L’accord Turquie-Israël laisse le siège de Gaza intact

Ali Abunimah – The Electronic Intifada – 27 juin 2016

 

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Enfants palestiniens participant à une manifestation contre le siège israélien de la bande de Gaza, dans le port de Gaza, le 1er juin. (image APA – Mohammed Asad)

Les Palestiniens de la bande de Gaza expriment leur colère et leur consternation lundi devant l’accord qui normalise les relations entre Israël et la Turquie, accord qui les laisse sous un siège étouffant.

Un groupe israélien de défense des droits de l’homme qui exerce une surveillance sur le blocus de Gaza, vieux d’une décennie, confirme lui aussi que l’accord ne met pas fin au contrôle strict d’Israël sur le territoire, un contrôle qui a considérablement aggravé la dévastation de l’économie et de la société de Gaza après les trois grandes agressions militaires israéliennes depuis 2008.

La Turquie avait rangé ses relations militaires et politiques avec Israël au congélateur il y a de cela six années, après qu’Israël eut attaqué le navire Mavi Marmara, propriété turque, qui naviguait dans les eaux internationales et faisait partie d’une flottille se dirigeant sur Gaza, en mai 2010, une attaque qui tua neuf personnes et en blessa mortellement une dixième.

La Turquie a imposé des sanctions militaires sans précédent sur Israël en 2011 suite à cet incident.

Les tentatives de réconciliation ont débouché sur des impasses en raison des conditions exigées par le Président turc Recep Tayyp Erdogan : des excuses israéliennes et une indemnisation pour l’attaque sur le Mavi Marmara, et la fin du siège de Gaza.

Un progrès apparemment est intervenu quand la Turquie a laissé tomber la troisième et la plus importante de ses exigences, et qu’elle a accepté qu’Israël maintienne son blocus.

Dans une mesure visant à sauver la face, Israël autorisera la Turquie à accroître son rôle « humanitaire » et ses projets d’infrastructure dans le territoire assiégé.

 

Une pirouette positive

 

Le gouvernement turc tente de tourner l’accord en un sens positif. Un haut responsable a déclaré à The Electronic Intifada que, selon cet accord, la Turquie « fournira une aide humanitaire et d’autres produits non militaires à Gaza et qu’elle fera des investissements d’infrastructure dans la région ».

Cela comprendrait de nouveaux immeubles d’habitation et un hôpital de 200 lits.

Et ce responsable d’ajouter que « des mesures concrètes seront prises pour remédier aux pénuries d’énergie et d’eau à Gaza. La quantité d’électricité et d’eau potable pour les habitants de Gaza augmentera et de nouvelles centrales électriques seront construites ».

Lors d’une conférence de presse à Ankara, le Premier ministre turc, Binali Yldirim, a affirmé que le siège de Gaza a été « largement levé » avec cet accord.

Yildirim confirme qu’Israël versera 20 millions de dollars d’indemnisation pour les familles des morts et des blessés survivants du Mavi Marmara. Il affirme qu’une première cargaison de 10 000 tonnes d’aides turques arrivera à Gaza au plus tard cette semaine, via le port israélien d’Ashdod.

Dans une conférence de presse simultanée à Rome, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, salue l’accord pour son « importance stratégique » pour Israël et il affirme que ce qu’il appelle le « blocus maritime défensif » de la bande de Gaza occupée sera maintenu.

Netanyahu déclare également que cet accord apporte aux soldats israéliens une protection contre les poursuites judiciaires.

Les victimes de l’attaque sur le Mavi Marmara ont engagé des poursuites devant des tribunaux en Turquie et aux États-Unis, ainsi que devant la Cour pénale internationale. L’accord laisse dans l’ombre le statut de ces poursuites.

Selon le responsable turc, l’accord « permettra aussi à la Turquie de lancer de grands projets en Cisjordanie, notamment la zone industrielle de Jénine ».

Mais comme je l’ai documenté dans mon livre de 2014, La Bataille pour la Justice en Palestine, les analystes et les groupes juridiques palestiniens disent que la zone industrielle de Jénine, et d’autres comme elle, loin de les aider, ne fait que les rendre plus vulnérables aux dégradations environnementales, salariales et politiques, et à leur exploitation.

 

« Scandale et insulte »

 

Gisha, un groupe israélien des droits de l’homme qui surveille le blocus de Gaza par Israël, indique que l’accord ne remet aucunement en cause le contrôle « honteux » d’Israël sur la vie des 1,9 million de Palestiniens de la bande de Gaza.

« Ce que Netanyahu a accordé à Erdogan, ce n’est pas un changement de politique, mais plutôt un geste limité, comme s’il l’autorisait à poser des bâtiments en plastique dans un jeu de Monopoly », écrit la directrice de Gisha, Tania Hary, dans un édito cinglant dans le journal Ha’aretz de Tel Aviv.

Les commentateurs palestiniens de Gaza approuvent.

« L’accord israélo-turc est un scandale et une insulte à Gaza, à la Palestine, et au sang des militants turcs », twitte l’éducateur et écrivain Refaat Alareer.

Alareer qualifie l’accord d’ « accord de honte ».

« Lever le siège de Gaza, ça veut dire la liberté de mouvements, et non davantage de nourriture et d’aides », twitte l’auteur de Gaza, Omar Ghraieb. « Est-ce trop difficile pour être compris ? ».

« Il n’est pas acceptable de parler à la légère du siège de Gaza en disant qu’il est largement levé, quand cela touche à la vie de deux millions d’humains », ajoute Ghraieb dans un reproche au Premier ministre turc.

Le traducteur Jason Shawa, basé à Gaza, twitte : « Nous voulons la levée du siège, pas votre charité Erdogan, gardez-la ! ».

« Les intérêts de la Turquie d’abord, les liens avec Gaza plus tard », telle est la réaction succincte du journaliste de Gaza, Nidal al-Mughrabi.

La Turquie a été mise sous pression pendant des années, spécialement par l’Administration du Président US Barack Obama, pour qu’elle renoue ses liens avec Israël.

Conséquence de la guerre civile sanglante en Syrie, dans laquelle Ankara a soutenu des forces qui cherchaient à renverser le gouvernement du Président Bashar al-Assad, la Turquie a été confrontée à une situation régionale qui se détériore.

Les attentats à la bombe qui ont tué des dizaines de personnes dans les villes turques ces derniers mois ont contribué à un déclin catastrophique de 40 % dans le tourisme, un secteur clé de l’économie du pays.

Netanyahu laisse également entendre que le rapprochement pourrait ouvrir la voie à des contrats lucratifs concernant les réserves gazières de la Méditerranée, impliquant la Turquie.

Yildirim, de Turquie, est plus prudent, disant que la future coopération « sera liée à des efforts venant des deux pays ».

Les actions des entreprises énergétiques turques ayant une actvité en Israël ont grimpé brusquement à la nouvelle de l’accord, de même que les réserves énergétiques israéliennes à Tel Aviv.

 

La gestion du siège

 

L’Autorité palestinienne à Ramallah s’est félicitée du rapprochement Israël-Turquie, mais il n’y a pas eu de réaction dans l’immédiat (au cours de ce lundi – ndt) de la part du Hamas.

Ces derniers jours, le Hamas, un mouvement politique et de résistance palestinien qui gouverne à l’intérieur de la bande de Gaza, avait tenté de réduire les retombées négatives potentielles des négociations Turquie-Israël.

Au cours du week-end, le dirigeant du mouvement, Khaled Meshaal, a rencontré le Président Erdogan à Ankara.

Une déclaration du Hamas affirme que la délégation du groupe « a confirmé à la direction turque les exigences de notre peuple, particulièrement la levée du siège, se disant persuadé que la Turquie réussira à ce sujet ».

Le haut responsable turc a informé The Electronic Intifada qu’ « il n’y avait absolument aucune référence au Hamas dans l’accord » avec Israël, une réponse apparente à la demande israélienne qu’Erdogan mette un terme aux activités du mouvement en Turquie.

Mais la réalité est que si la Turquie s’apprête à livrer plus d’aide à Gaza – en supposant qu’Israël garde sa part du marché -, elle ne le fera que dans les conditions du siège imposées par Israël.

Il sera difficile pour de nombreux Palestiniens de ne pas en arriver à la conclusion que la Turquie a rejoint les autres membres de la soi-disant communauté internationale, particulièrement les Nations-Unies, dans leur aide Israël à gérer le siège, plutôt que pour remettre en cause sa poursuite.

Les Nations-Unies se rendent complices de la gestion du siège avec le prétendu mécanisme de la reconstruction de Gaza, qui permet que les matériaux de construction n’arrivent qu’au compte-gouttes en vertu du contrôle strict israélien.

Le mécanisme de reconstruction de Gaza est illégal, et il viole le « droit même à la vie » du peuple palestinien, selon un avis juridique confidentiel destiné à une importante organisation humanitaire qui travaille étroitement avec les Nations-Unies, comme l’a révélé The Electronic Intifada en janvier.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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