Voici comment les colons s’emparent de la terre de Palestine

 

D’escroquerie osée et falsification en prises militaires pour « raisons de sécurité » et pour le « bien public » allant jusqu’à dépoussiérer d’antiques lois ottomanes, l’entreprise coloniale israélienne n’est pas à court d’outils pour s’emparer de la terre palestinienne en Cisjordanie

 

Par Dror Etkes, +972, publié le 8 mai 2016 après première publication le 8 janvier 2016

 

settle

Des mobile homes et des arbres fruitiers manifestent la progression de la colonie israélienne de Ma’on, qui prend la terre du village d’At Tuwani dans les collines au Sud de Hebron, Cisjordanie 2 avril 2014. (photo: Ryan Rodrick Beiler/Activestills.org)

 

Le 9 février 2004, Abdelatif Hassan Samarin, un habitant du village cisjordanien de Burqa, à quelques km à peine, à l’est de Ramallah, s’est éveillé avant l’aube. Après ses prières du matin, Samarin a bu deux tasses de thé sucré à la menthe censé combattre la fraîcheur matinale de l’hiver, a mis quelques effets dans une valise que son fils –alors âgé de 78 ans – avait acheté la veille pour lui dans un village voisin.

Le trajet pour Ramallah et, de là, au poste frontière avec la Jordanie du Pont Allenby fut épuisant pour lui. Il était si épuisé, en fait, qu’il a dormi pendant l’heure et demi qu’a duré le trajet vers l’aéroport international Reine Alia. Il ne s’éveilla que lorsque le chauffeur, qu’il reconnut à son accent, lui secoua l’épaule en lui annonçant qu’il était arrivé et que Samarin lui devait 10 dinar.

Mais en dépit de la fatigue et des milliers de kilomètres qu’il lui restait à faire, Samarin ne pensa pas, fût-ce pour une seconde, à annuler son voyage. Pas quelqu’un comme lui, quelqu’un qui avait tout vu. Il était un homme alerte de 37 ou 38 ans (qui sait exactement ? après tout, on ne donnait pas de certificats de naissance quand sa mère accoucha de lui dans une grotte), lorsque les Anglais chassèrent les Turcs à la fin de 1917. Il avait 67 ans quand les Anglais partirent et que les soldats de la Légion Arabe arrivèrent vers le milieu de 1948. Et il avait 86 ans quand il vit ces mêmes Jordaniens vaincus par les Israéliens en 1967.

Ayant passé presque le tiers de sa vie sous occupation militaire israélienne, il s’est habitué à la domination israélienne. Au fond, il appréciait même la version propre aux colons israéliens du « soumoud » – un mot arabe devenu synonyme de la ténacité des Palestiniens. Il s’est même habitué à ses nouveaux voisins, qui se sont installés tout juste 18 mois plus tôt dans ce qui avait l’air de blocs de plastique blanc sur une colline proche. Cela, malgré le fait que le nom qu’ils ont donné à la colonie – Migron- avait un son étrange à ses oreilles et malgré le fait que les camions de ses nouveaux voisins ont déchargé et construit quelques uns de ces étranges blocs de plastique sur une parcelle de terre dont il avait hérité de son père lorsque celui-ci mourut en 1897.

migron

Militants israéliens de La Paix Maintenant appelant à évacuer l’avant poste de la colonie de Migron lors d’une manifestation en 2008. (photo : Activestills)

Trente huit heures après qu’il ait quitté sa maison en Cisjordanie, Samarin a atterri à l’aéroport international de Los Angeles. Deux heures plus tard il était dans une chambre d’hôtel à Trustin, dans le Comté d’Orange, à quelques kilomètres au sud de Los Angeles. Puis, le lendemain de son arrivée, Samarin s’est rendu dans un petit bureau de poste en centre-ville où un notaire pakistanais nommé D.K. Shah l’attendait.

Leur rencontre a été brève et est allée droit au but. Samarin s’est présenté à Shah et a signé une procuration irrévocable, par laquelle il accordait à la société « Al Watan » les droits sur sa terre que les Jordaniens avaient enregistrée en 1957 en tant que parcelle 26 dans le bloc 23. Samarin, comme la plupart de ceux de sa génération ne savait ni lire ni écrire, bien que l’un de ses arrières petits enfants s’était fait un devoir personnel d’enseigner au patriarche de la famille comment apposer sa signature. Cela explique, par exemple, pourquoi Samarin ne s’est pas aperçu qu’il signait un document où son nom était mal orthographié et ne mentionnait pas le montant qu’il recevrait en échange de ses 5,6 acres de terre (2,6 ha). Quoi qu’il en soit, après quelques minutes, Samarin, qui avait alors 123 ans, partit content du bureau de Shah et disparut dans le chaos bruyant de Los Angeles où l’on n’entendit plus jamais parler de lui.

À ce stade du récit, vous avez probablement réalisé que l’histoire d’Abdelatif Hassan Samarin, D.K. Shah et Al Watan n’a jamais existé. L’histoire complète de la façon dont les colons de Migron – avec l’aide à la fois du Conseil régional de Binyamin et du mouvement de colons Amana – ont essayé de s’emparer de la terre de Samarin, qui en réalité est mort dans son village en 1961 à l’âge de 80 ans, est parue dans Haaretz du 8 mai.

C’est juste une parmi des dizaines d’histoires de falsifications que j’ai découvertes dans le cade de mon travail en Cisjordanie au cours de ces dernières années. Les noms des « acheteurs » et des « vendeurs », tout comme les lieux des « transactions » changent d’un cas à l’autre. Mais dans la majorité des cas, c’est cette même société de colonisation appartenant au Conseil régional de Binyamin et à Amana- qui, comble de l’ironie s’appelle « Al Watan » (patrie en arabe) – qui était impliquée dans la fraude. Et en dépit du fait que les noms de ceux impliqués dans ces arrangements véreux sont bien connus de la police, aucun d’entre eux n’a été poursuivi. Pendant ce temps, les achats frauduleux se poursuivent – en particulier sur des terres contiguës à des colonies, situées entre la barrière de séparation et la Ligne Verte.

sub2

Des colons et la police des frontières sur le toit de la maison de la famille Soub Laban, dans la vieille ville de Jérusalem. Cela fait 35 ans qu’une organisation de colons d’extrême droite essaie de chasser la famille de sa maison dans le quartier musulman. (photo : Tali Mayer/Activestills.org)

Le fait est qu’une part majeure de la terre volée en Cisjordanie a simplement été transférée aux colons, plutôt qu’achetée frauduleusement par eux. Il n’était pas nécessaire de l’acheter – l’État d’Israël a créé et institutionnalisé un bon nombre d’outils officiels au moyen desquels le processus de dépossession et de prise de contrôle de la terre pouvait être effectué aisément.

Le premier de ces outils s’appelle « prise de terre pour des besoins militaires ». Pendant plus d’une décennie à la suite de la guerre de 1967, les commandants militaires de Cisjordanie ont signé des dizaines d’ordres de saisie afin de prendre le contrôle de terres pour « des besoins de sécurité », ce qui a permis l’établissement de plus de 40 colonies sur des milliers d’acres de terre appartenant à des propriétaires privés palestiniens.

Les autorités israéliennes ont décidé que ces ordres militaires étaient « nécessaires à la sécurité », en se fondant sur une décision de la Cour Suprême selon laquelle les colons pouvaient aider l’armée à contrôler un territoire dont la population était hostile. Les propriétaires palestiniens, bien au fait qu’invoquer la sécurité n’était qu’une mascarade, ont lancé des procédures contre des ordres militaires dénués de fondement. La Cour Suprême fit ce qu’elle avait à faire et rejeta leurs requêtes, ouvrant le chemin aux bulldozers qui allaient ouvrir la voie à de nouvelles colonies en Cisjordanie.

ilit

Derrière le mur de séparation, des bulldozers procèdent à une extension du bloc de colonies de Modi ‘in Illit (photo : Oren Ziv/Activestills.org)

 

Cela aurait pu durer des années, n’étaient les colons de Elon Moreh, qui insistèrent pour dire la vérité à la Cour Suprême, en réponse à une requête d’un propriétaire palestinien qui avançait que les colons construisaient leurs maisons sur une parcelle privée. En réponse, les colons dirent la vérité : contrairement à la position mensongère du gouvernement, la colonie n’avait pas été installée pour des objectifs de sécurité mais pour des raisons idéologiques. De plus, ils ont clarifié le fait que la colonie n’était pas « temporaire » comme le prétendait l’État auprès de la Cour Suprême – ce qui l’aurait aidé à continuer d’invoquer une « révision judiciaire » qui l’avait déjà si bien servi face à de semblables requêtes.

Aussi, contrairement à ce à quoi s’attendaient les protagonistes, la Cour Suprême fut forcée d’abroger l’ordre. Le premier ministre Menahem Begin déclara qu’il « y a des juges à Jérusalem » et que l’État évacuerait la colonie. Ce faisant, l’État faisait officiellement marche arrière dans le procédé consistant à recourir à l’armée dans le but d’installer des colonies. Mais à la différence d’Elon Moreh, la Cour Suprême ne donna pas l’ordre d’évacuer les 40 autres colonies qui avaient été implantées de la même façon.

 

Lorsque l’État de droit disparaît

Parallèlement à son usage massif d’ordres militaires pour s’emparer de terres, Israël a aussi implanté des colonies au moyen d’ordres d’expropriation pour « le bien public ». La colonie de Ma’ale Adoumim a nécessité l’expropriation de près de 7 000 acres (2833 ha) dans des villages palestiniens à l’est de Jérusalem.

Ce que Begin a omis de mentionner dans sa remarque désormais célèbre, c’est que à côté de juges, Jérusalem a aussi quelques agents très intelligents formés au droit. Ces mêmes agents, qui connaissaient les lois ottomanes sur la terre élaborées dans la deuxième moitié du 19ème siècle, savaient que les lois stipulaient que pour que le droit de propriété soit maintenu, une parcelle de terre doit être travaillée de façon continue et que la terre qui n’a pas été travaillée trois années de rang retournera automatiquement dans le giron de l’État. Les autorités israéliennes ont utilisé ces lois sur la terre pour développer une théorie juridique compliquée les autorisant à revendiquer que près d’un demi million d’acres (202 343 ha) et peut-être davantage, sont « terres d’État ».

La vérité est que personne ne sait quelle quantité de terre de la zone C en Cisjordanie est considérée par les autorités israéliennes comme « terre d’État », puisque cette terre est, en majorité, non travaillée ou « partiellement travaillée » et n’a jamais été désignée « terre d’État ». Mais, sur la base d’une déclaration officielle des autorités israéliennes, 172 000 acres (69 606 ha) ont été déclarés « terre d’État » et, à quelques exceptions près, tout cela a été alloué à des colons israéliens.

Les saisies, les expropriations et les proclamations ont été les trois outils officiels d’Israël pour prendre le contrôle de la terre désignée à la colonisation officielle. Israël a néanmoins recours à un outil additionnel pour s’emparer de milliers d’hectares en Cisjordanie : les violations institutionnalisées, systématiques de l’État de droit.

L’État contribue à ce phénomène de deux façons : en finançant des prises de terres, où l’argent est généralement transféré via la Division des Colonies de l’Organisation Sioniste Mondiale ou via des conseils de colons locaux et régionaux ; l’autre moyen est de s’abstenir d’appliquer la loi contre les colons et les institutions qui se sont emparés illégalement de propriétés privées palestiniennes.

Ce à quoi nous assistons est la disparition de l’État de droit sous nos yeux. Cette disparition n’est ni fortuite ni spécifique. Derrière elle se cache une justification claire qui affecte chaque portion de la Cisjordanie. L’État de droit est « sacrifié » aux intérêts territoriaux de l’entreprise coloniale.

Dror Etkes suit la politique territoriale et de colonisation d’Israël en Cisjordanie. Cet article a été publié initialement en hébreu sur Local Call.

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

Source: +972

Retour haut de page