Gaza, un goulag sur la Méditerranée

Mohammed Omer – The New York Times – 24 août 2015

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Visuel: Sébastien Thibault

Gaza ville – L’an dernier, à cette même époque, alors que les missiles et les bombes pleuvaient pendant la guerre disproportionnée de sept semaines d’Israël contre la bande de Gaza, j’écrivais sur notre lutte pour survivre durant le mois saint du Ramadan. Cette année, un autre Ramadan a passé, l’Aïd al-Fitr est finie, et la réalité sur le terrain a très peu changé.

Les mêmes épouvantables conditions créent le désespoir parmi les habitants de Gaza, leurs vies sont terrorisées par la guerre et bridées par le long blocus de cette bande de terre de 41 km de long et 10 km en moyenne de large. La seule différence, c’est l’absence maintenant de cette odeur de fusillade et d’explosifs, et des traînées de fumée des missiles lancés par les F-16 israéliens et qui s’abattaient au milieu des maisons des civils.

Je suis allé récemment dans certaines des zones les plus durement endommagées de la bande de Gaza, en commençant par l’est de Rafah où les destructions massives sont toujours visibles et les impacts de balles criblent les murs des maisons. Plus haut, dans le village en ruine de Khuzaa, les séquelles d’un traumatisme physique et émotionnel n’ont pas encore été traitées.

Les donateurs internationaux à la Conférence du Caire en octobre dernier se sont engagés à hauteur de 5,4 milliards de dollars pour la reconstruction de Gaza. Cependant, au lieu de nouvelles maisons en dur, la population de Khuzaa n’a reçu que des abris provisoires préfabriqués. Quand il pleut, les eaux usées se répandent à l’intérieur.

Pour Farid al-Najjar, 56 ans, dont le taxi orange a été détruit pendant le conflit, la Conférence du Caire n’est qu’une plaisanterie. Les subventions pour la reconstruction n’ont pas touché sa vie.

En allant vers le nord, vers Shejaiya, le seul signe de changement est que l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) – dans un projet financé par la Suède – a commencé l’enlèvement des décombres. Un an plus tard, pas une seule des maisons endommagées ou détruites n’a été complètement reconstruite.

Hassan Farraj, 61 ans, se tient dans ce qui reste de sa maison – les murs encore debout sont criblés d’impacts des tirs des fusils automatiques et de trous par les obus des chars d’assaut. Le sol nu autour de la maison ressemble à une tête sans cheveu d’un enfant vulnérable, où rien, semble-t-il, ne repoussera.

Tout le monde s’attend à ce qu’Israël revienne pour une autre « coupe » ou pour « tondre la pelouse », ou, quel que soit l’euphémisme mortel en vogue, à ce que cette prochaine fois soit pour Israël le moment de montrer qui contrôle réellement la bande Gaza.

Nos enfants ne grandissent pas dans des quartiers, mais dans des ruines, alors qu’Israël continue d’empêcher les matériaux de reconstruction nécessaires d’entrer dans la bande de Gaza. Selon les Nations-Unies, 9161 maisons de réfugiés palestiniens ont été enregistrées comme démolies, et 5066 autres comme gravement endommagées. Et 4085 autres encore ont été jugées avoir subi des dommages importants, et 124 782, des dommages mineurs.

Les Palestiniens de la bande de Gaza ont besoin d’un développement économique. Discutez avec les jeunes et ils vous décriront leurs choix et moyens limités pour épargner et prévoir un mariage et une famille. Le sentiment que Gaza soit un goulag sur la Méditerranée ne fait qu’accroître la frustration politique chez les jeunes Gazaouis, alimentant leur détermination à résister à l’oppression et leur exigence d’un accès au monde extérieur.

L’extrémisme se nourrit du désespoir. Un jeune à Gaza a déjà survécu à trois offensives importantes israéliennes depuis 2008. Marqués par les souvenirs de souffrances et de pertes, et sans aucun avenir réaliste à attendre, les jeunes Gazaouis sont plus sensibles à l’extrémisme.

Les groupes radicaux comme l’État islamique ciblent les vulnérables et les marginaux. Si certains à Gaza sont attirés par l’idéologie djihadiste, leur nombre est extrêmement réduit. L’échec de l’État islamique dans sa tentative de prendre racine ici provient en partie du sentiment nationaliste et des exigences palestiniennes dont l’axe central est de se libérer de cette occupation contrôlée à distance et de ce siège interminable.

Il provient également en partie de la diversité de la société palestinienne ; les chrétiens y ont toujours été intégrés. Et les Palestiniens embrassent l’interaction avec les gens des autres cultures : ceux qui sont enfermés dans Gaza aspirent à voir le monde et à accueillir des visiteurs, dans ce qui pourrait être notre pays prospère, par la mer.

L’armée israélienne, en dépit de son retrait en 2005, reste de facto une puissance occupante de la bande de Gaza. En conséquence, l’administration du Hamas doit se battre pour exercer ce qui correspond à un peu plus qu’une autorité municipale. Comme le Fatah (la faction contrôlée par l’Autorité palestinienne) en Cisjordanie, le Hamas ne tolère aucun rival à Gaza, qu’il soit laïc ou islamiste. Sa sévère action contre les groupes salafistes a provoqué une violente résistance.

Dans le même temps, l’insurrection djihadiste juste à la frontière avec l’Égypte, dans la Rafah égyptienne et dans le nord du Sinaï, rend la vie à Gaza encore plus difficile. Les Palestiniens gardent l’espoir d’une réouverture du passage de Rafah, mais la violence continue dans le Sinaï a amené l’Égypte à maintenir la frontière fermée. Environ 17 000 personnes à Gaza – allant de malades de cancer à des étudiants et à ceux qui veulent voyager à l’étranger – ont déposé des demandes de permis de voyage depuis mai, avec peu de succès. Depuis le début de l’année, l’Égypte n’a ouvert le passage que quelques jours seulement.

Les responsables du Hamas ont compris que pour limiter l’appel des extrémistes, ils doivent répondre à la crise humanitaire dans la bande de Gaza, de même que maintenir leur prétention à diriger la résistance contre les actions d’Israël. Le dégel des relations entre le Hamas et l’Arabie saoudite pourrait permettre les deux.

Il est possible que les Saoudiens persuadent l’Égypte d’ouvrir le passage de Rafah plus souvent, et d’autoriser quelque liberté de circulation aux Gazaouis. Un rapprochement avec l’Arabie saoudite – à un moment où les relations du Hamas avec Téhéran sont tendues – pourrait aussi ouvrir la voie à plus d’aides financières de la part des États du Golfe persique.

Les Palestiniens ordinaires dans Gaza, cependant, sont souvent les oubliés de ces calculs politiques. Enfermés dans cette prison à ciel ouvert, ils sont confrontés à une triple pression. Leur droit à choisir leur gouvernement leur étant refusé, ils sont soumis à l’autorité prolongée d’un parti dont la légitimité électorale a expiré depuis longtemps. Faute de liberté de mouvement, ils restent enfermés dans une cage par un siège brutal imposé par Israël et l’Égypte. Et en l’absence de toute volonté internationale de mettre fin à leur oppression et occupation, ils reçoivent constamment des promesses d’aides qui ne sont jamais tenues. Les soi-disant grandes puissances du monde regardent Gaza, séparée du reste du territoire palestinien, glisser encore plus dans la misère et l’oubli.

Après les horreurs de l’été dernier, la plupart des Gazaouis cherchent simplement à assurer une vie meilleure à leurs enfants. Les donateurs internationaux, notamment les États arabes, doivent faire entrer leurs engagements dans les faits. Les États-Unis et l’Union européenne doivent trouver un engagement moral pour aider les Palestiniens qui se battent pour la liberté et la maîtrise de leurs vies.

Jusqu’à ce qu’il en soit ainsi, Mr Farraj insiste pour que son drapeau palestinien flotte toujours au-dessus des ruines de sa maison familiale.

Mohammed Omer, journaliste indépendant à Gaza, est l’auteur de : Shell-Shocked: On the Ground Under Israel’s Gaza Assault.” (Traumatisés : sur le terrain sous l’assaut d’Israël contre Gaza).

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: New York Times

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