Les malades de Gaza paient le prix du blocus

Isra Saleh el-Namey, The Electronic Intifada, 27 juillet 2016

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Gaza souffre d’une pénurie chronique de médicaments, conséquence de la division politique entre la Cisjordanie et Gaza, ainsi que du siège d’Israël. (Eyad Al Baba / APA Images)

Huda Jalal pleure encore la mort de son bébé en mai dernier.

Cette femme de 32 ans est entrée prématurément en phase de travail et a accouché avant que les poumons de son bébé soient suffisamment développés.

L’hôpital a mis le bébé, Sami, en couveuse et il aurait dû alors avoir une injection de bétaméthasone. On utilise la bétaméthasone pour stimuler la croissance des poumons chez les bébés prématurés.

Mais ce produit, qui n’est pas cher comme le dit Mahmoud Deeb Daher, chef de l’antenne gazaouie de l’Organisation Mondiale de la Santé, n’était pas disponible. Sami est décédé après une journée seulement en couveuse.

«  Je sais que ce n’est pas facile de donner naissance à huit mois, mais il existe des médicaments et des soins médicaux avancés qui peuvent aider à sauver des vies », a dit à l’Electronic Intifada Jalal, dont les deux autres enfants n’ont souffert d’aucune complication à la naissance.

Hamsa Abu Ajeen, médecin à l’hôpital al-Aqsa de Deir al-Balah, dans le centre de la Bande de Gaza, où Jalal a perdu son bébé, a dit qu’il y a une pénurie de médicaments à cause du blocus israélien sur Gaza depuis maintenant presque dix ans. Le ministère de la Santé de Gaza se bat de plus en plus contre un manque de fonds pour acheter les médicaments et les équipements vitaux. Le déficit de financement est une conséquence directe du siège qui met à mal l’économie.

Par ailleurs, Israël interdit l’entrée à Gaza toute une série de marchandises et de matériaux de construction, mettant en avant des « raisons de sécurité » et la possibilité d’un « double usage », militaire et civil.

Mais, dans certains cas, la liste est vague et générale, comportant certaines choses comme des « équipements de communication » et, alors que les médicaments et les produits vitaux de soin de santé ne devraient pas en faire partie, les appareils de radiographie et les équipements d’imagerie visuelle se sont révélés difficile à importer et sont souvent retenus en Israël.

Mise en danger des bébés

Des observateurs internationaux comme l’Organisation Mondiale de la Santé, les Nations Unies et certains politiques ont rapporté à de nombreuses occasions que le blocus affecte négativement la livraison des services médicaux à Gaza et provoque une pénurie de médicaments capables de sauver des vies.

Abu Ajeen a dit qu’il fallait faire des injections de bétaméthasone aux femmes souffrant de grossesses à risques et susceptibles d’accoucher prématurément, et qu’il valait mieux les faire avant qu’après la naissance. Si elles sont faites à temps, on a plus de chance de sauver la vie des bébés. La bétaméthasone peut aussi être administrée après la naissance, comme cela aurait pu être le cas pour Sami si on en avait eu.

« Dans notre établissement, le manque de médicaments, de produits à injecter et d’équipements médicaux très importants a affaibli notre capacité à offrir des soins médicaux avancés à nos patients », a dit Abu Ajeen à l’Electronic Intifada.

Il n’y a pas assez de produits à injecter pour stimuler les contractions de l’utérus et accélérer le travail, à dit le docteur, alors que les électrocardiographes pour vérifier le coeur des nouveaux nés sont en nombre limité. Le service souffre aussi d’un manque de couveuses et de lits par rapport aux besoins locaux.

« Nous avons dû très souvent renvoyer des femmes qui venaient juste d’accoucher pour libérer des lits, même si la femme pouvait encore nécessiter une attention médicale », a dit le docteur.

En plus, de fréquentes coupures de courant – les autorités de Gaza sont dans l’incapacité d’importer les équipements nécessaires au bon fonctionnement de la seule centrale de la Bande – et la pénurie de fuel pour alimenter les générateurs font que les médecins craignent constamment que les couveuses et les autres équipements de survie tombent en panne, a dit Abu Ajeen.

Pénurie critique

Selon Munir al-Bursh, directeur du département de pharmacie au ministère de la Santé de Gaza, les hôpitaux, pharmacies et cliniques de Gaza manquent de 149 médicaments, n’obtenant que 69 pour cent de ce dont ils ont besoin.

L’épuisement des réserves de médicaments concerne des produits utilisés pour le traitement de maladies chroniques comme l’hémophilie, la thalassémie, le cancer et les maladies du sang, a dit al-Bursh. Il faut y ajouter une grave pénurie de vaccins et d’antibiotiques qui empêche les docteurs de pouvoir traiter leurs patients.

Par conséquent, un nombre croissant de patients de Gaza essaient de chercher des soins médicaux à l’étranger, mais, là encore, ils sont barrés par le blocus israélien et la fermeture presque constante de Rafah, côté égyptien, seul passage disponible pour les presque 1.9 millions de résidents de la Bande.

Mais le blocus israélien n’est pas la seule cause de pénurie. La division politique entre le Hamas, qui administre les affaires intérieures de la Bande de Gaza, et le Fatah à la tête de l’Autorité Palestinienne, soutenue par les USA et l’UE, en Cisjordanie joue un rôle.

Le Dr. Ashraf al-Qedra, porte-parole du ministère de la Santé à Gaza, a dit que son ministère ne reçoit pas l’attribution de médicaments prévue de la part du ministère de la Santé de l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie occupée. Il a dit que Gaza n’obtient que 16 pour cent de ce qu’elle devrait recevoir en médicaments et autres nécessités médicales.

« Gaza devrait obtenir 40 pour cent des ses besoins médicaux depuis la Cisjordanie. Nous en recevons moins de 20 pour cent. Ceci veut dire que nous sommes en danger imminent de crise sanitaire qui pourrait mettre la vie de nos patients en danger », a-t-il dit.

Le manque de financement et l’épuisement des ressources, à la fois humaines et matérielles, ont obligé le ministère à mettre fin à certains de ses services médicaux essentiels, a dit al-Qedra.

Wael Alyan a son propre sujet de plainte à cet égard.

Cet homme de 43 ans souffre d’une insuffisance rénale depuis cinq ans et a besoin d’une dialyse quatre fois par semaine. « C’est dur de s’adapter à cette nouvelle vie », a dit Alyan à l’Electronic Intifada. «A chaque fois, je m’organise pour arriver très tôt à l’hôpital pour attendre mon traitement. »

Il espère pouvoir être opéré hors de Gaza, mais pour l’instant, il n’en a pas les moyens. Il a entendu parler de patients qui ont la chance de pouvoir bénéficier d’une greffe de rein compatible et il guette le jour où il pourra mettre fin à cette épreuve.

« J’espère qu’un jour je pourrai assurer le financement nécessaire à cette opération afin de pouvoir mener à nouveau une vie normale », a-t-il dit.

Recherche de solutions

La difficulté pour assurer des réserves suffisantes de médicaments a poussé une équipe de pharmaciens à chercher des méthodes pour prolonger la durée de vie de quelques médicaments vitaux.

L’équipe a travaillé pendant quatre ans et a finalement réussi à valider – en autorisant l’utilisation de médicaments au-delà de leur date d’expiration – 23 sortes de médicaments utilisés dans le traitement du cancer et des maladies rénales et pour lesquels les hôpitaux n’ont pas d’autre alternative s’ils venaient à manquer.

Nahed Shaat, qui dirige l’équipe, a dit que son groupe avait bénéficié de précieuses connaissances grâce aux expériences militaires américaines passées.

« L’effroyable réalité de Gaza nous a poussés à rechercher d’autres alternatives et les essais accomplis par le [département de la Défense] en 1986 pour valider 122 médicaments nous ont été très utiles pour la conduite de notre propre projet », a dit Shaat.

Naima Siam, membre de l’équipe, a remarqué que le processus n’était pas facile parce qu’ils devaient suivre des règles très strictes prescrites par l’Organisation Mondiale de la Santé.

« Chaque médicament doit être validé selon sa propre modalité et de la bonne façon. Jusqu’ici, nous avons pu prolonger leur durée de vie de trois mois », a-t-elle dit.

Elle estime que le travail de l’équipe a épargné quelque 200.000 $ au ministère de la Santé et qu’il procure aux patients un accès plus ouvert aux médicaments essentiels.

« Le bien-être de nos patients est notre priorité première », a dit Siam, qui a exprimé sa colère, à la fois contre Israël et contre l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie, pour leurs politiques qui retiennent des médicaments vitaux loin de Gaza.

« Le droit d’avoir accès aux médicaments et à des services médicaux en état de fonctionner devrait être respecté pour tous les Gazaouis, qui ne devraient pas être les otages de ce jeu politique. »

Isra Saleh el-Namey est une journaliste de Gaza.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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