Un criminel de guerre israélien a-t-il joué le premier rôle dans la sécurité de Cannes ?

Par Ali Abunimah, 13 mai 2016

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Le général de brigade israélien Nitzan Nuriel, à droite, avec le général de corps d’armée de l’US Air Force Craig Franklin, en 2012.

La ville de Cannes en France a démenti les rapports qui disaient qu’un général israélien supervisait les forces de sécurité engagées dans la protection du festival de cinéma de cette année qui a commencé mercredi.

Mais les autorités de cette station méditerranéenne enchanteresse ont confirmé avoir consulté le général de brigade Nitzan Nuriel dans le cadre d’une enquête de sécurité.

La ville semble maintenant essayer de minimiser encore plus le rôle du général israélien.

Après les deux horribles énormes attentats en France par des extrémistes supposés de l’État Islamique, et les récents attentats à Bruxelles, il est normal que les autorités françaises veuillent faire tout leur possible pour maintenir la sécurité de ce festival qui attire les plus grandes stars et l’attention des médias.

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17 H 03 – 12 mai 2016 – Cannes, France

Mais cela n’a aucun sens pour Cannes de s’adresser à un général israélien dont toute la carrière est faite de brutalité et de violation des droits fondamentaux de millions de Palestiniens sous occupation militaire.

Ancien conseiller principal de deux premiers ministres d’Israël, Nuriel a également tenu un rôle prépondérant dans l’invasion israélienne de 2006 au Liban, où les forces israéliennes on aveuglément ciblé des civils lors des attaques que Human Rights Watch a appelées des crimes de guerre.

Rapports contradictoires

Mardi, l’édition française du Times of Israel disait que Nuriel était impliqué dans l’énorme opération de sécurité par terre, par mer et par air pour protéger le festival.

Elle a ensuite amendé son article avec coupures et corrections, disant que la mairie de Cannes avait démenti l’implication de Nuriel.

La version anglaise du site web dit que le Hollywood Reporter avait « déclaré que Nuriel était aussi en charge de la sécurité pour les 10 jours de l’événement ».

Le Times of Israel ajoute : « La ville de Cannes, cependant, a réfuté cette déclaration, disant que Nuriel n’est aucunement impliqué et que les préparatifs de sécurité sont sous l’autorité exclusive du ministre de l’Intérieur. »

L’actuelle version de l’histoire dans le Hollywood Reporter dit simplement que Nuriel a été « amené par le maire David Lisnard à vérifier le protocole de sécurité ».

Lors d’une conversation téléphonique mercredi, le service de presse de la mairie de Cannes a confirmé à l’Electronic Intifada qu’ils avaient envoyé les démentis à divers médias.

La déclaration comme quoi Nuriel est en responsabilité a malgré tout rapidement circulé.

Le journal de Tel Aviv, Haaretz, a sorti un article avec pour titre : « Un ancien général israélien surveille le Festival de Cinéma de Cannes. »

Haaretz cite un rapport de l’International Business Times.

Ce rapport dit que « le maire de Cannes, David Lisnard, a embauché un ancien général des forces de défense israéliennes pour aider à superviser la difficile opération de sécurité ».

La version de Haaretz va même plus loin dans l’importance du rôle d’Israël. : « Six mois après les attentats mortels de Paris, le maire de Cannes David Lisnard a engagé l’expert du contre-terrorisme Nitzan Nuriel pour superviser les opérations de sécurité de cette quinzaine événementielle. »

Quelques médias français ont relevé l’histoire dans le Times of Israel et le CRIF, lobby pro-israélien le plus important de France, a contribué à sa dissémination.

Ce qui ne fait pas de doute, c’est que Nuriel lui-même a parlé au Hollywood Reporter – où il est dit qu’il a émis un avis sur la sécurité de Cannes, tout en ne déclarant pas être en responsabilité.

Alors que l’origine de cette opinion est toujours aussi peu claire, celle-ci continue à se répandre.

Un rapport en ligne du journal populaire britannique le Daily Mirror de jeudi déclare encore, à propos de l’énorme déploiement de sécurité à Cannes, que Nuriel « supervise l’opération ».

Minimiser le rôle d’Israël

Les autorités cannoises semblent très désireuses de minimiser le rôle de Nuriel.

Dans un tweet sur son compte-rendu officiel de mardi, la ville a dit que le Festival de Cinéma de Cannes lui-même avait mené plusieurs audits sur la sécurité.

Et d’ajouter : «  Quant à la ville de Cannes, elle a pris une initiative anti-terroriste en octobre 2015 avec l’aide d’experts internationaux, dont un Israélien, afin de renforcer de façon permanente la sécurité dans toute la ville. »

Mais tous les fonctionnaires de la ville ne semblent pas raconter exactement la même histoire, que ce soit à propos de la date à laquelle Nuriel est entré en fonction ou sur l’importance du rôle du général israélien.

Le journal Le Monde écrivait le 10 mai que Pierre Boutillon, directeur adjoint des forces de police de Cannes, lui avait dit que « le lendemain » des attentats du 13 novembre 2015 à Paris qui ont tué 130 personnes, « la mairie avait fait appel à une agence de sécurité étrangère pour mener un audit sur le festival ».

« A l’issue de cette mission, dirigée par l’ancien général de réserve israélien Nitzan Nuriel, on a proposé d’organiser une simulation d’attentat », a dit Le Monde.

Simulation « terrifiante »

Une raison possible pour que Cannes n’ait pas trop envie de se vanter du rôle de Nuriel est que cet attaque simulée, qui a eu lieu en avril, s’est avérée très embarrassante pour la ville.

La vidéo de cet exercice, où figurent les forces de sécurité masquées et de faux terroristes se battant avec bombes et armes à feu au milieu de la ville, a circulé en ligne et est passée à la télévision.

Cela n’a certainement pas rassuré les participants potentiels au festival, comme l’a dit le Hollywood Reporter dans un article intitulé « Cannes subit le contre-coup de la vidéo d’une terrifiante simulation terroriste ».

« Quand j’ai vu cette vidéo, j’ai simplement compris que nous pouvions être en danger – je n’y avais pas pensé jusque là », a dit à la publication Yuhka Matoi, un des responsables japonais de Tokyo Broadcasting System. « Peut-être que je me tiendrai loin du tapis rouge [cette année]. »

Le Hollywood Reporter a ajouté que de nombreux participants « se posent des questions sur la tactique qui consiste à conduire un test de sécurité en public, sous l’oeil des caméras, et se demandent si l’exercice ne concernait pas davantage les relations publiques que la sécurité ».

L’image du festival n’a certainement pas été améliorée lorsque le Daily Mail, l’une des publications les plus lues au monde, est sorti avec ce titre : « A Cannes, un exercice d’attaque terroriste laisse les participants terrifiés. »

Nitzan Nuriel : violeur des droits de l’Homme

Nitzan Nuriel a été très désireux de faire connaître son rôle à Cannes – quelle qu’en soit l’importance.

On pourrait percevoir ce fait comme faisant partie de l’effort général d’Israël pour se vendre, comme le dit l’auteure Naomi Klein qui le décrit comme « le centre commercial mondial des technologies de sécurité intérieure ».

Il a été directeur du Bureau de Lutte contre le terrorisme du premier ministre d’Israël de 2007 à 2012, période qui a couvert le mandat d’Ehud Barak et celui de l’actuel titulaire Benjamin Netanyahu.

Nuriel est également membre de l’Institut International pour la Lutte Contre le Terrorisme, groupe de réflexion israélien intimement lié à l’establishment militaire et du renseignement.

Son président, Shabtai Shavit, a été à la tête du Mossad, agence d’espionnage et d’assassinat d’Israël.

L’une des sources de revenus de l’institut est la vente « de conseils et d’entraînement » à des gouvernements ou des corporations étrangers prodigués par « les retraités les plus qualifiés de l’establishment du renseignement et de la sécurité. »

Les simulations, peut-être comme celle de Cannes, font partie des « solutions » toutes prêtes vendues par l’Institut International pour la Lutte Contre le Terrorisme.

Mais ce qu’il vend avant tout, c’est l’expérience : l’expérience dans la violation des droits de l’Homme. Et là, Nuriel est l’un des principaux exemples.

Sa biographie officielle révèle qu’il a tenu des postes de commandement dans l’occupation militaire qui règne depuis des décennies sur des millions de Palestiniens, niant leurs droits les plus fondamentaux et facilitant le vol de leur terre pour y construire des colonies illégales.

En 1994, il a été nommé commandant d’une brigade de Cisjordanie et, en 1997, il est devenu commandant adjoint du secteur de la Bande de Gaza. Il a aussi été commandant adjoint du secteur pendant l’invasion dévastatrice de 2006 d’Israël au Liban.

Sa propension à utiliser la brutalité pour soumettre les Palestiniens a été démontrée dans une affaire remontant à presque 30 ans.

En 1987, pendant la première Intifada, Nuriel avait été nommé au poste de commandant du Bataillon 12 (« Barak ») de la Brigade du Golan.

A ce poste, il donna des ordres pour que les prisonniers palestiniens soient battus à titre de mesure punitive.

L’ordre a été enregistré et a fait partie des preuves dans un procès contre les soldats qui avaient obéi à cet ordre et mis ces crimes en pratique. Les soldats ont été disculpés par le tribunal et Nuriel a eu une promotion.

Manque de prévision

Pour toute son « expertise », Nuriel se trompe sur les choses les plus élémentaires.

En octobre dernier, au commencement de l’escalade des violents affrontements entre Palestiniens d’un côté et soldats et colons israéliens de l’autre, Nuriel a fait cette prédiction : « C’est l’affaire de quelques jours avant que cela s’arrête… Cela n’a pas de but. On l’oubliera. »

Mais contrairement à l’affirmation de Nuriel, la violence a continué son escalade pendant plus de six mois, revendiquant la mort de plus de 200 Palestiniens et d’environ 30 Israéliens.

Et tandis que Nuriel ne pouvait concevoir ce qui motivait les Palestiniens, des officiers supérieurs de l’armée israélienne ont admis en janvier que les jeunes Palestiniens accusés d’attentats au couteau, principalement contre des soldats aux checkpoints, « voulaient attaquer des symboles de l’occupation israélienne ».

Il n’existe pas de bonne raison pour laquelle Cannes, ou toute autre ville, devrait engager Nuriel ou ses collègues, à moins d’envisager que, récompenser ceux qui violent les droits de l’Homme, soit une façon louable d’utiliser l’argent public.

Les erreurs de Nuriel, dont son empressement à se vanter de son rôle devant la presse – au lieu de laisser les fonctionnaires français prendre le commandement – est probablement une des raisons pour lesquelles Cannes prend maintenant ses distances avec lui.

Il y a une autre très bonne raison pour minimiser le rôle d’un général israélien dans un événement international majeur, même si aucun officiel français ne l’admet avec plaisir : associer votre marque au dossier trempé de sang de l’armée israélienne est toxique, et probablement pas très bon pour la sécurité.

Dena Shunra a assuré les recherches et la traduction.

Mise à jour

Après la publication de cet article, Marie Junk, attachée de presse à la mairie de Cannes, a envoyé par e-mail le communiqué suivant à l’Electronic Intifada. Il a été traduit du français.

Le communiqué souligne à quel point la ville cherche maintenant à prendre ses distances avec le général de brigade Nitzan Nuriel et à minimiser son rôle antérieur.

En réponse à votre question, je confirme que la sécurité de la ville de Cannes est sous le contrôle exclusif du ministre de l’Intérieur et de ses représentants locaux, en coordination avec les autorités locales, le maire de Cannes et la police municipale. C’est dans ce but que le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve est en contact régulier avec le maire pour coordonner les forces et les moyens de sécurité.

M. [Nitzan] Nuriel n’a donc aucun rôle ni aucune responsabilité dans la sécurité de Cannes.

En octobre 2015, après les inondations mortelles qui ont touché la ville, la mairie de Cannes a élaboré un plan d’importance pour sécuriser son territoire, les résidents et les visiteurs contre les risques majeurs (inondation, incendie, terrorisme, tremblements de terre) afin de préserver l’attractivité qui fait de Cannes la première destination française pour les conventions internationales.

Dans ce but, quantité d’analyses ont été entreprises, par des experts français et internationaux qualifiés par leur expérience et la maîtrise de leurs sujets, et présentées aux médias.

Dans ce contexte, en novembre 2015, la mairie de Cannes a commandé un audit, réalisé en décembre 2015, afin d’optimiser tout au long de l’année les activités de ses services pour sécuriser les biens, les gens, les données, les équipements et les bâtiments publics. L’initiative de la ville fait partie d’une approche mondiale pour prévenir et maîtriser les risques majeurs, approche rendue nécessaire autant par la menace du terrorisme que par les effets du changement climatique.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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