L’Intifada palestinienne : six mois, six observations

Alaa Tartir – Middle East Eye – 4 avril 2016

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Les six derniers mois illustrent clairement une fois encore le rôle problématique de l’Autorité palestinienne en tant que sous-traitant de l’occupation israélienne.

Quelles sont les observations essentielles, au moins quelques-unes, que l’on peut faire en partant du cycle de confrontations et de violences qui se déroule en Palestine/Israël depuis octobre 2015 ? Six conclusions principales peuvent être tirées de cette période.

Premièrement, ces derniers mois montrent comment sont faibles et illégitimes les partis politiques palestiniens dans l’ensemble du spectre politique. Ces partis politiques « historiques » n’ont pas réussi à fournir la représentation institutionnelle et le soutien politique nécessaires à la jeunesse palestinienne, une jeunesse qui s’est révoltée en une vague de colère contre les multiples sources d’oppression.

Ils n’ont pas réussi à mobiliser les masses, à doter la jeunesse en révolte de l’éducation politique et d’un espoir pour l’avenir dont elle a besoin, et ils n’ont pas réussi à remettre en cause les appareils de la sécurité et les décisions politiques de l’Autorité palestinienne (AP). Certains partis semblent même ne pas être intéressés à reprendre la lutte nationale pour les droits politiques et civils, et paraissent à la place plus motivés par le maintien du statu quo de l’occupation militaire persistante.

Ces multiples défaillances ne résultent pas seulement du fait que ces partis politiques sont dysfonctionnels ou inefficaces, mais aussi de leur manque de volonté politique, et de leur direction et leurs programmes politiques qui sont considérés comme illégitimes et inappropriés par le peuple palestinien.

La faiblesse des partis politiques traditionnels n’est pas un facteur exogène, mais plutôt le résultat d’une transformation intestine qui s’est produite au sein des structures politiques, du programme et des manières de gouverner palestiniens. En particulier, ces transformations ont lieu depuis 2007, dans le sillage de la division intra-palestinienne, et comme une conséquence tant du projet d’édification d’un État en Cisjordanie occupée que de de la consolidation du pouvoir dans la bande de Gaza assiégée et occupée.

Deuxièmement, les six derniers mois illustrent clairement une fois encore le rôle problématique de l’Autorité palestinienne en tant que sous-traitant de l’occupation israélienne en ce qui concerne les questions de sécurité. En dépit de la rhétorique ronflante de la direction de l’OLP (pas de son président) sur l’arrêt de la collaboration avec Israël en matière de sécurité, cela reste un mythe et, en réalité, cette collaboration s’est intensifiée au cours des six derniers mois et elle a même été fièrement célébrée par la direction de l’establishment de la sécurité à l’AP.

Les (ré)actions de l’AP et de ses forces de sécurité sont l’une des premières causes qui ont conduit la vague actuelle de colère à se montrer moins vive en terme d’actions collectives, et plus portée sur les actions individuelles. L’AP, qui est, par définition et de par sa conception, une structure anti-révolution et anti-libération, a ajouté une autre couche d’obstacles devant la jeunesse palestinienne, une jeunesse en révolte pour la réalisation de ses droits politiques et humains. Le rôle problématique bien établi de l’AP devient plus explicite dans les moments de soulèvements, car de tels moments mettent en avant sa fonction fondamentale de « sécuriser l’occupant ».

Troisièmement, la jeunesse palestinienne, qui est confrontée à un haut niveau de chômage, variant de 30 à 40 %, est frustrée, en colère, et elle se nourrit des cycles ininterrompus d’échecs et de l’absence de perspectives. Cet état de frustration, d’impuissance et de désespoir a été vu, par de nombreux observateurs qui s’intéressent à la sécurité, comme une menace pour la stabilité de la région et une source de radicalisation ouvrant la voie pour l’arrivée de l’ISIS en Palestine/Israël. L’absence de fondement de cette conclusion axée sur la sécurité peut se démontrer en mettant en évidence les résultats des plus récents sondages d’opinion, lesquels montrent clairement qu’il n’y a ici aucun espace, ni aucun environnement accueillant, pour ISIS.

En mars 2016, un sondage, réalisé par le Centre de Jérusalem des Médias et de la Communication, fait ressortir une opinion négative constante à l’égard d’ISIS, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza. Parmi les personnes interrogées, 82 % ont une attitude négative envers l’action d’ISIS, et une majorité pense qu’ISIS est nuisible pour la cause palestinienne. Un autre sondage, réalisé fin mars 2016 par le Centre palestinien pour la Politique et la Recherche par sondage, montre que 88 % des Palestiniens condamnent ISIS et le considèrent comme un groupe radical qui ne représente pas le véritable Islam.

Quatrièmement, en dépit des sacrifices de la population, les directions du Fatah et du Hamas refusent toujours de parvenir à un véritable accord de réconciliation. Cette situation bien arrêtée de division intra-palestinienne n’a pas été ébranlée par les actions de ces jeunes qui ont choisi l’action directe au cours de ces derniers mois. Cela met en évidence comment sont commodes les arrangements de statu quo pour les deux partis, où la priorité est donnée aux dynamiques régionale et internationale plutôt qu’aux locales.

Les discussions de Doha, les plus récentes pour un « partage du pouvoir et la réconciliation » qui ont eu lieu à la suite du soulèvement en cours de la jeunesse, témoignent de la réticence des deux partis, Fatah et Hamas, à faire des compromis, et par conséquent elles prouvent leur détermination à ne pas réussir. Ce n’est que par la responsabilisation populaire des dirigeants de ces deux partis que l’agenda de la réconciliation pourra être promu au sein de la scène politique existante.

Cinquièmement, les évènements de ces six derniers mois révèlent l’énorme fossé existant entre le peuple et les autorités/les élites régnantes, entre les voix qui viennent d’en bas et celles qui viennent de la soi-disant direction. Ce fossé montre combien sont éloignées les unes des autres, les actions et appréciations de l’actuelle direction, et les exigences et aspirations du peuple palestinien qui vit en Cisjordanie et bande de Gaza occupées, sans parler de ceux qui vivent dans la diaspora et en exil, ou dans les territoires de 1948.

La récente interview télévisée que le Premier ministre de l’AP, Rami Al-Hamadallah, a donnée sur la chaîne allemande DW, ou celle de son Président, Mahmoud Abbas, sur la Channel 2 israélienne, sont l’une et l’autre de remarquables illustrations de ce fossé. Le déni et l’incapacité du Premier ministre à reconnaître les réalités sur le terrain pour ce qui concerne l’AP, et la remarque « bizarre » du Président à propos de la collaboration en matière de sécurité et de la nature violente du Palestinien, montrent bien que la direction et le peuple paraissent vivre sur deux planètes différentes. Cette observation ne devrait surprendre personne, car c’est une caractéristique de tout système politique qui ne met pas le peuple au cœur de ses préoccupations, et qui ne se maintient que grâce à des pratiques antidémocratiques et autoritaires.

Sixièmement, certains observateurs estiment que des groupes armés pourraient jouer un rôle prépondérant et actif dans les futures trajectoires de la vague de colère actuelle de la jeunesse. Cependant, une telle spéculation passe à côté de deux questions primordiales et qui se rapportent aux conséquences du projet de réforme du secteur de la sécurité à l’AP, et aux pourparlers conventionnels de paix qui font suite à tout soulèvement palestinien.

En tant qu’élément intégrant dans le projet de l’AP post-2007 pour l’édification d’un État, le secteur sécurité de l’AP s’est vu attribué la priorité dans les domaines politique et financier. Les campagnes de sécurité et de désarmement lancées par l’AP, particulièrement celle conduite dans les « bastions de la résistance » en Cisjordanie, visent à criminaliser la résistance armée et à dépouiller les groupes armés de leur infrastructure et de leurs outils qu’ils utilisent pour résister à l’occupation militaire israélienne. La « réalisation partielle » de ces deux objectifs entraîne des conséquences directes sur la capacité des groupes armés des partis politiques palestiniens à reprendre leur rôle militaire. Cette conclusion qui est primordiale n’est pas, en dépit de son apparente clarté, suffisamment reconnue dans la plupart des sphères politiques qui touchent à la sécurité.

Cependant, il est également intéressant de noter qu’en raison des luttes intestines au Fatah et des dynamiques régionales, les Palestiniens pourraient être contraints d’avoir à faire face à des affrontements violents et sanglants (provoqués par le chaos et les armes qui apparaîtraient aisément sur la scène), conséquence des « contestations » devant un partage du pouvoir. Les « champions » de ces contestations, surtout et avant tout au sein du Fatah une fois encore, donnent la priorité à leur petit agenda politique, personnel et régional, en dépit des conséquences néfastes pour le peuple palestinien, sa sécurité et sa lutte.

Enfin, des réalités probantes au cours de ces trois dernières décennies mettent en relief que les cycles de confrontations et de soulèvements sont toujours suivis de pourparlers et d’initiatives pour la « paix ». En est un exemple cette rumeur existante concernant l’Initiative française pour la paix. On en sait très peu à propos de cette initiative de paix « invisible », mais ce qui est clair, c’est que les paramètres pour la paix restent fixés sur les anciens qui ont déjà échoué, avec les vieilles règles du jeu, et avec les mêmes losers à dominer la scène de l’ « industrie de la paix ». Par conséquent, ce n’est pas là une source d’optimisme qu’il faut guetter. Les sources d’optimisme peuvent se trouver, mais ailleurs.

 
Le Dr Alaa Tartir est directeur de programme d’Al-Shabaka : le Réseau politique palestinien, et chercheur post-doctorat au Centre d’études sur les conflits, le développement et la construction de la paix de l’Institut des hautes études  internationales et de développement à Genève.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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