Le combat des malades du cancer de Gaza et le siège israélien

Isra Saleh el-Namey, The Electronic Intifada, Bande de Gaza, 9 février 2016

 

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Des patientes palestiniennes malades du cancer manifestent dans la ville de Gaza en décembre 2014. 

(Ashraf Amra / APA images) 

Umaimah Zamalat supposait que ses papiers étaient en ordre.

Cette femme de 52 ans de Beit Lahia, au nord de la Bande de Gaza, a déjà subi une séance de rayons à l’hôpital Makassed de Jérusalem Est pour son cancer des poumons agressif.

Mais quand elle est arrivée au checkpoint d’Erez, à la frontière entre Gaza et Israël, prête pour son deuxième traitement, elle a été stoppée.

« Mon permis m’autorise à aller à Jérusalem jusqu’à la fin de mes quatre séances [de radiothérapie]. Mais lorsque j’ai essayé de passer par Erez pour ma deuxième séance, ils m’ont dit que je n’avais plus le droit », a dit Zamalat à Electronic Intifada.

Les autorités militaires israéliennes d’Erez n’ont donné aucune explication quand ils l’ont renvoyée. Les patients de Gaza ne sont pas autorisés à séjourner à Jérusalem ou dans les hôpitaux israéliens pour la durée de leur traitement et doivent retourner chez eux entre les séances. Cela les soumet au risque de révocations de permis subits, inexpliqués et apparemment inexplicables.

Mais cela a par ailleurs des conséquences inévitables sur la santé des patients.

« Je suis extrêmement inquiète. Les médecins m’ont dit que mon cas était très sensible aux retards », a dit Zamalat.

Peu d’espoir

Zamalat a renouvelé sa demande de permis pour terminer sa radiothérapie. Mais elle conserve très peu d’espoir.

« Notre problème ne consiste pas seulement à être atteintes d’un cancer. Il a à faire avec l’amertume d’une occupation que nous ressentons dans tous les petits détails de notre vie, et y compris dans nos maladies », a-t-elle dit.

Les professionnels de santé de Gaza ont fait part d’une augmentation troublante de l’incidence des cancers dans cette bande de terre appauvrie.

Le docteur Mohammed Abu Shaban est un oncologue palestinien qui travaille dans différents hôpitaux de Gaza. Au cours des deux dernières années a-t-il dit, citant les statistiques du ministère de la santé de Gaza, le nombre de cancers diagnostiqués s’est élevé à quelques 14.600.

« Tous les mois, nous voyons au moins 120 nouveaux malades du cancer à Gaza », a dit le docteur à Electronic Intifada.

Abu Shaban a avancé qu’il y avait une relation directe entre l’accroissement du nombre de malades du cancer et les trois guerres contre Gaza de ces huit dernières années. Les médecins de Gaza et les professionnels de santé étrangers soupçonnent depuis longtemps qu’Israël a utilisé de nouvelles sortes d’armes contre Gaza, dont les Dense Inert Metal Explosive (DIME) ou munitions chargées en matériaux radioactifs.

« Les forces israéliennes ont utilisé des armes illégales contenant des matériaux radioactifs mortels qui pénètrent dans le sol », a dit Abu Shaban. « Les gens qui vivent près des zones qui ont été bombardées risquent d’être exposés à ces matériaux. Et ceci les soumet à un risque accru de cancers. »

La leucémie est le cancer le plus répandu à Gaza, Abu Shaban estime qu’environ 25 pour cent des morts d’enfants liées au cancer sont dues à cet état de fait.

En plus de la difficulté d’accéder au traitements, il y a le coût. Avec des taux de pauvreté et de chômage tous deux proches de 40 %, les Palestiniens de Gaza dépendent de l’aide du gouvernement.

« Les gens ne peuvent pas se permettre les prix exorbitants des services de santé », a dit Abu Shaban. « Nous avons un besoin aigu de davantage de financements pour couvrir les dépenses supplémentaires de nos patients. »

Rafah n’est pas une option

L’état d’Amina Ahmad s’est dramatiquement dégradé huit mois plus tôt. Diagnostiquée malade d’un cancer du poumon en 2012, cette femme de 46 ans de Gaza ville a demandé il y a six mois à être reçue dans l’un des hôpitaux spécialisés en Cisjordanie ou en Israël.

Mais elle a besoin d’un permis.

« J’ai mon dossier médical et tous les papiers nécessaires pour pouvoir aller en Cisjordanie en tant que cas humanitaire urgent. Mais je n’ai pas encore reçu l’autorisation d’Israël », a dit Ahmad.

Un retard dans l’obtention d’un permis pour entrer en Israël peut avoir des conséquences désastreuses. S’ils manquent leurs rendez-vous, les patients devront repasser par tout le processus de demande. « On nous laisse mourir en silence », a dit Ahmad.

La situation serait différente si le passage de Rafah vers l’Egypte était ouvert, a-t-elle dit. L’Egypte offre des soins dont les hôpitaux de Gaza sont incapables et, faute de mieux dit-elle, au moins ne serait-elle pas l’otage des « caprices des Israéliens ». Mais depuis 2014, l’Egypte garde le passage fermé et ne l’a ouvert partiellement qu’une petite douzaine de jours.

Le siège qu’Israël impose à Gaza depuis 2007 a épuisé un système de santé qui était déjà contraint par la pauvreté, la surpopulation et la croissance rapide de cette population.

Sous le blocus, a dit le docteur Ahmed El Shorafa, chef de la clinique pour tumeurs à l’hôpital européen de Rafah, on ne peut décrire la situation que comme « catastrophique ».

Gaza souffre d’un grave manque de médicaments, de fournitures et d’équipements médicaux aussi bien que de personnel entraîné et spécialisé. « Nous utilisons les mêmes machines et les mêmes protocoles qu’il y a 14 ans. Nous avons été dans l’incapacité de développer quoi que ce soit », a dit El Shorafa.

Conséquence directe, les hôpitaux de Gaza sont dans l’impossibilité d’offrir des radio- ou chimio-thérapies – d’où la nécessité de nombreux déplacements vers des hôpitaux de Cisjordanie ou d’Israël.

Peur et colère

« Ce que nous avons observé ces cinq dernières années, c’est que ces déplacements annuels de patients de Gaza n’ont augmenté que de 1,3 % en dépit de l’augmentation du nombre de patients », a dit El Shorafa. « La grave restriction de circulation a réduit les possibilités ouvertes aux patients de Gaza pour des soins spécialisés. »

Durant les 10 premiers mois de 2015, l’organe administratif de l’administration militaire israélienne d’occupation – connu sous le nom de « Coordination des Activités Gouvernementales dans les Territoires » – a refusé à 1.035 Palestiniens de Gaza de sortir afin de pouvoir recevoir les traitements médicaux nécessaires en Cisjordanie occupée, en Israël ou en Jordanie.

Ceci représente presque deux fois autant de refus que ceux prononcés pendant toute l’année précédente.

La petite Sahar Abd al-Aal de six ans a été diagnostiquée comme souffrant d’un cancer de la thyroïde. Elle est actuellement soumise à un traitement par rayons à l’hôpital pédiatrique al-Rantisi de Gaza ville. Hafiza, sa mère, a attendu anxieusement le verdict de son médecin pour la poursuite du traitement.

« Ma fille doit subir la dernière séance avant que les médecins se prononcent sur son cas et sachent si elle doit être transférée », ajouta-t-elle.

En janvier, des patientes ont organisé une manifestation pour faire entendre leur colère contre les restrictions draconiennes, qu’Israël menace d’aggraver, à la circulation des malades.

L’une des manifestantes, Rawan Lubad, vit avec un cancer du sein depuis 10 ans. Cette femme de 61 ans souffre constamment. Elle a fait deux fois une demande de permis pour se déplacer. Deux fois on le lui a refusé.

« Je meurs ici. J’ai la sensation d’avoir été condamnée à mort », a-t-elle dit.

Isra Saleh el-Namey est une journaliste de Gaza.

Traduction : J. Ch. Pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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