À Gaza, les nourrissons et les mères paient le prix de huit années de siège israélien

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Un nourrisson est traité dans une clinique de la ville de Gaza, le 17 avril 2014. En règle générale,
il est rare de constater une augmentation de la mortalité infantile, pourtant, ce taux a récemment augmenté dans la bande de Gaza. (Photo : Wissam Nassar / The New York Times)

Par Nora Barrows-Friedman, vendredi 2 septembre 2015


Le taux de mortalité infantile à Gaza a augmenté pour la première fois en cinq décennies, ce qui est emblématique de la crise de la santé que traverse cette population assiégée.


Cette nouvelle révélation de l’Organisation des Nations Unies suit immédiatement une déclaration du coordinateur humanitaire des Nations Unies pour les Territoires occupés, Robert Piper, qui a rapporté en juillet dernier qu’on estime que le taux de mortalité maternelle dans la bande de Gaza « a presque doublé au cours des 12 derniers mois ».

Selon les médecins et les travailleurs humanitaires, le siège qu’Israël impose à Gaza depuis huit années, qui a contribué à des lacunes criantes en matière d’infrastructures de base, notamment un accès restreint à l’eau potable, à l’électricité, à une nutrition adéquate et à des soins de santé spécialisés, est la source la plus probable de ces chiffres troublants.


L’UNRWA est l’agence des Nations Unies responsable des réfugiés de Palestine. À Gaza, les réfugiés issus des terres palestiniennes occupées par Israël depuis1948 représentent environ 80 % de la population. L’agence indique que bien que le taux de mortalité infantile a « constamment diminué au cours des dernières décennies dans la bande de Gaza », les chiffres de leur dernière étude signalent pour la première fois une augmentation de ce taux, de 20,2 pour 1 000 naissances vivantes en 2008 à 22,4 en 2013.
« Le taux de mortalité néonatale, soit le nombre de bébés qui meurent avant d’atteindre quatre semaines, a également augmenté de manière importante dans la bande de Gaza, de 12 pour 1000 naissances vivantes en 2008 à 20,3 en 2013 », ce qui représente une augmentation de 70 % en l’espace de cinq ans seulement, précise l’agence onusienne.


Indicateurs de santé et de bien-être


Le Dr Akihiro Seita est le directeur du service de la santé de l’UNRWA. Cité dans le communiqué de presse de l’ONU, il déclare que la hausse des taux de mortalité infantile à Gaza est sans précédent. « Habituellement, le progrès dans la lutte contre la mortalité infantile ne se renverse pas, ajoute-t-il. Les seuls autres exemples auxquels je peux penser se situent dans certains pays africains qui ont connu des épidémies de VIH. »


Partout dans la bande de Gaza, le secteur de la santé est plongé dans un état de crise permanent depuis près d’une décennie.
Akihiro Seita explique à Truthout en quoi les conclusions de l’agence sont extrêmement préoccupantes. « Les taux de mortalité infantile sont très souvent utilisés comme indicateurs non seulement de santé, mais de bien-être des populations. Je crains que le bien-être général à Gaza ne se détériore », a-t-il dit.


Le Dr Seita relate qu’une tendance inversée similaire est apparue en Iraq dans les années 1990, suite à l’invasion et aux bombardements états-uniens, suivis de près d’une décennie de sanctions.


Les cas de la mortalité néonatale dans la bande de Gaza, déclare Akihiro Seita, sont principalement dus à des naissances prématurées et à des anomalies congénitales, ainsi qu’à certaines infections. « Les naissances avant terme et [les bébés souffrant d’anomalies génétiques] nécessitent des soins spécialisés prodigués dans des hôpitaux, affirme-t-il à Truthout. Dès lors que nous voyons une tendance à la hausse pour ces deux pathologies, nous estimons que l’état des soins spécialisés est préoccupant et doit être amélioré. »

Or, le Dr Seita a également souligné que des données récentes de l’Organisation mondiale de la santé indiquent une dégradation générale des soins spécialisés en milieu hospitalier à Gaza.


Un état constant de crise


Si le secteur de la santé dans la bande de Gaza est dans un état de crise permanent depuis près d’une décennie, c’est que le siège imposé par Israël – et soutenu par l’Egypte, avec l’appui financier et politique des États-Unis – restreint l’importation de combustibles, de matériaux de construction, de médicaments de base, de matériel et de fournitures médicaux.


Outre les infrastructures et les services de soins santé, un autre indicateur, dans l’évaluation de la santé globale d’une population, est l’accès à l’eau potable. Or, dans la bande de Gaza, plus de 90 % des eaux souterraines sont déclarés impropres à la consommation humaine depuis des années. En effet, les sources aquifères ont été sur-pompées et contaminées étant donné que les centrales de traitement des eaux usées ne peuvent pas être correctement entretenues ni réparées en raison du siège israélien.
Au cours de l’attaque de 51 jours menée l’an dernier contre la bande de Gaza, qui a causé la mort d’environ 2 200 Palestiniens et Palestiniennes, dont 551 enfants, des frappes aériennes et des chars israéliens ont ciblé hôpitaux, cliniques, travailleurs de la santé et ambulances.


Un nombre croissant de patients de Gaza ont besoin de soins spécialisés en dehors du territoire, mais obtenir l’autorisation de transfert des autorités israéliennes et égyptiennes pour quitter Gaza peut prendre des mois. En mai, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a consigné le cas d’une Palestinienne de 80 ans qui est décédée après avoir été bloquée au passage de Rafah, à la frontière entre Gaza et l’Egypte, par une chaleur intolérable.


En juin 2015, le chef du bureau de l’OMS pour la bande de Gaza, le Dr Mahmoud Daher, a déclaré que « l’épuisement de l’équipement, les capacités techniques limitées et les pénuries chroniques de médicaments et des fournitures médicales ont accru la nécessité pour les patients d’être dirigés vers l’extérieur de la bande de Gaza, principalement dans les hôpitaux palestiniens de Jérusalem-Est, pour y subir des traitements au coût plus élevé. Cependant, l’accès à ces hôpitaux est difficile et subordonné à l’approbation israélienne, qui n’est pas toujours accordée.


Naissances prématurées


La Dre Ghada al-Jadba, médecin basée à Gaza et directrice sur le terrain du programme de l’UNRWA pour la santé, rapporte à Truthout qu’elle a travaillé auprès de familles qui ont perdu leurs enfants. Elle a décrit le cas récent d’une jeune mère, qu’elle appelle M., qui vit à Shujaiya, l’une des zones les plus marginalisées de l’Est de la ville de Gaza, lourdement bombardée lors de l’attaque de l’été dernier.


« M. a accouché prématurément, deux mois avant la date prévue, relate Ghadadit al-Jadba. Elle a dit qu’elle a été déplacée lors de la dernière guerre. Sa maison a été détruite Après cela, elle est tombée enceinte et a vécu dans des conditions très difficiles. Elle avait de graves problèmes à la fois sur le plan psychologiques et sur le plan nutritionnel. Elle était très déprimée et ne voulait pas de cette grossesse, mais elle avait perdu son dernier bébé, qui était mort après une naissance prématurée. »


Le bébé est né avec des poumons gravement sous-développés, sans possibilité de survie sans soins ni équipement spécialisé, inaccessibles à la plupart des Palestiniens et Palestiniennes de Gaza. Le bébé est mort quelques jours plus tard.
M. qualifie sa situation de « misérable », ajoute la Dre al-Jadba. Le mari de M. fait partie des quelque 43 % des Gazaouis au chômage, facteur important de stress et d’anxiété pour ce couple qui vivait dans la pauvreté, chassé de sa maison.
« Je me suis assise avec elle et elle a décrit comment elle a tenu le bébé, puis comment il est mort alors qu’elle ne pouvait rien faire pour lui. Elle a perdu deux bébés en trois ans. »


La Dre al-Jadba mentionne le cas d’une autre mère de Jabaliya, le plus grand camp de réfugiés à Gaza, qui a donné naissance à un petit garçon nécessitant une intervention chirurgicale d’urgence pour une malformation cardiaque. Puisqu’il n’y a pas, à Gaza, d’installations pour ce type de chirurgie néonatale, il a été dirigé vers un hôpital à l’extérieur de la bande de Gaza. « Mais [la mère] a dit que le transfert avait été retardé », dit la Dre al-Jabda.


Le bébé a finalement été transféré vers un hôpital palestinien de Jérusalem-Est occupée. Contrairement à la plupart des hôpitaux israéliens, qui offrent des soins haut de gamme, la majorité des hôpitaux palestiniens ne disposent pas des ressources nécessaires pour un traitement spécialisé de ce type. Après avoir subi une opération, le bébé a développé une infection sanguine et est mort peu de temps après, relate Ghada al-Jadba.
Les médecins ont dit à la mère que sans le retard initial du transfert, le pronostic de survie du bébé aurait été plus grand, et ils auraient pu le sauver.


Siège et facteurs de risque


La Dre Rand Askalan, neurologue pédiatrique basée au Canada qui travaille en étroite collaboration avec les médecins de Gaza, a contribué à l’achat d’équipement permettant de sauver des vies destiné aux unités de soins intensifs pédiatriques des hôpitaux de Gaza. Elle explique à Truthout que plusieurs facteurs contribuent à la survie et à la santé des femmes enceintes et de leurs enfants.


« Pendant la grossesse, une femme a besoin d’une certaine qualité de nutrition et d’un accès à l’eau potable, deux éléments de base, déclare la Dre Askalan. Elles doivent éviter les infections et avoir un niveau de fer suffisant pour fournir de l’oxygène au fœtus et assurer sa croissance. »


« Mais voyez la situation à Gaza, où il n’y a même pas d’eau potable, où la pauvreté est extrêmement élevée et où les femmes n’ont pas accès à une bonne alimentation et à des aliments sains. Et les mères ont tendance à être très jeunes, ce qui signifie que leur propre développement n’est pas assuré », poursuit-elle.


La Dre Askalan explique que ces facteurs de risque s’accroissent de façon exponentielle si la mère n’est pas protégée contre les infections, une mauvaise hygiène, l’eau polluée et une nutrition inadéquate. De plus, les appareils qui assurent la détection d’anomalies génétiques, opération qui, dans de nombreux autres pays, fait partie des soins prénatals de routine, ne sont généralement pas disponibles ou utilisés dans la bande de Gaza.


En l’absence de soins spécialisés, les complications qui surviennent lors du pré-accouchement ou de l’accouchement sont un facteur d’augmentation du taux de mortalité.
« Lorsque surgissent des problèmes, le système médical est-il prêt à y faire face et à les traiter de manière adéquate de façon à en optimiser l’issue ? Ces problèmes sont amplifiés dans la bande de Gaza en raison du volume de la demande et du peu d’expertise disponible sur place pour y répondre », déplore la docteure.


« Maintenant, parlons des causes, dit-elle. Pourquoi ce type de situation se produit-il à Gaza ? Pourquoi les Gazaouis n’ont-ils pas d’eau propre ? Pourquoi n’ont-ils pas de soins de santé ? Pourquoi les médicaments n’y parviennent-ils pas, et pourquoi ne disposent-ils pas de suffisamment de fournitures médicales et des médicaments dont ils ont besoin ?
La réponse, la voici : c’est à cause du siège de Gaza, du blocus en place depuis huit années », dit-elle.

La Dre Askalan mène actuellement une collecte de fonds pour appuyer la formation de spécialistes palestiniens en médecine néonatale et pédiatrique dans la bande de Gaza, par l’entremise d’un programme de bourses, le Palestinian Healthy Child Fellowship Program, consacré à la santé des enfants palestiniens.

Un système de santé au bord de l’effondrement


À l’heure actuelle, l’UNRWA est face à une sévère crise financière qui pourrait aggraver la crise de la santé et de l’éducation dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Si les fonds essentiels ne sont pas rapidement acheminés à l’agence, « les conséquences seront énormes », déclare le Dr Seita à Truthout.


En outre, Ma’an, une agence de nouvelles de Palestine, a rapporté lundi dernier qu’en raison d’une dévastatrice crise de carburant, le ministère de la Santé de la bande de Gaza a averti que l’ensemble du système de soins de santé « est au bord de l’effondrement ».
« Les hôpitaux dépendent de générateurs privés, en plus du réseau de distribution d’énergie, mais les huit années de blocus israélien ont sévèrement limité la fourniture de carburant dans cette enclave côtière », ajoute le rapport.


Pour sa part, la Dre Askalan dit placer toute son énergie dans la formation de spécialistes à Gaza. « Nous voyons l’effet de toutes ces années de blocus et de siège, ainsi que d’inadéquation des soins de santé, dit-elle, sur les populations les plus vulnérables : les enfants. »

Traduction: Françoise M. pour l’Agence Média Palestine

Source: Truth-Out

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