Les peines les plus cruelles qu’Israël réserve aux Palestiniens

 

Charlotte Silver, Electronic Intifada,  9 Novembre 2015

 
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Des Palestiniens inspectent la maison de Ghassan Abu Jamal après sa démolition à titre punitif par l’armée israélienne dans le quartier Jabal al Mukabir de Jérusalem-Est, le 6 octobre. (Mahfouz Abu Turk /APA images)

 

La famille Abu Jamal  vit dans un immeuble près du bas de la vallée, à Jabal  al Mukabir, un quartier de Jérusalem-Est occupée.

Au dernier étage de l’immeuble, quelques traces de cendre mènent à ce qui a été l’appartement de Ghassan Abu Jamal.

C’est désormais un désordre chaotique de débris de fer, de tas de ciment pulvérisé et de meubles détruits : les restes d’un appartement qui a explosé de l’intérieur.

Il y a un an, Ghassan Abu Jamal, accompagné de son cousin Udai Abu Jamal, est entré dans une synagogue de Jérusalem-Ouest et a tué quatre personnes avant d’être abattu par un soldat israélien.

Le 6 octobre au matin, l’armée israélienne a placé des explosifs dans le petit appartement de Ghassan, assez  pour  le détruire ainsi que celui de son frère Mouria qui vivait à côté.

Il s’agit du premier foyer démoli dans le cadre d’une offensive de représailles qu’Israël a mise en œuvre à Jérusalem depuis le début de la flambée de violence début octobre.

Israël nomme « démolitions punitives » les destructions des maisons des combattants de la résistance palestinienne ou de celles de leurs familles.

Cette mesure est un héritage des lois relatives à l’état d’urgence établies par les dirigeants coloniaux britanniques en 1945.

En l’occurrence, Israël n’applique cette mesure que pour les criminels palestiniens présumés, jamais pour les criminels ou les suspects juifs et leurs familles.

 

Seulement pour les Palestiniens

 

Assis dans les ruines sous un plafond qui semble être sur le point de s’effondrer, Mouria Abu Jamal a dit à The Electronic Intifada : « Nous ne partons plus de Jabal al Mukabir. Il n’y a nulle part où aller. »

Israël a pris pour cibles les habitants de Jabal al Mukabir, en particulier la famille Abu Jamal, avec des peines collectives en tous genres : des maisons ont été démolies, des droits de résidence retirés, la circulation entravée.

Quand les soldats sont arrivés chez Ghassan le matin du 6 octobre, l’appartement était déjà vide. Nadia, la femme de Ghassan, originaire d’un village de la Cisjordanie occupée à l’est du mur de séparation, avait déjà été privée par Israël de son droit de résidence à Jérusalem quand son mari est mort, une mesure que l’ONG de défense des droits de l’homme B’Tselem a qualifiée de « sanction illégale ».

Elle a été obligée de partir de Jérusalem en juillet avec ses trois enfants âgés de 3, 4 et 6 ans.

Pendant la démolition de la maison de Ghassan à l’aube, des soldats avaient battu Alaa, le cousin de Ghassan, à coups de fusil, le blessant grièvement. Le dossier médical de la clinique qui l’a soigné après l’agression dit que son coude droit était enflé à cause d’un « traumatisme provoqué par un objet lourd ».

Une semaine plus tard, Alaa a foncé avec sa voiture dans le tramway de Jérusalem et aurait poignardé plusieurs Israéliens, tuant une personne et en blessant grièvement une autre avant d’être abattu.

Pourtant, Israël continue de dire que la pratique de démolition des maisons des suspects « terroristes » palestiniens dissuade de perpétrer d’autres attaques.

Mais il y a 10 ans, une commission d’enquête de l’armée israélienne disait le contraire.

Elle a conclu, selon les propos de Haaretz, que « les dommages causés par les démolitions l’emportent sur leurs bénéfices, puisque quel que soit le découragement qu’elles provoquent, le degré de haine et de révolte qu’elles font naître est bien plus important. »

Dalia Kerstein de Hamoked, une des associations israéliennes des droits de l’homme qui s’opposent actuellement à cette pratique, dit que les démolitions révèlent la discrimination d’Israël. Mais elle souligne qu’elle est opposée à cette pratique pour qui que ce soit.

Cependant, d’après un sondage récent, 80% des Juifs israéliens soutiennent les démolitions punitives des foyers palestiniens. Plus de la moitié d’entre eux dit qu’ils s’opposeraient à une telle pratique appliquée aux Juifs.

Cette popularité pourrait bien être la vraie raison de la poursuite de cette pratique par les dirigeants israéliens.

 

« Ils nous traitent de tueurs »

 

Israël occupe Jérusalem-Est et le reste de la Cisjordanie depuis 1967. Son annexion de la ville par la suite n’a été reconnue par aucun pays et a été déclarée nulle et non avenue par le Conseil de sécurité de l’ONU.

La 4ème Convention de Genève, qui selon le Conseil de sécurité de l’ONU s’applique à la Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, dit qu’aucune personne « ne peut être punie pour une infraction qu’elle n’a pas commise personnellement. »

L’interdiction des peines collectives inclut les représailles à l’égard « des personnes et de leurs biens. »

Mouria et les trois membres de sa famille, dont un bébé de 4 mois, dorment maintenant dans la chambre située juste en dessous des décombres. Le plafond est fissuré et fuit à cause du poids des débris qu’il n’a pas les moyens de faire enlever, dit-il.

Dans l’immeuble des Abu Jamal, trois autres foyers sont menacés de démolition : l’appartement familial d’Alaa, où vivent sa femme de 29 ans et ses trois enfants âgés de 4 à 8 ans, a immédiatement fait l’objet d’un ordre de démolition.

D’autres membres de la famille ont aussi reçu des arrêtés de démolition de la municipalité israélienne de Jérusalem pour avoir construit sans le permis qu’il est presque impossible d’obtenir.

« La municipalité joue son rôle », dit Kerstein de Hamoked, faisant référence à la collaboration de la municipalité avec le reste du système israélien pour punir collectivement les familles des Palestiniens accusés.

Pendant ce temps, Israël a installé des dizaines de barrages et de checkpoints dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est.

Mouria, 42 ans, dit que les nouveaux barrages sont concentrés à l’intérieur-même de Jabal al Mukabir  et pas à l’entrée du quartier comme c’était le cas pendant la deuxième intifada, au début des années 2000.

« Ils ont divisé le village, séparé les familles. Nous ne pouvons pas rejoindre d’autres personnes, les enfants ne peuvent pas aller à l’école », a dit Mouria à The Electronic Intifada. Il dit que de jeunes enfants sont maintenant obligés de prendre deux bus au lieu d’un seul pour aller à leur école parce que les itinéraires sont entravés.

Ir Amim a surveillé de près les barrages à Jérusalem-Est.

Betty Hirschman, membre de cette association israélienne de défense des droits de l’homme, a dit à The Electronic Intifada que  « pendant que certains checkpoints et barrages séparent les quartiers palestiniens des quartiers juifs, certains bloquent des routes intérieures : c’est la forme de peine collective la plus grave et la plus inexplicable, qui interdit à des enfants l’accès à l’école, entre autres conséquences. »

Et Mouria dit qu’aux checkpoints qui entourent le quartier, lui et sa famille sont la cible des soldats qui les contrôlent : « Ils nous forcent à enlever nos vêtements, ils nous traitent de tueurs. »

Après l’attentat de son cousin Ghassan en novembre, Mouria a été licencié de son emploi dans la construction et n’a pas pu retrouver de travail depuis.

Mutaz, le frère de Udai, a aussi été licencié de son emploi de jardinier après l’attentat.

« Quand ils voient notre nom, c’est fini. » Mouria dit qu’il a maintenant arrêté de chercher du travail.

Le sort de la famille d’Alaa et de toutes les familles dont les fils ont été accusés d’avoir perpétré des attentats relève désormais de la Haute Cour israélienne, qui a jusqu’à présent statué systématiquement en faveur des punitions à l’encontre des membres des familles.

Le 22 octobre, la cour a temporairement suspendu les démolitions, demandant plus de preuves pour soutenir l’argument de l’état selon lequel elles ont un effet dissuasif.

Le gouvernement israélien a présenté des preuves confidentielles pour appuyer ses dires.

Mais pour Mouria, le but de ces démolitions de maisons, des checkpoints et du harcèlement permanent des soldats est clair : « Ils veulent montrer leur puissance. »

 

Charlotte Silver est journaliste à Oakland, en Californie. Twitter: @CharESilver

Traduction: EC pour l’Agence

Source: Electronic Intifada

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