Le tout nouveau courant de Nizar Rohana

Sarah Irving – The Electronic Intifada – 28 mars 2016

 

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Nizar Rohana(Mohamed Badarne)

 

Furat par le Trio de Nizar Rohana

Le deuxième album du joueur de oud Nizar Rohana, Furat (l’Euphrate) offre à la fois une vision rafraîchissante et engageante de son instrument bien connu et une vue large sur le Moyen Orient qui est comme un défi face aux jours sombres de la real politique de la région.

Originaires du village d’Isfya, près de la ville historique palestinienne de Haïfa dans ce qui est actuellement Israël, les parents de Rohana jouaient du oud et des percussions lors d’événements du village. Le Jeune Rohana a commencé à jouer du oud à l’âge de 13 ans et a poursuivi par des études à Jérusalem et, plus récemment, à Leyde aux Pays Bas.

Tout en composant, jouant et faisant de la recherche en musicologie (centrée sur le compositeur égyptien Mohammed al-Qasabji), Rohana a aussi enseigné le oud au Conservatoire National Edouard Saïd de Jérusalem, Ramallah et Bethlehem pendant sept ans.

Dans ce qui influence et inspire sa créativité, Rohana cite Bach, Chopin et Brahms, avec les célèbres musiciens turcs de l’ère ottomane, Tanburi Cemil Bey et Kemani Tatyos Efendi, ainsi que les stars arabes al-Qasabji et Mohammad Abdel Wahab.

Cette diversité est visible dans le trio assemblé par Rohana – qui compte le percussionniste libanais Wassim Halal et le double-bassiste hongrois Mátyás Szandai.

Les autres œuvres de Halal incluent des performances expérimentales de bourdon dans le genre drone ambiant, tandis que Szandai est influencé par les sonorités du jazz que son instrument appuie souvent.

Le résultat est un album libre, au son faussement simple qui évite la touche musique du monde plus marquée du stéréotype « oriental » de Sard (Récit), le premier CD de Rohana et le style riche et radical des œuvres de collègues virtuoses palestiniens du oud tels que le Trio Joubran ou Simon Shaheen.

 

Des rivières puissantes

Le mix de l’album centre l’attention de celui qui l’écoute tout d’abord sur le oud de Rohanna ; la basse de Szandai donne une texture et dialogue avec le oud tout en apportant un soutien profond et subtil à l’ensemble ; la percussion de Halal, quant à elle, introduit des flashes et des pointes aiguës qui mettent en relief les tours et les détours du oud.

En dépit du rôle historique et de l’image du oud, il ne s’agit pas ici de musique palestinienne traditionnelle. Comme Samir Joubran, Rohana dit clairement qu’il compose de la musique influencée par le patrimoine palestinien mais qui s’inspire aussi d’un large éventail de sources qui créent quelque chose de tout à fait personnel.

Dans le cas de Furat, Rohana fait aussi une déclaration sur les histoires et les paysages de son Moyen Orient natal, en particulier des ses rivières puissantes. La plupart des titres des morceaux évoquent des sites le long de l’Euphrate mais, insiste Rohana, c’était une réponse à la sensation d’un courtant entraînant qu’il a ressentie dans l’album et non une inspiration de composition de morceaux dans une esthétique fluviale.

La première plage “Madar Hijaz” (Une Orbite à Hijaz), utilise le mode classique maqam et place l’écoutant dans la péninsule arabique, tandis que la deuxième plage « Furat » (l’Euphrate) nous déplace vers l’Irak et la Syrie, berceaux de la civilisation.

“Mayadin” paie ensuite un tribut à la ville syrienne du même nom, tandis que la dernière pièce de l’album “Jurjina Bayati,” est centrée sur le rythme jurjina originaire de la musique populaire et folklorique d’Irak

“Safsaf Abyad” (le Saule blanc), de son côté, est évocateur d’arbres poussant le long des rives plus calmes du puissant Euphrate, tandis que le titre « Dalya » renvoie à la cité syrienne six fois millénaire, connue aujourd’hui sous le nom de al-Quriyah, dont les ruines s’élèvent près de la rivière.

Le choix des noms rehausse la cohérence fondamentale de l’album, dans lequel les sept plages suivent une progression naturelle, fonctionnant vraiment comme un tout.

 

Ampleur et diversité

À côté de ces références diverses mais dont la quintessence est de référence arabe, Rohana se tourne aussi vers le répertoire turc ottoman, avec “Sama‘i Muhayyar,” une composition de Tanburi Cemil Bey, héro de Rohana. L’inclusion de cette pièce, qui remonte à un temps où les contours politiques du Moyen Orient étaient très différents, souligne l’ampleur et l’ouverture de la vision artistique de Rohana.

En elle-même, la vision culturelle plus large que Rohana met en relief, est marquée par l’ouverture et la diversité. Elle se construit sur les perspectives dégagées par une grande partie de son travail antérieur – depuis ses enregistrements avec le duo Esperanto, réunion de la musique palestinienne et libanaise avec des traditions juives séfarades qui soulignent une sensibilité méditerranéenne commune, jusqu’à sa participation à la bande son de Autour de la mer du vieux monde, une série télé néerlandaise sur le voyage de l’homme politique Abraham Kuyper en 1905 des Balkans à la Palestine, l’Égypte, l’Afrique du Nord et l’Europe du Sud.

Dans l’ensemble, Furat n’est peut-être pas un album aussi immédiatement accessible que quelques uns des noms les plus connus de la musique de oud palestinienne. Mais, comme la collaboration fructueuse entre le joueur de oud Ahmad al-Khatib et le percussionniste Youssef Hbeisch, le Trio Nizar Rohana et Furat nous rappellent que les artistes palestiniens enregistrent aussi des compositions contemporaines de oud belles et innovantes.

 

Sarah Irving est l’auteur d’une biographie de Leila Khaled et du Guide Bradt de la Palestine ; elle est coéditrice de Un oiseau n’est pas une pierre

 

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Electronic Intifada

Pour se procurer le CD:  http://www.cdbaby.com/cd/nizarrohanatrio

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