Déçus, des Juifs français quittent Israël

Ali Abunimah, 19 juillet 2016

2015-1-11-netanyahu-hollande-sipaphotosfive149926

Le Premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu a contrarié les dirigeants français en appelant les citoyens juifs de France à quitter leur pays. (Erez Lichtfeld / SIPA USA)

Ces dernières années, Israël a essayé d’inciter la communauté juive de France, forte d’un demi million de personnes, à s’exiler en masse.

Au grand désagrément des dirigeants français et de beaucoup de Juifs français, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, ainsi que d’autres responsables israéliens, ont exploité les actes de violence perpétrés en France pour exhorter les Juifs à la quitter. Les militants sionistes voient déjà dans l’attaque au camion de la semaine dernière, qui a tué plus de 80 personnes à Nice, une nouvelle opportunité pour accélérer cet agenda.

Les politiciens qui souhaitent ardemment promouvoir le discours corrosif d’une « guerre de civilisations » entre « l’Islam » et « l’Occident », en dépit du fait qu’un tiers des tués à Nice étaient musulmans, se saisissent de cette dernière attaque pour le faire.

« Il n’y a pas d’avenir pour les Juifs en France à cause des Arabes et à cause d’une position très anti-israélienne dans la société où convergent un nouvel antisémitisme et l’ancien antisémitisme », a déclaré encore le mois dernier Natan Sharansky, chef de l’Agence Juive d’Israël.

L’Agence Juive, qui s’emploie à encourager la colonisation juive en Israël et en Cisjordanie occupée, a dépensé beaucoup d’énergie ces dernières années en France où vit la plus importante population juive d’Europe.

Ces efforts ont rencontré quelque succès. Les départs ont atteint presque 8.000 en 2015, contre moins de 2.000 trois ans plus tôt.

Ce bond s’est produit après qu’un tireur à l’histoire trouble ait tué trois enfants et un adulte dans une école juive, en mars 2012 à Toulouse. Le tireur, Mohammed Merah, avait également tué trois parachutistes qu’il avait ciblés parce qu’ils étaient musulmans.

Mais, dans la première moitié de cette année, le nombre ne représentait qu’environ la moitié de celui de la même période en 2015.

Rentrer chez soi

Un autre aspect de l’histoire est rarement évoqué : parmi ceux qui quittent en effet la France pour Israël, beaucoup reviennent chez eux déçus.

Dans un article approfondi publié cette semaine, le journal parisien Le Monde donne des estimations qu’environ 15 à 30% des Français qui émigrent en Israël reviennent finalement chez eux.

Les chiffres exacts ne sont pas disponibles parce que la question du retour en France est l’objet d’un « double tabou », selon l’historienne et spécialiste d’Israël Frédérique Schillo : c’est considéré comme un échec, à la fois pour celui qui revient et pour Israël.

« C’est politique », a dit Schillo au Monde, « Israël est un refuge pour les Juifs du monde entier. Si on révélait que cette grosse émigration de France est un échec, que diraient les gens ? L’Agence Juive n’a aucun intérêt à en parler. »

Le Monde a fait le portrait de plusieurs individus – certains désignés par leur seul prénom à cause de la stigmatisation qui touche ceux qui parlent – qui illustrent les différentes raisons pour lesquelles l’intégration en Israël a échoué.

L’année dernière, Jacqueline, retraitée de 60 ans, a tout liquidé en France afin d’aller sur la « terre de [mes]

ancêtres et vivre au soleil », a-t-elle dit. Elle a dit aussi qu’elle avait subi de l’antisémitisme en France.

Mais à peine sept mois plus tard, elle était de retour chez elle. « Il était impossible de trouver où vivre, c’était prohibitif, et je ne supportais pas la chaleur », a -t-elle dit. Jacqueline a aussi évoqué l’aide médicale et sociale bien meilleure en France.

« Je suis sioniste et j’adore Israël », a dit Jacqueline, « mais pas pour y vivre ».

Joëlle Roubine, qui a maintenant 52 ans, est partie en Israël en 2006 et, une fois là-bas, a adoré cet endroit Mais elle est rentrée chez elle en France six ans plus tard.

« Je n’avais plus un sou et Paris me manquait », a -t-elle dit, « et le poids de la religion à Jérusalem commençait à devenir trop lourd ».

Son retour en France a été comme un « rêve devenu réalité ».

« C’était une histoire d’amour. Je m’émerveillais devant les boulangeries, les fromages, les pâtisseries », a dit Roubine. « Je l’aime plus que jamais. »

Karine, avocate, a quitté la France pour Israël en 2003. Elle est revenue chez elle trois ans plus tard, ramenant avec elle un mari israélien et leurs enfants.

« Elle ne nie pas les difficultés que traverse la France – son mari a échappé de justesse au massacre du Bataclan de novembre dernier par un tireur soupçonné d’appartenir à l’État Islamique.

Mais son attachement à la France demeure fort. « Israël, la république, la méritocratie et les valeurs d’égalité me manquaient », a-t-elle dit.

« En Israël, j’ai réalisé que je suis d’abord française, tandis qu’avant, j’avais l’impression que j’étais d’abord juive », a ajouté Karine.

Elle voit toujours de l’antisémitisme en France, mais elle pense que la bonne démarche, c’est de le combattre ici.

Rester

Pour certains, l’expérience les a fait passer d’un pôle personnel et politique à un autre. Alexandre, médecin, était très religieux avant d’aller en Israël, mais il est revenu « complètement athée ».

Il a raconté au Monde qu’il avait viré de bord à cause de la « politisation de la religion » et du « développement d’un absurde discours mystique et messianique ». Après un an à Haïfa en 2007, il est rentré en France, remonté contre la « propagande israélienne de droite », la « méfiance envers les Arabes » et l’impression que le pays était envahi par une mentalité de conspirateurs.

Ceci a fait d’Alexandre un exilé politique parmi ses amis en France, même s’il dit qu’il se recentre sur sa communauté juive lorsqu’il sent que son identité en tant que Juif est menacée.

Rebecca, qui est partie en Israël en 2005 et en est revenue en 2011, dit qu’elle s’inquiète toujours du sort des Juifs en France. Mais elle dit que beaucoup de ses amis qui pensent à partir envisagent le Canada ou les USA plutôt qu’Israël.

En dépit de ce malaise, beaucoup ne veulent absolument pas alimenter le récit israélien comme quoi ils partent en grand nombre et le font parce qu’ils ont peur.

En janvier, « des dizaines de Juifs français et de Juifs d’autres pays européens » ont dit à Haaretz qu’ils restaient chez eux, malgré « une menace croissante de terrorisme et en dépit des exhortations de Netanyahu ».

« Il y a d’autres raisons que le terrorisme pour lesquelles les gens s’en vont, et il n’y a pas que les Juifs », a dit un rabbin de Paris au journal de Tel Aviv. « En outre, la plupart d’entre nous restent. »

La conclusion discordante d’Haaretz fut que « à moins d’une campagne terroriste massive », la grande majorité des Juifs d’Europe continueraient à soutenir Israël de loin, mais diraient « non, merci » à l’invitation de Netanyahu.

Et, comme le dit Le Monde, un nombre non insignifiant de ceux qui sont partis en Israël reviennent tôt ou tard chez eux.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

Retour haut de page