Samah Salaime: Guide de la survie palestinienne en Israël

Par Samah Salaime, 12 octobre 2015

Quand il suffit à un flic pour vous tirer dessus que quelqu’un crie « terroriste », il vaut mieux changer votre sonnerie arabe, vous raser la barbe et juste rester chez vous. Samah Salaime propose un guide en cinq étapes pour la survie palestinienne en terre sainte.

 

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Un Palestinien man nettoie l’emplacement où une Palestinienne est censée avoir essayé de poignarder un Israélien, après quoi elle a été tuée par balles, Vieille Ville de Jérusalem, 7 Octobre, 2015. (photo: Faiz Abu Rmeleh)

 

J’ai voulu savoir comment exactement je peux survivre en tant que femme arabe dans ce pays. Oubliez un État pourtous ses citoyens, tous militants, tous Juifs – nous devons désormais nous conformer à la politique de Netanyahou pour rester en vie.

Il est évident que l’Arabe moyen-ne n’a pas d’arme, si bien que la nouvelle règle qui permet de faire feu ne lui importe pas tellement. Le seul matériau inflammable que nous connaissons est celui qu’on utilise pour les barbecues, donc même si les maires nous demandent de marcher armés, ça ne pourra tout simplement pas se faire.

Alors, que devrions nous faire ? J’ai demandé à mes amis Facebook des idées pour constituer un « guide de la survie palestinienne en Terre Sainte ». J’ai écrit en hébreu, pensant que mes amis juifs avaient probablement fait l’expérience de l’antisémitisme et qu’ils pourraient me dire comment faire avec ce genre de choses à partir de leur expérience personnelle.

J’ai découvert avec surprise que de nombreux amis arabes « partageaient » mon appel et qu’ils sont eux-mêmes aussi effrayés de se déplacer et d’entrer dans la sphère publique, de peur d’être la proie de bandes juives. C’est particulièrement le cas après les vidéos de groupes uniquement juifs appelant à exécuter les Arabes qui tombent entre leurs mains. À Netanya, nous avons vu un groupe de travailleurs arabes se faire lyncher et à Jérusalem un groupe de criminels rôde la nuit dans les rues en cherchant des Arabes. Ils demandent l’heure à des gens au hasard et s’ils répondent avec un accent arabe, c’est fichu.

Dans ces jours où la folie gouverne de façon indiscutable – quand n’importe qui peut porter une arme et sentir que sa vie est en danger simplement parce qu’une Arabe a ouvert son sac à côté de lui – qui sait comment cela va finir.

 

Le mieux est de se taire

J’ai commencé par chercher des guides faits pour les Juifs de par le monde en hébreu et en anglais et j’ai fini par trouver quelque chose qui peut aider : un guide pour étudiants fait pour aider des Juifs à se sentir en sécurité sur les campus, qui a été publié après plusieurs cas d’antisémitisme aux États Unis. Personne ne peut battre ces Américains dans leur guerre contre la terreur.

Je me suis dit que ce guide devait avoir quelque utilité. Donc voilà le même guide seulement adapté aux Palestiniens dans la situation actuelle d’Israël. J’espère que vous y trouverez un apaisement face à ce monde de haine et de violence :

 

1. Si vous voyez quelque chose, dites quelque chose : dans notre cas, si vous voyez une personne juive avoir l’air effrayé et que vous ne soyez pas sûr que votre hébreu soit suffisamment correct pour la rue israélienne, peut-être vaut-il mieux que vous ne disiez rien du tout. Juste taisez vous, pour l’amour de dieu. Si vous parlez, cela ne fera que semer le trouble. Ne proférez certainement pas quelque chose du genre « Allahou Akbar », de la pita avec du za’atar etc. Ne priez pas, ne répondez pas au téléphone. Si votre sonnerie de téléphone est en arabe, changez là maintenant.

 

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Policiers refusant le passage à un checkpoint en limite de la Vieille Ville de Jérusalem, le 4 octobre (Faiz Abu Rmeleh/Activestills.org) Les policiers israéliens ont interdit à la plupart des Palestiniens d’entrer dans la Vieille Ville pendant quelques jours après une attaque au couteau qui a été fatale.

 

Au cas où votre accent ne vous trahit pas, engagez une conversation pour calmer la situation, par exemple « Qu’est ce qu’on va faire avec ces Arabes ? Il faut les détruire ! » ou « Ce Bibi est fort, il va leur en faire voir » et autres formules violentes contre votre propre peuple. Vous êtes pardonné de nous trahir, tant que vous pouvez rester en vie.

 

2. Le guide dit que « votre allure vous trahit » et que vous devez vous montrer confiant et non stressé. Dans notre cas, peut-être le mieux est-il d’essayer de cacher notre appartenance ethnique. Je sais que pour les Arabes, particulièrement pour les femmes musulmanes, c’est un sérieux défi. Les hommes, faites attention à votre aspect extérieur. Habillez vous bien, avec des habits particulièrement confortables et des chaussures de sport, laissez le keffieh et la barbe pour le moment et le mieux est de ne pas vous promener en vous masquant le visage. Donc, sauf si vous êtes habillé comme un juif religieux, sentez-vous à l’aise pour abandonner la barbe et rappelez vous d’observer Shabbath, sans fumer le samedi ni pratiquer toute activité qui pourrait vous rendre suspect.

Pour les femmes, étant donnée l’islamophobie qui règne dans le monde, j’ai trouvé pour vous une fatwa des savants de la Charia, qui permet aux femmes de changer à la fois la façon dont elles se couvrent les cheveux et leur habillement dans des endroits peu sûrs dans les pays occidentaux. Puisqu’Israël se voit comme un pays occidental éclairé, soyez à l’aise pour appliquer cette recommandation. Prenez exemple sur les femmes juives qui arrangent leurs magnifiques foulards de tête et portez une jupe longue au lieu de votre jilbaab. C’est tout à fait bien et le changement n’est que temporaire. C’est le jeu de la ruse, les filles, et nous y excellons.

Pour les femmes non religieuses comme je le suis moi-même, c’est assez simple : habillez vous comme d’habitude et n’en rajoutez pas. Laissez tomber votre droit sur votre corps et tout ce discours féministe ; avec tous ces hommes « forts » qui se baladent, on peut voir que cela peut finir avec une arme d’une autre sorte, c’est à dire par un viol sur un parking. Je réfléchis aux moyens d’autodéfense, pace que quel que soit ce que vous choisissiez, cela peut avoir l’air d’une arme pour les caméras de sécurité et c’est juste carrément dangereux.

 

3. Selon le guide, un tireur actif est quelqu’un qui a une arme et qui la pointe sur ses victimes. Il est en état de stress, il vise et il hurle. D’après des études, il faut entre 10 et 15 minutes pour que les forces de sécurité arrivent sur les lieux, ce qui veut dire qu’on peut utiliser ce temps pour survivre (« s’enfuir, se cacher, se battre ») jusqu’à ce que de l’aide arrive.

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Une Palestinienne devant la mer méditerranée le dernier jour des vacances de l’Aït el-Fitr, au coucher du  soleil à Tel Aviv, dimanche 19 juillet 2015. Les autorités israéliennes ont délivré des milliers de permis à des Palestiniens de Cisjordanie qui leur ont permis de visiter Israël au cours de ces trois jours de vacances qui marquent la fin du mois sacré du jeûne de Ramadan (photo: Yotam Ronen/Activestills.org)

Ici, les amis, nous nous trouvons doublement troublés. Premièrement, la plupart des gens, à part vous, sont généralement armés dans ce type de situation, ce qui veut dire que vous ne pourrez pas vous échapper ni vous cacher. Deuxièmement, même quand la police arrive, il y a des chances que le premier flic qui sorte du son véhicule tire sur vous, puisqu’une foule juive sera en train de crier « tirez sur le terroriste, bande de cons, tuez le ! » Donc, de grâce ne comptez pas sur la police pour votre salut.

Je pense qu’à ce moment-là, votre seul espoir est de repérer la caméra de sécurité la plus proche, de lever la main et ce crier « Je suis innocent » (enfin, vous savez, à part votre seul délit qui est d’être né arabe). Peut-être qu’il se trouvera quelqu’un dans la foule pour vous sauver de l’exécution.

Préparez vos Papas

4. Si vous avez survécu à une attaque violente, le guide suggère que vous écriviez ce qui est arrivé avec le maximum de détails et que vous fassiez une déclaration à la police  pour accélérer la procédure de justice.

Moi aussi je suis pour ce conseil, mais je propose de transmettre également cette déclaration à un bon avocat, à des amis et à la presse, étant donné que vous serez accusé de comportement agressif au sein d’une population traumatisée, ce qui ne saurait mener qu’à une réponse déraisonnable. Soyez préparé à la possibilité d’être poursuivi en justice. Si cela arrive, vous devez vous sentir tout à fait à l’aise avec le fait que vous assumez vos convictions, puisque, après tout, vous vous en êtes sorti vivant. Et il n’y a pas de lieu plus sûr que la prison dans ce pays.

 

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Un policier israélien se prépare à tirer une balle caoutchoutée dans une manifestation le Jour de la Nakba à Jérusalem Est, le 15 mai 2013  (Haim Schwarczenberg)

 

5. Ne sortez pas si vous n’y êtes pas obligé. En réalité, ce conseil ne fait pas partie du guide original, mais beaucoup de gens me l’ont écrit personnellement, y compris ma propre mère « Ne quitte pas la maison, c’est mieux comme ça ». C’est vrai – si ce n’est pas pour une raison de vie ou de mort, ne sortez pas. Restez à la maison. Même là ce n’est pas complètement sûr, mais c’est préférable. Protestez sur Facebook avec des « likes » et autant de commentaires que vous voudrez – sans débordements. Évacuez vos frustrations mais ne vous faites pas piéger dans des discussions en ligne, car le Shin Bet surveille et ça peut finir en arrestation.

Aux jeunes femmes je dis ceci : préparez vos pères, ceux qui ne sont impliqués dans rien, qui sont devant leur écran à regarder le sport. Dites leur qu’ils peuvent se trouver appelés au poste de police en tant qu’homme responsable d’avoir enfanté une femme. On voit la police faire ça de temps en temps et ça vient d’une sensibilité à la « culture arabe », qui fait qu’ils ne parlent pas à une femme ni ne l’interrogent sans l’approbation de son mari ou de son père.

Donc s’il y a des femmes arabes pour penser être partie intégrante de leur propre nation, de l’oppression et du racisme qui s’exercent contre elle, ce message n’est pas passé après le régime militaire des années 1950 et 60. Vous êtes toujours inférieure en tant qu’Arabe et en tant que femme, et les autorités coloniales éclairées prendront soin de vous laisser dans cette prison à jamais.

À la fin du guide, on peut voir le message suivant : « cher étudiant juif, ton expérience universitaire  est très importante pour nous, comme l’est le lien à la communauté juive. Souviens toi que nous ferons tout pour protéger la communauté étudiante, mais que tu dois être responsable de ta propre sécurité. »

Et ça, mes amis, c’est très difficile à résumer. Les Palestiniens en Israël n’ont pas beaucoup de communautés qui les soutiennent. Vous n’êtes pas des citoyens assez importants, pas plus que ne sont légitimées vos expériences et vos sentiments, d’aucune manière. Et vos liens avec d’autres communautés ne comptent pas tellement ici. Et pourtant vous êtes responsables de votre propre sécurité !

Merci pour la lecture du guide de survie. Vous êtes bienvenus à le partager avec d’autres.

Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Local Call.

Traduction: SF pour l’Agence Media Palestine

Source: +972      

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