouvait seul avec son ambition : son regard était fixé sur les Jeux Olympiques de Rio du mois prochain.

« J’essaie de faire que l’équipe palestinienne olympique puisse courir le 100 mètres », a dit Mohammed al-Khatib à NBC News alors qu’il s’échauffait tout seul à l’extrémité lointaine et isolée de la piste bleu azur. « Je n’avais jamais rêvé de m’entraîner ici [à Houston], mais je vois cela comme une étape dans mon voyage vers Rio. »

‘C’était une véritable guerre’

Pendant des années, Khatib a rêvé de devenir un sprinter olympique. Il avait simplement d’abord besoin d’une piste.

Natif d’Hébron, ville divisée du sud de la Cisjordanie où la tension entre les Palestiniens et moins d’un millier de colons israéliens extrémistes est très forte, Khatib n’a jamais eu accès à des équipements sportifs d’aucune sorte. La plupart ont été détruits pendant la Deuxième Intifada – période d’intense violence israélo-palestinienne entre septembre 2000 et février 2005 dans les territoires palestiniens, où on a estimé que 3.000 Palestiniens et 1.000 Israéliens avaient perdu la vie.

« C’était une véritable guerre », a dit Khatib. « La dernière chose à laquelle pensent des quantités de gens [dans ce contexte], c’est le sport. »

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Mohammed al-Khatib s’échauffe sur les obstacles à la Rice University de Houston. Photo NBC News

Dans une interview avec NBC News, chez eux aux limites sud d’Hébron, les parents de Mohammed se rappelaient très vivement cette époque. « Nous dormions tous ensemble dans la même pièce » pour nous protéger des bombardements, a dit à NBC News Latifa, la mère de Mohammed, à l’aide d’un traducteur.

Professeure, elle dit qu’elle n’a pas du tout travaillé pendant la plus grande partie de la pire violence qui s’est abattue sur la ville de 2000 à 2003, restant à la maison pour s’occuper de ses enfants. Chaque journée, dit elle, ressemblait à de la survie.

En dépit des obstacles, Mohammed – le plus jeune des quatre frères et sœurs – rêvait d’un avenir hors des confins d’Hébron, a dit son père, Awni, et laissait transparaître un air de confiance dans ses capacités athlétiques.

« Mohammed s’est toujours ressenti comme un champion », a dit Awni, professeur de chimie et doyen de l’université de Bethléem. Si Mohammed peut arriver jusqu’à Rio, « cela procurerait une grande joie au peuple palestinien », a dit Awni, dont l’émotion montait visiblement à l’idée de son fils entrant dans l’histoire en tant que premier sprinter palestinien ayant jamais concouru aux Jeux Olympiques pour le 100 mètres – largement considéré comme le plus prestigieux de tous les événements de l’athlétisme.

Rêves de piste

Lorsque Khatib est arrivé en 2010 pour ses études à l’université de Birzeit, juste à côté de Ramallah, capitale administrative de Cisjordanie, l’athlétisme n’apparaissait même pas sur son écran radar.

Tout a changé pour Mohammed en août 2012 lorsqu’il a commencé a suivre avec avidité les événements de l’athlétisme au Jeux Olympiques de Londres. Comme il le remarqua, beaucoup de coureurs étaient issus de petits pays en voie de développement qui ne s’étaient vraiment pas fait remarquer dans le monde du sport international.

« Alors que je les observais [les athlètes], je réalisai que c’était ce à quoi je voulais consacrer ma vie », dit Khatib. « L’espoir et la joie que cela procurerait à tous les Palestiniens dans le monde entier », voir l’un des leurs concourir, poussait Khatib à oser rêver.

Ne pouvant avoir accès à aucun coaching professionnel, il écuma YouTube à la recherche de vidéos d’enseignement des techniques de l’athlétisme. Ces techniques sur la façon de se positionner sur la ligne de départ et d’accélérer sa vitesse pour la récupération musculaire, il les a toutes trouvées en ligne.

Il a mis en pratique sur la piste de l’université ce qu’il a appris sur internet. Avec n’importe quel baromètre, cette piste ne pouvait atteindre les normes internationales les plus basiques. Le tour ne faisait que 200 mètres, alors que la norme est de 400 mètres, et la ligne droite n’était que de 84 mètres, contrairement à la norme reconnue de 100 mètres. En plus, la piste était en asphalte, surface potentiellement périlleuse pour les genoux des coureurs.

En 2014 pourtant, Khatib était l’un des sprinters les plus rapides de Cisjordanie. Cependant, sans la perspective de progrès ultérieurs et avec le soutien timide du Comité Olympique palestinien, Khatib comprit qu’il devait partir à l’étranger pour bénéficier d’un véritable entraînement et avoir ne serait-ce qu’une chance sérieuse de s’assurer le temps de qualification olympique de 10.1 secondes sur 100 mètres.

L’automne dernier, il entra en contact avec une vieille connaissance, Bill Collins, à Houston. Collins, l’un des sprinters les plus médaillés de l’histoire de l’athlétisme américain à ne jamais avoir participé aux Jeux Olympique, est un coach bien connu de Houston et avait rencontré Khatib en 2013, l’entraînant brièvement sur la piste de Rice. Ce jeune sprinter, dit Collins, était inexpérimenté. Il n’avait pas de chaussures à crampons et n’avait encore jamais vu de starting block.

Dans un mail, Khatib demanda de l’aide.

« Il a dit qu’il sentait qu’il pouvait atteindre la norme olympique [du 100 mètres] » avec un véritable entraînement, a dit Collins à NBC News. Collins était sceptique, disant à Khatib que le temps de qualification était vraisemblablement deux à deux secondes et demie plus rapide que ce qu’il avait jamais atteint. « Il a dit ‘je pourrais y arriver’ et j’ai alors accepté le défi. »

Réconforté, Khatib a lancé une page Indiegogo de collecte de fonds pour réunir environ 9.000 $ afin de couvrir les frais d’avion, trois mois d’entraînement avec Collins et son logement. La page s’est répandue et Khatib a levé 12.000 $ en simplement 72 heures.

« Je ne m’attendais pas à avoir un tel soutien », a dit Khatib, qui a remarqué que les sommes venaient de donateurs du monde entier sympathisants de sa cause. Khatib a porté ses espoirs sur Houston.

‘Je crois aux miracles’

Lorsque Khatib est arrivé en janvier sur la piste du stade de l’université de Rice pour sa première session complète d’entraînement avec Collins, il a immédiatement remarqué la qualité des autres coureurs sur la piste. Les espoirs olympiques du monde entier utilisent les équipements de Rice comme base de travail.

« J’ai immédiatement pensé ‘Ouah, ça c’est du solide’ », a dit Khatib.

Colins se trouvait devant une tâche apparemment herculéenne : il avait cinq mois pour transformer un sprinter de 26 ans sans réelle expérience de la piste en une chance d’accéder aux Jeux Olympiques.

« Je ne pensais pas que Mohammed pouvait y arriver jusqu’à ce que je le rencontre », a dit Collins en riant. « Il n’y a pas de faille chez Mohammed. »

Depuis janvier, ils sont repartis de zéro sur tous les aspects de la formation de Khatib. Khatib est le seul athlète entraîné par Collins qui s’impose deux entraînements par jour. Khatib vit dans un pauvre appartement à quelques kilomètres du campus de Rice et a de fait renoncé à toute vie sociale pendant son temps ici. Sans possibilité d’avoir une voiture, il roule à bicyclette pour s’entraîner.

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Un drapeau palestinien est suspendu dans l’appartement de Khatib à Houston. Photo NBC News

« Je me concentre sur un seul but, arriver aux Jeux Olympiques », a dit Khatib.

Le temps de Khatib -son meilleur temps dans une course officielle est de 11.3 secondes – est descendu d’à peine plus d’une seconde depuis son séjour à Houston. Pourtant, avec seulement quelques semaines avant la date limite du 11 juillet du Comité International Olympique, le temps de Khatib est compté.

« Je ne sais pas si je vais y arriver », a dit Khatib. « Mais si je ne croyais pas que je pouvais y arriver, je n’aurais pas fait ce voyage aussi loin. »

Il a encore au moins deux rencontres supplémentaires avant la date limite du CIO. Si Khatib n’arrive pas à atteindre le temps de qualification, le Comité Olympique Palestinien pourrait adresser une requête au CIO pour ce qui est connu comme une invitation exceptionnelle, habituellement offerte aux petits pays.

Dans une déclaration faite à NBC News, le porte-parole du Comité Olympique Palestinien a confirmé que Khatib était sur l’écran radar du comité mais qu’il ne parlerait pas de la possibilité de s’inscrire pour une invitation exceptionnelle.

Pour l’instant, Khatib dit que son but est d’atteindre les 10.16 secondes, mais il se ferme quand on lui demande ce que signifierait un échec pour aller à Rio.

« Personnellement, je suis en paix par rapport à ce que j’ai accompli », a dit Khatib. « Tout ce que je peux dire, c’est que je crois aux miracles. »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source: NBC News

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